Vous trouverez ci-après une transcription non officielle de la déclaration liminaire de l’Accusation, du 22 novembre 2010, dans le procès pour crimes de guerre de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, devant la Cour pénale internationale (CPI). Cette déclaration a été prononcée par Luis Moreno Ocampo, Procureur de la Cour pénale international, Fatou Bensouda, Procureur adjoint et Petra Kneuer, premier substitut du Procureur.
Le Procureur Luis Moreno-Ocampo
L’Accusation entend prouver au-delà de tout doute raisonnable que Jean-Pierre Bemba Gombo est pénalement responsable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre perpétrés à l’encontre de civils de la République centrafricaine (RCA), par des forces soumises à son autorité et à son contrôle effectifs, d’octobre 2002 à mars 2003.
Les éléments de preuve montreront que les crimes commis à l’encontre des citoyens de la RCA ne sont pas des actes isolés, mais qu’ils ont été commis par les troupes de Bemba, dans le cadre d’opérations généralisées et organisées. De petites unités étaient formées, des groupes de trois ou quatre soldats qui s’emparaient une à une des maisons, volant tout ce qui pouvait être emporté et violant les femmes, les filles et les personnes âgées, sans distinction d’âge. Tout civil qui opposait une résistance en se soustrayant au viol ou aux coups était exécuté.
Comme nous l’avons dit, il ne s’agissait pas d’actes isolés, mais bien de l’une des tactiques de base employées par les troupes de Jean-Pierre Bemba, au cours de sa campagne menée en RCA, de 2002 à 2003. Le but [était] d’éliminer toute possibilité de nouvelle rébellion, par la destruction de communautés considérées comme opposantes. Conformément à l’article 54 (1) b, l’Accusation doit tenir compte de la nature des crimes en cause, en particulier lorsqu’ils impliquent des violences sexuelles, des violences sexistes ou des violences contre les enfants. Tous ces aspects font partie intégrante des crimes commis par les soldats de Jean-Pierre Bemba.
Les crimes commis par [les troupes de] Jean-Pierre Bemba sont inqualifiables. Les troupes de Jean-Pierre Bemba ont dépossédé les populations les plus démunies de l’un des pays les plus pauvres du monde. Les viols massifs n’ont pas uniquement été commis pour des motifs d’ordre sexuel, car en tant que crimes à caractère sexiste, ils visaient aussi à dominer [et] à humilier, non seulement les femmes, mais aussi certains hommes détenteurs de l’autorité. Ces crimes, commis à l’aide d’armes bon marché et des munitions les plus courantes, ont instauré un climat de terreur et ont dévasté des communautés entières. Les femmes ont été violées de manière systématique, afin d’asseoir une domination et de brider toute forme de résistance. Les hommes ont été violés en public, pour saper leur autorité et leur capacité à l’exercer.
Le Procureur ne prétend pas que Jean-Pierre Bemba ait ordonné à ses troupes de commettre les crimes en cause, il fait cependant observer que Jean-Pierre Bemba est responsable de ces crimes, en raison de son absence de contrôle sur les troupes placées sous son commandement. Jean-Pierre Bemba, commandant en chef des troupes du Mouvement de Libération du Congo, MLC, a autorisé ses soldats à attaquer les civils. En outre, il n’a ni empêché, ni réprimé, ni sanctionné les campagnes de viol, de pillage et de meurtre mises en œuvre par ses subordonnés. L’Accusation entend faire valoir qu’en tant que supérieur hiérarchique, la responsabilité de Jean-Pierre Bemba dans ces crimes est encore plus lourde que celle de leurs auteurs directs, ses subordonnés.
Un commandant qui laisse ses soldats perpétrer de tels actes criminels est cent fois plus dangereux que n’importe quel violeur agissant seul. Jean-Pierre Bemba a délibérément laissé les 1500 hommes armés qui étaient sous ses ordres et sous son contrôle commettre des centaines de viols et de pillages. Or, en tant que supérieur, le commandant doit répondre des actes de ses troupes.
À la différence des violeurs, l’arme de Bemba n’était pas un fusil, mais son armée elle-même. Le corps de Jean-Pierre Bemba était son armée. Des centaines de civils ont été violés parce qu’il s’est délibérément abstenu d’exercer un contrôle sur ses hommes. Ce procès est une occasion unique, car c’est la première fois que la CPI a à connaître d’un procès portant sur la responsabilité d’un commandant.
Comme toute autre juridiction pénale, cette Chambre va devoir statuer sur la responsabilité pénale individuelle de Jean-Pierre Bemba, mais le caractère préventif de ce procès et la perspective qu’il ouvre sont sans précédent. La décision rendue par la CPI, contrairement à toute autre juridiction, va influencer le comportement de milliers de chefs militaires des 114 États parties au Statut de Rome. Cette décision donnera force exécutoire à toute loi adoptée par des États parties sur ces questions et exercera une influence sur le cours des choses.
Le respect de la loi est ce qui distingue un chef militaire d’un criminel. La responsabilité des supérieurs et des subordonnés, dans une organisation hiérarchisée telle que l’armée, fait l’objet de débats depuis des siècles dans le monde entier. Elle est déjà évoquée dans le célèbre traité chinois de Sun Tzu sur l’art de la guerre, qui date de 500 ans av. J.-C. Elle est aussi évoquée dans le droit islamique et Hugo Grotius y faisait référence en 1625, dans son célèbre ouvrage intitulé Du droit de la guerre et de la paix. Au cours du XXe siècle, ce concept a pris une dimension juridique. Les tribunaux militaires mis en place après la Seconde Guerre mondiale l’on utilisé comme fondement de la responsabilité pénale.
Le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève évoque la responsabilité du supérieur hiérarchique. Les juridictions internes ont également commencé à reconnaître cette notion et la jurisprudence du TPIY (Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) et du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda) a aussi contribué à mieux la définir et à en préciser les contours.
