Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Voici la deuxième partie d’une interview en deux parties avec le procureur adjoint de la CPI Fatou Bensouda. Le procureur adjoint répond à des questions concernant le viol comme arme de guerre et l’impact important des victimes sur le procès de Jean-Pierre Bemba.

Wakabi Wairagala : Sur la base des dépositions entendues jusqu’ici et en gardant à l’esprit qu’il s’agit du premier cas présenté devant la CPI où prédomine une accusation relative à l’utilisation du viol comme arme de guerre, de quelles façons le MLC a-t-il utilisé le viol comme un outil de guerre en RCA ? Quelle a été l’ampleur du problème et, d’après ce que rapportent les témoins, quelle était la motivation principale du MLC pour perpétrer ces viols ?

Fatou Bensouda : Nous alléguons que le MLC a utilisé le viol comme une tactique militaire conçue pour dominer et humilier la population civile, ce qui a eu pour effet de briser la résistance ou le soutien apporté aux rebelles et aussi de déstabiliser l’ennemi. Nous alléguons également que les viols ont été commis en public et dans les maisons des gens, à tout moment et contre n’importe qui. Nous avons dit, et nous citons des témoins qui attestent que les viols ont été commis en public ainsi que dans les maisons des gens en privé. L’utilisation du viol comme arme de guerre, je pense, a été particulièrement révélateur. Le ciblage des hommes ; le fait que ces hommes occupaient des postes d’autorité en tant que leaders communautaires et protecteurs et que des viols collectifs ou multiples ont été commis contre les femmes et les enfants. Nous avons constaté que cela a eu pour effet la destruction des individus, des communautés et des familles.

Nous alléguons également que les viols ont été perpétrés dans une zone géographique très étendue. L’accusation affirme que le viol était synonyme de la prise de contrôle d’une région par les troupes du MLC en RCA, et ce, depuis la capitale Bangui et le long des deux principales routes d’accès qui remontent vers le nord du pays. En général, nous disons que le MLC a perpétré ces exactions de viols parce qu’il pouvait le faire. Les dépositions des témoins que nous avons entendus jusqu’à présent ainsi que l’avis de l’expert en égalité des sexes concernant l’utilisation du viol comme arme de guerre ont indiqué trois motifs principaux pour ces viols. D’abord, ils ont identifié le viol comme une récompense et ils l’ont identifié comme une forme de libération sexuelle. Deuxièmement, le viol a été identifié comme une punition infligée à la population pour son soutien présumé aux rebelles. Et troisièmement, le viol a été utilisé pour déstabiliser l’ennemi – les rebelles dans ce cas. C’est pourquoi, pour en  revenir à votre question, nous disons que certainement dans le cas des exactions imputées au MLC en RCA, le viol en particulier a été utilisé comme une arme de guerre.

WW: Voulez-vous dire que la direction du MLC était au courant et a peut-être convenu d’utiliser le viol comme une stratégie ?

FB: C’est ce que nous alléguons. Comme je l’ai dit, ce fait a été corroboré non seulement par le témoin expert, mais aussi par d’autres témoins qui ont affirmé que le viol a été utilisé comme une récompense. Le viol a été utilisé pour punir et également pour déstabiliser. Il s’agissait vraiment d’une stratégie.

WW: Plutôt comme une stratégie officielle du groupe que comme actes perpétrés par des individus dans le groupe ?

FB: Oui, plutôt que comme actes perpétrés par des individus dans le groupe. Quant à la manière dont les viols ont été commis, il convient de rappeler que c’est l’une des rares allégations ou des quelques cas où nous disons que les allégations de viol dépassent de loin en nombre les massacres qui ont eu lieu. Donc ce fut très répandu dans le contexte des exactions qui ont été perpétrées durant la période incriminée.

WW: Le recours à des intermédiaires a fortement été mis en évidence durant le procès Lubanga. De quelles manières le BdP a-t-il utilisé les intermédiaires dans l’affaire Bemba et quelle est la probabilité d’un recours par la Défense au même genre de critiques concernant le rôle de certains intermédiaires que celles qui furent soulevées lors du procès Lubanga ?

FB: Contrairement à l’affaire Lubanga, le Bureau du Procureur n’a pas eu recours à des intermédiaires dans le procès Bemba. Par conséquent, nous n’envisageons pas que le scénario survenu dans l’affaire Lubanga se reproduise dans l’affaire Bemba. Nous n’avons absolument pas utilisé d’intermédiaires.

WW: Qui a joué le rôle d’intermédiaires ?

FB: C’était nos propres enquêteurs. Nous avons été en mesure de contacter directement les témoins.

WW: Certaines organisations ?

FB: Je devrais peut-être ajouter qu’il est possible qu’au début nous ayons utilisé des organisations pour contacter [les témoins potentiels]. Mais nous avons été en mesure de prendre directement contact avec les témoins nous-mêmes. Donc c’est une critique que nous ne prévoyons pas du tout.

WW: Vous avez accusé M. Bemba pour crimes de guerre de viols et de meurtres. Toutefois, certains témoins entendus jusqu’à présent ont déclaré qu’il y avait des enfants soldats dans le MLC. Pourquoi M. Bemba n’a-t-il pas été incriminé pour recrutement d’enfants soldats ?

