Chers lecteurs, veuillez trouver ci-dessous un commentaire écrit par Olivia Bueno de International Refugee Rights Initiative en concertation avec des activistes congolais. Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de International Refugee Rights Initiative ou de Open Society Justice Initiative.
Alors que le procès de Jean-Pierre Bemba a démarré à La Hague le 22 novembre, Kinshasa est en effervescence. Le procès fait les gros titres des journaux. “Bemba livrerait ses ex” a annoncé la page de couverture du Soft tandis que La Prospérité a titré “Bemba face aux juges“. La télévision congolaise a retransmis la totalité des exposés introductifs et des radios d’information ont proposé un résumé du procès. Dans l’ensemble, il y a eu une forte mobilisation des médias pour couvrir le procès. Pour utiliser les mots d’un militant congolais, « La CPI vient juste de tenir sa première véritable audience publique en République démocratique du Congo ».
Bemba n’est, évidemment, pas le premier congolais à se présenter devant la CPI. Le procès de Thomas Lubanga s’achève et les poursuites judiciaires contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui sont en bonne voie. Il paraît clair, toutefois, que le procès Bemba bénéficie d’une bien plus grande attention nationale même s’il concerne des crimes commis en République centrafricaine et non au Congo. Contrairement à Lubanga, Katanga, et Chui, Bemba est considéré comme un “gros poisson”. En 2006, il avait perdu de peu les élections présidentielles contre l’actuel président Joseph Kabila. Il demeure une importante force d’opposition et il est particulièrement puissant dans la partie ouest du pays qui comprend la capitale Kinshasa. Depuis Kinshasa, la violence actuelle qui déchire l’est du pays (qui est l’objet des procès jusqu’à présent) pourrait paraître fort éloignée mais ce nouveau procès touche au cœur le milieu politique de la capitale.
La classe politique a été rapide à réagir. L’Union pour la Nation Congolaise, qui a soutenu Bemba au deuxième tour des élections présidentielles en 2006, a demandé à la Cour de « prendre en compte l’évolution des circonstances qui ont motivé la triste décision de placer en détention Jean Pierre Bemba, un acteur majeur du procès démocratique en cours dans le pays ». Ils ont déploré que « l’absence de Jean Pierre Bemba de la scène politique congolaise a, à n’en point douter, affaibli l’opposition et donc le jeu démocratique en RDC ».
De même, l’arrestation de M. Bemba le 24 mai 2008 à Bruxelles, faisant suite à un mandat d’arrêt de la CPI, s’est déroulée dans un contexte dans lequel il semble que M. Bemba, sénateur de l’époque, était sur le point d’obtenir le poste de chef de l’opposition et de se présenter en tant que candidat de l’opposition aux présidentielles de 2011.
Le retrait de M. Bemba est jugé par un grand nombre de personnes en RDC comme très opportun pour Kabila et ses proches. Selon Emmanuel Malonga, un habitant de Kinshasa cité par l’Institute for War & Peace Reporting, « les autorités congolaises ont utilisé la CPI pour se débarrasser de Bemba avant les élections de 2011. Mais le MLC [Mouvement pour la Libération du Congo] a une grande vision pour ce pays et tout candidat qui se présentera contre Kabila obtiendra des votes ».
La confiance de M. Malonga en l’opposition sans avoir M. Bemba à sa tête n’est pas partagée par les analystes politiques qui se demandent si l’opposition est prête à présenter un autre candidat. Ils affirment qu’une autre personne n’aura pas le même poids pour défier Kabila en 2011 et font remarquer que des luttes de pouvoir apparaissent déjà au sein du Mouvement pour la Libération du Congo, le parti politique de M. Bemba.
Mais, bien évidemment, ceux qui attendent leur heure, espérant profiter de l’absence de M. Bemba pour démontrer leurs capacités d’opposant, sont déjà à l’œuvre. Il circule, par exemple, des rumeurs faisant était du fait que M. Bemba, depuis sa prison, est parvenu à former une alliance avec Vital Kamerhe qui a occupé le poste de président de l’Assemblée nationale et qui bénéficie d’un important soutient dans l’est du pays. Et il est peu probable que le fait qu’Étienne Tshisekedi wa Mulumba, homme politique expérimenté et chef de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UPDS), choisisse de donner une interview à France 24 dans laquelle il indique son intention de retourner en RDC au mois de décembre pour commencer sa campagne présidentielle soit une simple coïncidence. Ayant boycotté les élections de 2006, il a affirmé que bien que la situation ne se soit pas améliorée pour permettre des élections libres et équitables, la situation politique était telle qu’il avait été poussé à intervenir afin d’éviter d’être accusé de ne pas avoir porté assistance à « personnes en danger ». Issu de la même région que M. Bemba, M. Tshisekedi peut espérer récupérer le soutien du camp Bemba mais, étant donné son âge avancé, des doutes demeurent quant à sa capacité de s’adapter aux exigences d’une campagne. Il convient également de noter que, après trois ans d’exil, il n’a plus le même poids politique qu’auparavant.
Étant donné les enjeux importants et ses implications sur le plan politique, le procès est suivi très attentivement. Un commentateur du journal congolais Le Potentiel a ainsi déclaré que M. Bemba était un gros poisson et que M. Ocampo « avait besoin d’un grand filet pour éviter qu’il ne lui glisse entre les doigts ». Malheureusement, le procès fait déjà l’objet de critiques. Tout d’abord, nombreux sont ceux en RDC et en République centrafricaine qui se demandent pourquoi M. Bemba est jugé pour des crimes commis en RCA alors que la personne qui l’a invité dans ce pays et pour lequel ses troupes ont combattu jouit d’un exil confortable. Ensuite, d’autres personnes veulent savoir pourquoi M. Bemba n’est jugé que pour des crimes commis en RCA alors qu’il existe également des preuves démontrant son implication dans des crimes commis en RDC. Le journal Le Phare a posé la question : « Les atrocités commises au Congo resteront-elles impunies ? ». Enfin, des préoccupations ont été exprimées au sujet des politiques ethniques qui pourraient sous-tendre sa remise à la Cour. Un militant a souligné le contraste entre la présence de M. Bemba à La Haye et la liberté d’un autre suspect, Bosco Ntaganda, un tutsi originaire de l’est du Congo, en apportant le commentaire suivant : « parce qu’il est bantu, il a été facile de le livrer ». D’autres personnes attribuent la malchance de M. Bemba à sa faiblesse politique. « M. Bemba aurait-il été jugé s’il avait été élu président ? », interroge Le Potentiel.
Dans cet environnement complexe et très sensible, tous les yeux sont tournés vers le procureur. Etant donné ces implications politiques considérables, il est encore plus important que le procès soit perçu comme équitable et impartial.