Enfin, le Statut de Rome a fait la synthèse du droit coutumier international en cette matière et en a précisé la portée. Il n’introduit pas de notion nouvelle et distincte de responsabilité du supérieur hiérarchique dans le droit international. Il ne s’agissait pas d’un crime nouveau. En vérité, le Statut de Rome définit avec précision la notion de responsabilité du supérieur, comme instrument alternatif de mise en cause de la responsabilité, pour les infractions internationales.
Le Statut de Rome instaure un principe de base du droit pénal suivant : la responsabilité individuelle d’un supérieur hiérarchique doit être établie et nul ne peut être puni pour un acte illicite qui ne lui est pas imputable. Son article 28 définit avec précision les conditions dans lesquelles un chef militaire, ou un supérieur hiérarchique exerçant une autorité et un contrôle effectifs, peut être tenu pénalement responsable d’actes et d’omissions commis dans l’exercice de ses pouvoirs. Cet article prévoit que l’on peut conclure à la responsabilité d’un supérieur hiérarchique sur un acte commis par l’un de ses subordonnés, si cet acte peut lui être imputé sous certaines conditions spécifiques.
Conformément à ce principe et à la décision de confirmation des chefs d’accusation rendue par la Chambre préliminaire III, l’Accusation entend prouver les éléments légalement requis en l’espèce. Les éléments de preuve démontreront que les crimes objets de l’inculpation ont été commis par les troupes du MLC, que M. Jean-Pierre Bemba était leur chef militaire et qu’il exerçait sur elles une autorité et un contrôle effectifs.
M. Jean-Pierre Bemba ne se contente pas d’exercer le commandement sur la milice appelée MLC, il la possède, il en est le propriétaire. Il a créé le MLC afin de s’emparer du pouvoir politique et économique. C’est lui qui le finance et le déploie sur le terrain. M. Jean-Pierre Bemba a exercé une autorité et un contrôle effectifs sur les troupes du MLC, tout au long des interventions militaires menées en 2002 et 2003, en RCA. Il en a ordonné le déploiement ainsi que le retrait. Il a dicté l’ordre de nommer, de faire dégrader, de relever de leurs fonctions, d’arrêter, de détenir et de libérer des chefs du MLC et ses ordres ont été respectés à la lettre.
Les éléments de preuve démontreront que M. Jean-Pierre Bemba avait le pouvoir de prévenir et de réprimer la commission de crimes par ses troupes. En l’espèce, s’agissant de crimes commis à grande échelle contre des civils, la meilleure façon de les empêcher et de les réprimer aurait été de dicter des ordres clairs en ce sens, or Jean-Pierre Bemba n’en a rien fait.
La Chambre entendra des témoins qui expliqueront de quelle manière Jean-Pierre Bemba a donné des instructions aux forces du MLC, immédiatement avant leur déploiement en République centrafricaine. Celui-ci leur a dit, je cite:
« Vous vous rendez en République centrafricaine qui n’est pas votre pays. Dans ce pays, il n’y a pas de parents, ni de grands frères, de petits frères ou un quelconque membre de votre famille. Une fois que vous serez là-bas, faites le travail que je vous demande de faire. Toute personne rencontrée dans les zones de combat sera un ennemi, car j’ai été informé que l’ennemi porte des habits civils ». Et les troupes ont suivi ces instructions.
Un autre témoin indiquera à la Cour que les soldats pensaient que Jean-Pierre Bemba leur avait donné carte blanche. Ces ordres montrent clairement la volonté d’un chef militaire de ne rien faire pour empêcher la commission de crimes contre des civils. En effet, Bemba a autorisé ses troupes à traiter toute personne habitant sous le même toit, qu’il s’agisse d’enfants, de femmes et de personnes âgées, comme des combattants ennemis. En l’espèce, le fait de ne pas empêcher les crimes et de n’imposer aucune sanction constitue une autorisation expresse, donnée par Bemba à ses troupes, d’attaquer des civils et en confirme l’existence. Au vu des éléments de preuve présentés, la Cour sera en mesure de constater que Bemba n’a pas formé ses troupes et n’a imposé aucune sanction, en les laissant libres d’agir hors des limites légales et qu’il n’a, par conséquent, pas veillé au respect des lois de la guerre.
Les éléments de preuve montreront que Jean-Pierre Bemba savait parfaitement que les troupes du MLC commettaient et allaient commettre des crimes. De même, ils montreront que Jean-Pierre Bemba était en contact permanent avec ses chefs militaires. Lorsqu’il s’est rendu en RCA, il a recueilli des plaintes de civils contre ses soldats. Début novembre, lors d’un discours rendu public en RCA, Bemba a reconnu avoir pris connaissance de rapports révélant des activités criminelles commises à grande échelle par le MLC. Il était également au courant de la situation à travers les médias internationaux. Des journalistes l’avaient directement informé de ces exactions. En outre, comme les éléments de preuve l’établiront, Jean-Pierre Bemba n’a jamais prétendu ignorer ce qui se passait. Il a déclaré, en revanche, que ces rapports étaient mensongers et les a rejetés en bloc, clamant son innocence, ainsi que celle de ses soldats. La demande qu’il a adressée à l’ONU, pour qu’une enquête sur ces exactions soit ouverte, montre également qu’il était au courant de la situation. Jean-Pierre Bemba n’a jamais donné suite à cette requête. Au lieu de cela, il a organisé des simulacres de procès contre quelques soldats, pour des délits mineurs sans lien avec les crimes en cause, dans le but de couvrir les crimes réellement commis.
Mesdames Bensouda et Kneuer vont maintenant poursuivre avec la déclaration liminaire du bureau du Procureur.
Fatou Besouda Procureur adjoint
Lors du conflit armé qui a eu lieu en RCA, d’octobre 2002 à mars 2003, l’accusé Jean-Pierre Bemba a déployé des milices connues sous le nom de MLC, dans le but de contrer une tentative de coup d’État fomenté contre le président en place Ange-Félix Patassé, par un groupe de rebelles menés par Bozizé, ancien chef d’état-major de ce dernier.