FB: En formulant les accusations dans cette affaire, le Bureau du Procureur est motivé par les preuves ainsi que par les tendances qui se dégagent de ces preuves. Les preuves que nous collectons et avons analysées ont montré une utilisation généralisée et organisée à grande échelle des viols, meurtres et pillages dans le cadre de la participation du MLC au conflit armé et aux attaques contre la population civile. Contrairement au cas Lubanga, par exemple, les preuves collectées dans l’affaire Bemba n’ont pas montré une situation similaire en termes d’enfants soldats. Néanmoins, lorsque le Bureau du Procureur aura d’autres preuves d’une exaction particulière, il nous sera possible de formuler, à l’encontre de l’accusé, de nouvelles accusations si nous les estimons appropriées. Nous pouvons le faire à tout moment. Je ne dis pas que nous allons le faire, mais cette possibilité relève de notre mandat.

WW: Vous êtes en mesure de formuler de nouvelles accusations à l’encontre de quelqu’un qui est déjà poursuivi … une autre série d’accusations ?

FB: Oui, absolument. Mais comme je le disais, ce n’est pas la position que le Bureau a prise dans cette affaire. Nous pensons que, dans l’affaire Bemba, on devrait se concentrer sur les allégations de viol, de pillage et de meurtre, ce qui a d’ailleurs été fait. Ce procès n’est pas comparable au scénario de l’affaire Lubanga, qui impliquait des enfants soldats.

WW: Jusqu’à 1 300 victimes participent à ce procès ? Est-ce là un défi pour les parties engagées dans le procès ? L’accusation est-elle satisfaite du rôle que les victimes ont joué dans le procès Bemba ?

FB: Nous croyons que nous nous sommes longuement et clairement exprimés à ce sujet tout au long du procès : les victimes apportent une perspective très unique et nécessaire aux activités du tribunal et elles contribuent aussi à l’équité et à l’efficacité des procédures. Comme vous le savez, à la CPI, nous n’avons pas de jury. En justice pénale internationale, il n’y a pas de système de jury et, par conséquent, vous pouvez constater que seules les victimes assurent une participation de la population aux procédures. Je pense que c’est là un aspect très important. Selon le Statut [de Rome] également les victimes sont des acteurs de la justice internationale. Et la participation des victimes est un droit statutaire. Il ne s’agit pas d’un privilège qui serait accordé au cas par cas.

À titre de politique, le Bureau du Procureur a toujours soutenu et continuera à soutenir la participation de toutes les victimes qui ont déposé des demandes et ont satisfaits aux critères de participation. En ce qui concerne l’affaire Bemba, oui il y a un peu plus de 1 300 victimes participant au procès. Cela n’a cependant pas présenté des défis insurmontables au BdP. Selon nous, les parties ont pu examiné les demandes des victimes soumises en temps opportun et cela a grandement contribué à rendre le procès plus efficace. Nous avons toujours souligné, et continuons à le faire, que les arguments bureaucratiques ou liés aux ressources, tels que le nombre de victimes, réclament des solutions pratiques. Ils ne constituent pas un obstacle à la participation en soi.

Je veux juste souligner que les victimes n’en sont pas un et celles que vous mentionnez, les 1 300 victimes, sont représentées par deux avocats de la RCA qui présentent leurs vues et préoccupations à la Chambre. Les victimes elles-mêmes, je veux dire celles qui ne sont pas des témoins de l’accusation, ne sont pas présentes dans la salle d’audience pendant le procès. Les représentants légaux peuvent interroger les témoins quand ils peuvent démontrer que les intérêts personnels des victimes sont concernés et quand la Chambre estime qu’une telle intervention et les questions posées sont appropriées. Par conséquent, nous, en tant que Bureau du Procureur, avons été satisfaits du rôle joué par les représentants légaux. Leur rôle est évidemment très distinct du rôle que nous jouons en tant qu’accusation ou même en tant que Défense. Leur rôle qui consiste à faire entendre la voix des victimes dans la salle d’audience est un rôle significatif.

WW: Comment expliquer alors que vous ayez des victimes qui sont aussi des témoins de l’accusation et dont pourtant les intérêts et les voix sont toujours relayés dans la salle d’audience par les représentants légaux ? N’assumez-vous pas, dans ce cas, une sorte de double statut ?

FB: Il est possible que cela arrive et comme je le disais, le rôle que joue l’accusation est différent du rôle assumé par les représentants des victimes. Le nôtre est d’assurer que, grâce à des témoins, nous mettons en avant les éléments prouvant la culpabilité de l’accusé, ou tout au moins des éléments de vérité qui aideront les juges à prendre une juste décision. Alors que le rôle des représentants des victimes est de veiller à démontrer combien les victimes ont souffert des exactions incriminées, comment ces dernières les ont touchées, comment les actions de la personne incriminée, ou du moins de ses subordonnés dans ce cas, affectent les victimes. Les représentants légaux sont en mesure de présenter ces vues et préoccupations. En tant que BdP, nous pouvons le faire jusqu’à un certain niveau mais seuls les représentants légaux peuvent donner un accent personnel à cette souffrance.


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