Au cours de cette intervention qui a duré cinq mois, la progression du MLC en Centrafrique s’est accompagnée de viols, de meurtres et de pillages brutaux, répétés et à grande échelle, commis sur des civils. Ces exactions ont été commises au fil de la progression des troupes, mais aussi lors de leur retrait du pays.
Ces exactions ont commencé lorsque les forces du MLC ont pris le contrôle total des territoires ciblés, après avoir expulsé les rebelles de Bozizé. Elles ont été commises pendant toute la durée de l’occupation de ces territoires par les troupes du MLC et ont cessé dès leur retrait. Au cours des mois prochains, l’Accusation entend démontrer les éléments suivants des chefs d’accusation retenus.
Premièrement, les crimes eux-mêmes. La Cour entendra le récit de survivants et de témoins centrafricains de ces crimes, civils ou militaires. 18 témoins approximativement viendront témoigner des viols, des pillages et des meurtres de civils commis en RCA, plus particulièrement. Ces témoignages prouveront de manière irréfutable l’existence de ces crimes et leur commission volontaire et délibérée.
L’Accusation donnera une description plus détaillée des crimes eux-mêmes plus loin dans la présente déclaration liminaire. Le mode opératoire prouvera à quel point les attaques contre la population civile étaient bien orchestrées. Ces crimes ont été perpétrés à l’encontre de civils. Les victimes, Madame la Présidente, n’étaient pas des soldats, mais bien des civils. Avant tout, l’accusé avait bien précisé à ses soldats de ne faire aucune différence entre civils et militaires.
Le témoin 213, un ancien membre du MLC, apportera son témoignage selon lequel les forces du MLC ont reçu des instructions de la part de Bemba, avant leur déploiement en RCA. L’Accusation vient de rapporter ses propos devant la cour, je tiens cependant à les rappeler : « Vous vous rendez en République centrafricaine qui n’est pas votre pays. Dans ce pays, il n’y a pas de parents, ni de grands frères, de petits frères ou un quelconque membre de votre famille. Une fois que vous serez là-bas, faites le travail que je vous demande de faire. Toute personne rencontrée dans les zones de combat sera un ennemi, car j’ai été informé que l’ennemi porte des habits civils ».
Dans les faits, les exactions visaient toute personne rencontrée par les soldats dans la zone de combat en RCA, à savoir, les enfants, les personnes à leur domicile, les chefs de gouvernements locaux, les femmes, les hommes et les familles. Ces crimes ont été commis par les troupes de Jean-Pierre Bemba.
Vous apprendrez que Bemba est le fondateur du MLC, un mouvement créé pour asseoir son pouvoir et récolter des fonds et qu’il en a été le président. Ce mouvement dispose de sa propre armée et Bemba n’en était pas seulement le leader. Il était aussi le possesseur et le chef suprême de cette armée privée, composée d’environ 20 000 soldats. Lorsqu’il était commandant en chef de son armée, il avait envoyé, fin octobre 2002, environ 1 500 troupes, de RDC en RCA, pour combattre sous la bannière de Patassé. Quelques jours seulement après la traversée de la rivière Oubangui et l’arrivée du MLC, des viols, des pillages et des meurtres massifs ont été dénoncés.
Les exactions commises à l’encontre des populations civiles de la RCA ont suivi le mouvement des troupes du MLC, à mesure que celui-ci poursuivait sa progression dans le pays et dominait les forces d’opposition.
Les éléments de preuve mettront en évidence la corrélation entre la progression géographique du MLC et la commission de viols, de meurtres et de pillages. Au demeurant, dans les localités où des crimes ont été perpétrés, aucune autre troupe n’était présente puisque le MLC s’était approprié le contrôle de ces localités, de manière entière et exclusive. Mais la preuve des crimes ne réside pas uniquement dans les agissements eux-mêmes. La langue parlée en RCA est le sango. Des victimes civiles et des témoins centrafricains viendront confirmer que leurs agresseurs parlaient le lingala, une langue qu’ils pouvaient comprendre, bien qu’elle soit parlée au Congo et non en Centrafrique.
Certains témoins confirmeront que les soldats du MLC étaient reconnaissables à leur uniforme qui se distinguait de celui des soldats de la RCA. D’autres ont vu les troupes du MLC traverser la rivière Oubangui vers la RDC, chargées du produit de leur pillage. Ces témoins relateront à la Cour les vols incessants de biens transportés, par la suite, de l’autre côté de la rivière Oubangui.
Les crimes étaient ceux d’un conflit armé. Le conflit armé en RCA s’est déroulé dans un contexte hautement organisé et à grande échelle. Il ne s’est pas limité à une seule zone. Des crimes ont été commis partout où les soldats du MLC sont passés, avec la bénédiction officielle de leur hiérarchie. Ainsi, les soldats du MLC ont violé des civils sous les yeux de leurs supérieurs, stocké dans les bases du MLC et parfois même au domicile de leurs supérieurs, des biens provenant de leurs pillages et organisé le transport de ces biens, vers la RDC.
Petra Kneuer, premier substitut du Procureur
Les éléments de preuve démontreront la responsabilité pénale de Jean-Pierre Bemba au regard de l’article 28(a) du Statut de Rome. Premièrement, il était commandant en chef et exerçait une autorité et un contrôle effectifs. Sous couvert d’une organisation classique du commandement, M. Bemba maintenait en réalité les troupes dans un état de subordination. La défense pourrait peut-être alléguer que Jean-Pierre Bemba n’exerçait ni autorité, ni contrôle sur elles. Le commandant du MLC en charge des opérations menées en RCA n’aurait pas approuvé sans le consentement explicite l’accusé. En outre, Patassé n’exerçait aucun contrôle sur les activités du MLC sur le front et Jean-Pierre Bemba avait eu connaissance des crimes.
Début novembre 2002, l’accusé a visité ses troupes à Bangui et reconnu lors d’un discours public avoir eu connaissance de rapports révélant des activités criminelles commises à grande échelle. Il disposait aussi sur place d’un dispositif d’information systématique lui permettant de recevoir des rapports réguliers sur les activités du MLC en RCA, de 2002 à 2003. Bemba était en contact permanent et direct avec ses commandants, grâce à divers instruments de communication tels que des radios, des émetteurs-récepteurs, des téléphones satellites et des télécopieurs.
Les médias internationaux ont aussi amplement dénoncé les crimes perpétrés en RCA. Les éléments de preuve démontreront que Radio France Internationale, la BBC et Voice of America, par exemple, ont mis au grand jour les abus des troupes du MLC et plus particulièrement, les viols et les pillages. Les journalistes ont aussi directement informé l’accusé de ces abus. En outre, les éléments de preuve permettront d’établir que Bemba n’a jamais revendiqué son ignorance de ces questions. Il a déclaré, en revanche, que ces rapports étaient mensongers et les a rejetés en bloc, clamant son innocence, ainsi que celle de ses soldats.
Jean-Pierre Bemba était parfaitement en mesure d’empêcher, de réprimer ou de sanctionner ces agissements, mais il s’est abstenu d’intervenir. L’accusé disposait pourtant sur place, d’une structure lui permettant de les prévenir et de les sanctionner. Les éléments de preuve démontreront qu’il n’est pas intervenu, non en raison d’une incapacité, mais parce qu’il n’a pas voulu prendre de mesures sévères. Bemba avait instauré un code de conduite et une discipline militaire applicable à tous les soldats du MLC, cependant les témoins 33, 36 et 45 exposeront à la présente Cour, que les soldats du MLC n’ont eu connaissance ni de l’existence, ni du contenu de ce code de conduite. Ce code de conduite n’a pas été porté à la connaissance de tous les membres du MLC disséminés sur le territoire de la RCA. En effet, il était inaccessible à la majorité des soldats du MLC, car il était rédigé en français et non en Lingala, la langue utilisée par le MLC.
L’accusé a délibérément choisi de ne pas faire connaître ce code de conduite et de ne pas entraîner ses soldats, dans le respect de la vie et des biens des civils. En particulier, avant de s’engager dans le combat militaire, l’accusé n’a pas tenu compte de la loi, pour prendre les décisions relatives aux opérations militaires en RCA, de 2002 à 2003. Il n’a pas non plus dicté d’ordres clairs et effectifs pour prévenir la commission de crimes. Au contraire, lorsque Bemba a passé ses troupes en revue, juste avant le déploiement en RCA, il n’a pas cru bon de leur rappeler les lois de la guerre. En revanche, il leur a sciemment laissé croire que toute personne rencontrée sur le territoire de la RCA était un ennemi, que cet ennemi portait des vêtements civils, qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre civils et militaires et qu’elles ne devaient faire aucune distinction entre elles.
Après la commission des crimes, les éléments de preuve tendront à démontrer que Bemba devait être considéré comme humain et comme ayant la volonté d’agir. Cependant, la Cour constatera que les mesures prises par lui constituaient en réalité un simulacre. Dès le début novembre 2002, des résidents de Bangui lui ont fait part de leurs plaintes concernant les crimes commis par ses troupes. En réponse, il a manifesté une certaine préoccupation et déclaré vouloir agir, mais il n’en a rien fait. Il n’a assuré aucun suivi, organisé aucun entraînement et sollicité aucune enquête.
Par ailleurs, Jean-Pierre Bemba avait mis en place un système judiciaire militaire au sein du MLC, comprenant un conseil de discipline chargé de conduire les audiences et de prononcer des sanctions, pour toutes les infractions au code de conduite excepté, notamment, pour les meurtres, les vols et les viols, dont les auteurs étaient déférés devant une cour martiale. Bemba a utilisé son pouvoir pour édicter une série de décrets militaires, dont certains assuraient la mise en œuvre des sanctions prononcées par le conseil de discipline. L’accusé assurait le contrôle de ce système judiciaire et se chargeait personnellement de nommer les juges militaires. Il disposait donc des pouvoirs nécessaires pour imposer unilatéralement la discipline, procéder à des arrestations et à des enquêtes et poursuivre les soldats du MLC.
Face aux éléments de preuve présentés par les ONG et par les médias, Bemba, en décembre 2002, a mis sur pied une prétendue commission d’enquête qui a débouché sur une procédure en cour martiale. Toutefois, les actions menées par cette commission se sont révélées insuffisantes et inappropriées au regard de la nature des crimes commis et de leur échelle. Seule une poignée de personnes ont été mises en cause. Aucune victime civile centrafricaine n’a été appelée à témoigner et les coupables, convaincus de petits vols, n’ont été que très légèrement sanctionnés. Les procès ont pris fin en décembre 2002 et aucun des soldats n’a été condamné pour viol.
Le témoin 45 donnera une description générale du déroulement des procès du MLC, pour démontrer à la Cour qu’il s’agissait en fait d’un simulacre. À titre d’exemple, il évoquera les procès du MLC pour des crimes perpétrés à l’encontre de civils dans la région de Mambasa en RDC. Dans ces affaires, les chefs d’accusation se limitaient aussi à l’insubordination, aux tentatives d’extorsion et au vol et les sanctions infligées étaient disproportionnées par rapport à la gravité des faits. De plus, comme le témoin 45 l’exposera à la Cour, il est arrivé que certains commandants du MLC mis en cause soient promus et pardonnés par l’accusé, peu de temps après l’issue de leur procès.
Plus significatif encore, le témoin 45 racontera qu’avant l’ouverture des procès, Bemba avait informé ses soldats qu’il s’agissait de procès fictifs, destinés à donner le change à la communauté internationale. Ces prétendus efforts de justice, ajoutés au fait qu’il avait connaissance des allégations, prouvent que Bemba était en mesure de prévenir, de réprimer et de punir, qu’il a délibérément refusé d’exercer ce pouvoir et qu’en conséquence, les crimes graves n’ont pu être ni évités, ni réprimés, ni sanctionnés.
Les éléments de preuve démontreront que Bemba, sous couvert de justice, ne faisait que dissimuler les agissements des soldats du MLC et qu’après deux mois d’exactions, l’accusé a porté l’affaire auprès d’un représentant de l’ONU, sans pour autant prendre de mesures pour en assurer le suivi, ni fournir les informations requises par ce représentant, en d’autres termes, il s’en est lavé les mains. L’ONU a accusé réception de la lettre et lui a fait connaître ses disponibilités pour l’assister.
Bien que Bemba en ait eu connaissance, il n’a fourni aucune information et n’a effectué aucun suivi de l’offre de l’ONU de l’assister dans ses investigations. Ceci montre à nouveau sa capacité à prendre des mesures et son absence de volonté réelle à les faire aboutir.
Ainsi, les éléments de preuve démontreront que Bemba, commandant en chef du MLC, a disséminé environ 1500 soldats sur le territoire civil de la RCA, en décidant d’ignorer expressément et implicitement tous les crimes perpétrés contre les civils. Il n’a fait aucun effort pour entraîner ses troupes dans le respect des lois de la guerre et d’une pratique militaire acceptable. Il a ignoré et méprisé des plaintes précises pour crimes graves commis par ses soldats. Il n’a fait aucun effort pour punir ou soumettre l’affaire aux autorités compétentes. En résumé, les éléments de preuve démontreront que Bemba, en tant que commandant en chef du MLC, est pénalement responsable de milliers de crimes graves commis à l’encontre de civils innocents, tant par ses prises de décisions que par ses omissions. Ceci est, en résumé, l’axe adopté par l’Accusation.
L’Accusation informe la Cour que 18 personnes, victimes ou témoins d’exactions, seront appelées à témoigner. 13 membres du MLC témoigneront des activités au sein de leur mouvement et un expert viendra expliquer la structure du commandement militaire et les caractéristiques de sa responsabilité. L’Accusation présentera aussi 5 témoins de la situation générale qui fourniront des éléments de preuve relatifs aux chefs d’accusation. En outre, 3 autres experts témoigneront de l’utilisation du viol comme arme de guerre, de son impact sur la population civile centrafricaine et fourniront leur expertise en matière linguistique.
L’Accusation va maintenant présenter de manière plus détaillée la personnalité de l’accusé, l’organisation de son mouvement, le MLC et les raisons qui l’ont poussé à envoyer ses troupes en RCA, en 2002 et 2003, pour soutenir le président Patassé, alors en place. L’Accusation décrira aussi en détail les crimes et expliquera en quoi ces crimes, de nature particulièrement grave, connus de M. Bemba et commis sous son commandement, justifient des poursuites devant la CPI. L’Accusation présentera la structure du MLC et expliquera en quoi cette structure, ainsi que sa décision de laisser commettre des crimes en toute impunité, le rendent responsable des agissements de ses troupes.
Qui est l’accusé ? Jean-Pierre Bemba est le fils de Jeannot Bemba Saolana, un proche de l’ancien président de la RDC, Mobutu Sese Seko. Le père de Bemba est l’une des figures les plus influentes du régime de Mobutu et la famille de Bemba était très liée à ce gouvernement. Cependant, en mai 1997, le gouvernement de Mobutu est renversé et c’est en 1998, un an après, que l’accusé constitue l’ALC (Armée de Libération du Congo), une milice privée, dans le but de s’opposer au nouveau gouvernement du président de la RDC, Laurent Désiré Kabila. Puis en 1999, Bemba transforme sa milice privée en un mouvement hiérarchiquement organisé, composé d’unités politiques et militaires, le MLC, dont les bases sont installées dans la province de l’Équateur, un territoire riche en ressources minérales, en particulier l’or.
L’existence du MLC a été formalisée par l’adoption de statuts attribuant notamment à Bemba lui-même, de très larges pouvoirs. Les statuts conféraient cumulativement à l’accusé, les fonctions de président et le grade de commandant en chef du MLC. Puis, à compter du 13 juillet 2002, celui s’est autoproclamé général. Les statuts du MLC ne prévoyaient aucune possibilité de déchéance ou de remplacement de Bemba dans ses fonctions de commandant. Le témoin 213, un membre du MLC présent dès l’origine aux côtés de Bemba, a déclaré : « Bemba a institué un mouvement de rébellion non dans le but de libérer la RDC, mais bien dans son intérêt personnel ». Puis il poursuit : « Je comprends Bemba, car j’ai vécu à ses côtés pendant plusieurs années, lorsque nous étions en guerre. Il s’en fichait. Je vous dis cela pour que vous compreniez comment il fonctionne. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que c’était un aventurier et que j’ai compris qu’il allait nous laisser mourir là-bas. Il ne pensait pas à notre ravitaillement, il allait nous sacrifier ».
Bemba a organisé les unités militaires du MLC suivant les lignes d’une armée conventionnelle. Il était le commandant en chef du MLC, un mouvement doté d’une organisation militaire hiérarchisée, comparable à celle que l’on trouve dans les armées conventionnelles. Le MLC était composé de soldats issus de différents groupes ethniques de la RDC, notamment de l’ethnie Banyamulenge. Ce groupe ethnique est important. En effet, les éléments de preuve révéleront que de nombreuses victimes ont identifié leurs agresseurs comme étant des Banyamulenge et la Cour entendra aussi des témoins décrire d’une manière générale les agresseurs comme appartenant à l’ethnie des Banyamulenge. En particulier, nos démontrerons l’impressionnante capacité d’organisation de cette milice privée. Dans les 24 heures qui ont suivi l’appel de Patassé, et j’insiste sur ce point, seulement en 24 heures, Bemba a pu mobiliser, équiper et déployer deux bataillons qui ont traversé la frontière, pour se rendre de RDC en RCA. Il a ordonné le déploiement du bataillon Poudrier B et du 28e bataillon et a nommé le Général Moustapha Mukiza au grade de commandant, pour les opérations en RCA. Sur ordre de l’accusé, les soldats du MLC se sont déplacés avec rapidité et efficacité lors de la traversée de la frontière internationale que constitue la rivière Oubangui. En l’absence de ponts, les deux bataillons ont traversé la rivière par bateau, pourvus d’une quantité suffisante d’armes et de munitions, leur permettant de maintenir le combat pendant plusieurs jours.
Pourquoi le MLC s’est-il retiré après s’être déployé sur le territoire de la RCA ? Bemba y a envoyé ses troupes pour venir en aide au président de ce pays, en place à l’époque. Comme nous l’avons indiqué précédemment, le président de l’époque, M. Patassé, affrontait alors une rébellion dirigée par son chef d’état-major des armées, François Bozizé. Ce dernier dont la base de soutien se trouvait à Bangui et dans sa région dirigea ses troupes vers Bangui, dans le but de renverser le gouvernement Patassé. Patassé riposte alors et déclenche une contre-offensive en mobilisant l’armée nationale, les Forces Armées Centrafricaines, ou FACA, ainsi que d’autres forces telles que l’USP, Unité de Sécurité Présidentielle. Afin de renforcer sa position, Patassé sollicite l’appui de Bemba. La puissance militaire du MLC était supérieure à celle des FACA, tant en nombre qu’en armement.
En outre, ainsi qu’il l’expliquera plus tard, Patassé ne pouvait pas compter sur sa propre armée pour le soutenir, c’est la raison pour laquelle il a décidé de demander du soutien à son « fils » Jean-Pierre Bemba.
Pourquoi l’accusé est-il venu en aide à Patassé ? Parce que le maintien de son contrôle sur la province de l’Équateur supposait que la RCA reste aux mains de troupes alliées. Sa survie politique et économique dépendait en grande partie des garanties de sécurité que pourrait lui fournir ce gouvernement. La province de l’Équateur, où se situent les bases politiques et militaires de Bemba, est frontalière de la RCA et Bangui, la capitale de la RCA se trouve sur la rive opposée de la rivière qui sépare la RCA de la province de l’Équateur. Bemba avait besoin de sceller une alliance avec la RCA, afin de décourager les attaques potentielles du gouvernement de la RDC depuis la RCA.
En 1998, le MLC a du faire face à une attaque-surprise de l’ex-président de la RDC, Laurent Kabila, qui avait obtenu du gouvernement centrafricain des droits de transit lui permettant d’attaquer les troupes du MLC, depuis un poste d’arrière garde. Cet évènement a incité Bemba à forger une alliance solide avec Patassé, afin de contrôler et de sécuriser leur frontière commune. L’accusé avait aussi besoin que la RCA continue à lui permettre de faire transiter l’approvisionnement de la province de l’Équateur par son territoire, par voie terrestre, comme par voie aérienne à travers l’aéroport de Bangui.
Bangui était aussi utilisé par Bemba, comme un itinéraire sans danger pour ses déplacements à l’étranger. Pour conserver son pouvoir personnel, il avait besoin d’alliés en RCA, c’est pourquoi il a dû tisser avec le président en place, des relations personnelles et politiques très étroites. Bemba et Patassé se rendaient visite. Bemba parlait de Patassé comme d’un père et ce dernier évoquait Bemba en l’appelant son fils. Bemba considérait toute menace contre la survie politique de Patassé, comme une menace contre sa propre survie politique. C’est dans ce contexte, que l’accusé est intervenu par deux fois en RCA : la première en 2001, puis de nouveau en octobre 2002, lorsque la présidence de Patassé a été menacée. Mais Bemba avait aussi besoin du concours de Patassé pour se maintenir au pouvoir, son soutien à Patassé a donc dépassé le simple soutien militaire destiné à faire échec à un soulèvement militaire. Il a, par ailleurs, ordonné au MLC de prendre la population civile pour cible, afin de la punir de son prétendu soutien aux rebelles et de décourager toute nouvelle tentative de soulèvement par les rebelles.
Ces crimes avaient un but stratégique. Les éléments de preuve établiront que les crimes commis par les troupes du MLC n’étaient pas circonstanciels. Ils étaient autorisés comme faisant partie intégrante de la tactique militaire. Définitivement, cette affaire porte sur des crimes, des crimes brutaux, organisés et commis à grande échelle, des crimes perpétrés à l’encontre de la population civile de la RCA. Les attaques du MLC contre les civils étaient généralisées. Dans toutes les localités où elles se sont déployées, les troupes du MLC ont pris les civils de la RCA pour cible des viols, des meurtres et des pillages commis à grande échelle.
Ces localités sont Bangui, Fou, Boy-Rabé, Gabongo, PK12, PK13, PK22, Damara, Sibut, Bossembélé, Bossemptelé, Bozoum, Bossangoa et Mongoumba.
(Présentation d’une diapositive d’une carte informatisée de la RCA). Cette carte indique les localités dans lesquelles les soldats du MLC ont commis des exactions contre les civils, ainsi que le type de crimes et la date de commission de ces crimes. Les troupes du MLC contrôlaient entièrement ces zones, elles étaient les seules forces en action dans cette zone, aux dates indiquées sur la carte. Les éléments de preuve sont clairs, les troupes du MLC ont été les auteures directes de ces crimes.
Les attaques des soldats du MLC contre les civils centrafricains ont suivi le même schéma, elles étaient généralement menées de manière organisée. Elles visaient des territoires détenus antérieurement par les rebelles. Les éléments de preuve démontreront que les troupes du MLC ont utilisé à Bangui, à PK12, à Mongoumba et dans d’autres zones antérieurement détenues par les rebelles, une stratégie d’attaque de porte-à-porte. Les forces du MLC s’organisaient en petites unités de 4 soldats environ, dans le but d’aller de maison en maison pour violer, piller et tuer les civils des localités assiégées.
Comme pour les crimes, la Cour entendra de nombreux témoins et de nombreuses victimes faire le récit de viols. Ces viols étaient atroces. Les forces du MLC en ont fait une véritable tactique militaire. Les éléments de preuve démontreront que le MLC formait des escouades de violeurs et que plusieurs de ces groupes de soldats faisaient subir des viols à la même victime, dans la même journée. Ils violaient en tous lieux, à tout moment et indifféremment des femmes, des filles, des personnes âgées, ainsi que des hommes représentants de l’autorité. Ils agissaient aussi bien de nuit qu’en pleine journée, dans les maisons, dans les quartiers, dans les rues, dans la campagne, en public ou en privé. Ils violaient des civils en présence de leurs supérieurs et comme en témoignera le témoin 87, certains commandants eux-mêmes prenaient part à ces viols.
De nombreux témoins exposeront à la Cour les diverses méthodes employées par les troupes du MLC pour leur faire subir ces viols, des viols commis par une ou plusieurs personnes et de manière répétée, ainsi que les circonstances aggravantes de ces viols et leur nature ciblée.
Le message caché derrière ces viols ciblés et sélectifs visant des hommes, des hommes détenteurs de l’autorité, ainsi que des leaders ou des protecteurs de la communauté, était particulièrement clair. Ces viols visaient particulièrement des leaders que l’on violait en public et sous les yeux de leur famille, ce qui ruinait leur honneur et leur réputation au sein de la communauté. Certains d’entre eux ont été abandonnés par leur épouse en raison de la honte et de l’humiliation causées par les viols du MLC. Lorsque des civils étaient violés, les membres de leur famille étaient obligés de regarder la scène, sous la menace d’un pistolet.
Les éléments de preuve produits par le témoin 23 fournissent une bonne illustration de la situation. Le témoin 23, père de famille, époux et leader d’une communauté, s’est présenté aux soldats du MLC comme étant le représentant de son village. Ceux-ci lui ont alors répondu : « Parfait, tu es exactement le type de personnes que nous recherchons, car tu protèges les rebelles ». En tant que cible spécifique, il a été violé en public et en privé sous les yeux de sa famille. Après quoi, les soldats du MLC ont violé sa femme sous ses yeux, ainsi que sa fille mineure, qui en est morte. Les éléments de preuve démontreront la nature, la gravité et la cruauté des attaques des soldats du MLC contre les civils.
Les éléments de preuve mettront aussi en évidence le caractère destructeur des pillages qui, au même titre que les viols, sont un élément clé de l’activité du MLC en RCA. Le pillage était aussi pratiqué de manière systématique et à grande échelle. Le conflit qui agitait la RCA en 2002 et 2003 a été l’occasion pour les soldats du MLC d’acquérir des biens matériels et d’enrichir le mouvement dans son ensemble. De manière extrêmement organisée, les troupes du MLC ont pillé les possessions des civils de toutes les localités dans lesquelles elles s’étaient déployées. Elles ont pillé les biens civils tels que meubles, matelas, équipement électronique et électroménager divers, voitures, etc.
Le MLC a pillé en plein jour et en toute impunité. Les soldats pillaient sous les yeux de leurs commandants qui avaient ordonné ces pillages et y participaient. Le pillage était méthodique, organisé selon une méthode conçue par le MLC comme une véritable stratégie. Les forces du MLC avaient aménagé des entrepôts dans la maison de quelques commandants, ainsi que dans leurs camps, pour stocker le fruit de leur pillage.
Les pilleurs du MLC ont organisé le transport des biens volés, vers la RDC, avec l’aide de leurs supérieurs. Ils conduisaient des véhicules remplis de biens provenant des pillages, en direction de la RDC. Une fois en RDC, Bemba distribuait les véhicules volés parmi les gradés du MLC, à Gbadolite. L’accusé n’a jamais cessé les pillages. Ainsi, la cour entendra de quelle manière Bemba a ordonné à ses soldats de lancer une offensive contre la ville de Mongoumba, pour riposter contre l’armée centrafricaine qui, voulant protéger ses ressortissants, avait empêché des soldats du MLC de transporter les marchandises volées vers la RDC. Le comportement de Bemba a notamment contribué à faire approuver et à institutionnaliser le pillage au sein du MLC, ainsi qu’à encourager ses subordonnés à s’y livrer et à distribuer les marchandises qui avaient été volées aux civils centrafricains.
Enfin, les éléments de preuve établiront que les forces du MLC ont assassiné des civils. Ces meurtres étaient aussi commis selon un schéma précis. Tout civil qui s’opposait au viol, à la violence physique ou au pillage était abattu. Il pouvait s’agir d’actes isolés ou d’assassinats de masse. Ces assassinats de civils étaient commis à grande échelle. Les forces du MLC assassinaient en masse les civils des localités centrafricaines dans lesquels elles s’étaient établies. Les civils étaient assassinés sans critère déterminé.
La Cour entendra le témoin 209 décrire de quelle manière les troupes du MLC décapitaient les civils et exposaient leurs têtes le long des artères principales. Le témoin 6 témoignera de la présence de deux charniers contenant les restes de civils exécutés par les soldats du MLC. D’autres victimes et d’autre témoins viendront aussi apporter leur témoignage sur les assassinats de civils commis par le MLC, dans diverses localités centrafricaines.
À l’issue de l’instance, l’Accusation aura prouvé la totalité des crimes commis contre des civils par les forces du MLC, sous l’autorité et le contrôle effectifs de l’accusé, Jean-Pierre Bemba.
Les éléments de preuve permettront à la Cour d’établir que Bemba : n’a pas intimé à ses troupes l’ordre clair de ne pas attaquer de civils, n’a pas entraîné ses soldats dans le respect des lois internationales et des règles humanitaires, n’a instauré aucun système d’information ni aucune mesure permettant de faire respecter les instructions afin de contrôler et prévenir les crimes, a envoyé sur le terrain des hommes armés et sans solde qui, pouvait-on supposer, allaient se livrer au pillage, a toléré les crimes et rejeté les rapports publics les dénonçant, n’a ni enquêté, ni sanctionné et qu’enfin, il a organisé des représailles contre l’intervention de l’armée centrafricaine qui voulait empêcher les assassinats et distribué des récompenses à ses troupes, pour les crimes commis. Tous ces manquements ont eu pour conséquence que des milliers de civils ont été cruellement maltraités et profondément traumatisés par les agissements criminels du MLC. Sur le fondement de ces éléments de preuves, l’Accusation demande à la Cour de déclarer Jean-Pierre Bemba, coupable de ces chefs d’accusation, au-delà de tout doute raisonnable.
Fatou Bensouda Procureur adjoint
Ce réquisitoire prétend prouver la responsabilité de Jean-Pierre Bemba pour les crimes allégués. Finalement, nous sommes revenus au point de départ. Les crimes commis contre des civils, par les troupes sous le commandement de Bemba sont d’une exceptionnelle gravité. La décision prise par Bemba d’envoyer ces troupes commettre des crimes à l’encontre des civils, ainsi que son incapacité à faire face à ses responsabilités de commandement sont criminelles. L’Accusation rappelle que la défense a fait observer dans ses communications préalables adressées à la Cour, qu’il n’est pas pertinent de fonder la responsabilité pénale sur la responsabilité de commandement et que cela ne démontre pas une responsabilité personnelle, mais tout au plus une négligence. Toutefois, ce rejet de la gravité des charges est contraire aux dispositions du Statut de Rome, qui prévoit des sanctions à l’encontre des commandants qui par leur tolérance au crime et leur incapacité à imposer à leurs troupes un comportement conforme à la loi, provoquent des dommages graves. Le rejet de cette responsabilité morale et personnelle contredit aussi les faits qui seront prouvés dans cette affaire.
Les éléments de preuve montreront que Bemba a décidé de ne pas exercer un pouvoir de commandement et de contrôle réel sur ses soldats, qu’il a délibérément choisi de ne pas empêcher la commission de ces crimes qui servaient ses intérêts. Les pillages incessants et impitoyables infligés aux civils dans les régions affectées sont le lourd tribut financier que ces derniers ont dû payer pour la rébellion de Bozizé. Les viols vicieux commis sur des hommes, des femmes, des enfants, des personnes âgées, des femmes enceintes et les viols commis avec violence, en présence des membres de la famille des victimes ou en public, n’étaient pas commis pour des raisons de plaisir sexuel personnel. Ces viols étaient conçus pour dominer et humilier, pour détruire les peuples, les familles, les communautés. L’assassinat des personnes qui résistaient ou refusaient de se laisser persécuter, montre bien leur impuissance. Finalement, ces crimes allaient affaiblir l’aptitude et la détermination des populations a soutenir une action future contre Patassé.
Bemba n’est pas accusé de ces crimes parce qu’il faudrait trouver un responsable pour les assumer, et cela, des années après les faits, alors que l’Accusation n’a pas la possibilité d’identifier les soldats auteurs personnels de ces viols, de ces pillages et de ces meurtres. Bemba comparaît aujourd’hui parce qu’il a déployé ses troupes après leur avoir octroyé l’autorisation de violer les lois de la guerre et de détruire les communautés civiles. Il comparaît pour avoir ordonné à ses troupes de ne faire aucune distinction entre civils et combattants et parce qu’il n’a formé ses troupes ni avant, ni après avoir été informé de leurs exactions. Il comparaît aujourd’hui parce qu’il n’a pas cherché à savoir si ses commandants contrôlaient correctement leurs troupes et parce que les chefs militaires ont à leur disposition, des centaines et des milliers de soldats dont la capacité à commettre des crimes graves est incontestable. Conformément aux dispositions du Statut de Rome, Bemba et certains commandants avaient l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour éviter la commission de crimes graves. Bemba comparaît donc parce qu’il y a des victimes et que ces victimes méritent qu’on leur fasse justice.
L’Accusation agit au nom et pour le compte des victimes centrafricaines, celles qui sont mortes et celles qui ont survécu, celles qui sont tourmentées par des souvenirs de l’horreur et celles qui ont été infectées par le VIH. Nous agissons aussi pour le compte de citoyens ressortissants des 114 États parties au Statut de Rome qui se sont engagés à prêter leur concours à la présente Cour, dans la poursuite de crimes qui choquent la conscience de l’humanité.
Il s’agit d’une affaire difficile à présenter et difficile à entendre. L’Accusation va s’en remettre aux témoins qui ont été des victimes et qui ont trouvé le courage de se présenter. Ils n’ont pas seulement été violés et avilis par des traitements humiliants et dégradants. Les crimes majeurs commis contre eux en on fait des parias, dans leur propre communauté.
Comme si ces crimes ne cessaient de se perpétuer, beaucoup de ces victimes continuent d’être privées de vie de famille ou du soutien de leur communauté. Certains sont atteints du SIDA.
Les victimes de Jean-Pierre Bemba ont fait l’objet de discriminations contre lesquelles elles étaient impuissantes, elles ont été brutalisées d’une façon inhumaine par ses soldats et mises au ban de leur communauté. Il a laissé faire, sans bouger. Ce procès va reconnaître leur souffrance et les réhabiliter. Il va transformer leurs nombreux souvenirs de violences et de viols en preuves qui vont permettre à Jean-Pierre Bemba d’assumer ses responsabilités.
Ce procès et cette quête de justice internationale ne sont pas seulement un moyen de faire reconnaître les crimes subis. Ils vont permettre de réhabiliter les victimes. Leur douloureuse expérience de viol et d’humiliation servira de preuve contre Jean-Pierre Bemba. La procédure judiciaire va maintenant suivre son cours. L’Accusation espère qu’au-delà de cette salle d’audience, la communauté internationale dans son ensemble jouera son rôle auprès des victimes, car celles-ci ont aujourd’hui besoin d’attention, de soins médicaux et d’assistance.
Merci Madame la Présidente, merci votre Honneur.