Cette semaine, un témoin a déclaré que l’accusé de crimes de guerre Jean-Pierre Bemba utilisait des enfants soldats lors de l’intervention de sa milice en République centrafricaine (RCA) en 2002. Témoignant pour sa deuxième journée, le ‘‘témoin 42’’ a décrit avoir vu « beaucoup » de mineurs dans les troupes congolaises pénétrant dans Bangui, la capitale centrafricaine, le 7 novembre 2002.
« Quant ils sont arrivés le 7 … nous avons les avons entendus et nous nous sommes rendus au bord de la route », a raconté le témoin. « C’était risible car il y avait des enfants qui portaient des armes dont le poids laissait à penser qu’elles avaient été traînées sur le sol ».
Le témoin a également évoqué les vêtements mal ajustés avec lesquels les jeunes combattants étaient habillés. « Ils portaient des vêtements qui étaient ridicules et cela prêtait à rire. Toutes les personnes présentes le long de la route riaient. Quels étaient ces individus qui avaient des habits qui ne leur allaient pas ? ».
Le témoin a déclaré qu’il ne pouvait pas dire quel était l’âge des jeunes combattants mais il a ajouté qu’il avait ensuite appris qu’il s’agissait « d’enfants soldats ».
Bien que l’utilisation d’enfants soldats dans un conflit armé soit un crime, M. Bemba est jugé pour manquement à contenir ses soldats congolais qui ont violé, pillé et tué des civils en masse en RCA.
M. Bemba est un ressortissant congolais qui a envoyé ses troupes, qui, à l’époque, avaient tenté de renverser le gouvernement congolais, pour aider le président centrafricain à combattre une rébellion menée par certaines sections de l’armée. Thomas Lubanga, un autre ressortissant congolais, est jugé depuis janvier 2009 devant la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir procédé au recrutement, à l’enrôlement et à l’utilisation d’enfants soldats dans la province d’Ituri, au Congo.
Le ‘‘témoin 42’’ a également déclaré qu’un grand nombre de soldats de Bangui étaient des paysans ignares « ramassés dans un village » et transformés en soldats en une nuit. Il a parlé d’un combattant congolais, qui lui avait déclaré avoir appris à tirer en un jour et qui avait immédiatement reçu une arme.
Un témoin précédent a déclaré à la barre que les jeunes combattants présents dans les rangs du MLC avaient la gâchette facile et avaient abattu sa femme.
Le ‘‘témoin 42’’ a indiqué que les soldats du MLC avaient violé et pillé parce que M. Bemba ne les payait pas. « M. Bemba a organisé les crimes de guerres en RCA et il n’a pas payé les soldats [par conséquent] les soldats ont vécu aux crochets de la population, ils ont violé des femmes et il est le seul responsable », a déclaré le témoin.
Le témoin, qui a témoigné avec le visage et la voix déformés numériquement afin de protéger son identité, a estimé le nombre de soldats du MLC campant dans la banlieue PK 12 de Bangui à 1 000 environ. Il a indiqué que les soldats occupaient par la force plusieurs maisons appartenant à des civils.
L’avocat de l’accusation Hesham Mourad a demandé au ‘‘témoin 42’’ que ressentaient les personnes dont les maisons avaient été prises par le MLC.
Le témoin a répondu, « Les Banyamulenge [soldats du MLC] étaient comme des chats. Si un chat vient dans une maison, pensez-vous que les souris soient heureuses de partager leur maison avec lui ? ». Il a expliqué que les gens s’enfuyaient lorsque les soldats du MLC se rendaient dans leurs maisons.
Le témoin a également déclaré au tribunal présidé par le juge Sylvia Steiner que les commandants du MLC s’étaient emparés d’une grande maison située dans la banlieue, tandis que les soldats occupaient les maisons d’une rue entière.
Le témoin a également raconté comment sa fille de dix ans avait été violée par deux soldats du MLC. Il a déclaré ne pas avoir emmené sa fille voir un médecin après l’agression. « Pourquoi aurait-il fallut l’emmener à l’hôpital ? », s’est-il demandé.
Il a ajouté, toutefois, que même s’il avait voulu l’emmener auprès d’un médecin, il n’aurait pas pu le faire. « Pendant ces évènements, les hôpitaux étaient fermés », a déclaré le témoin qui a poursuivi, « À vrai dire, je n’avais plus d’argent ».
Le témoin a indiqué que sa fille avait été traitée par la médecine traditionnelle. « Certaines plantes médicinales peuvent être bouillies et la petite fille a pu faire des bains de siège dans cette potion pour se guérir », a-t-il indiqué. Le témoin a précisé que la décoction était normalement appliquée aux femmes ayant accouché afin d’arrêter les saignements.
Le ‘‘témoin 42’’ a déclaré ne pas avoir assisté au viol de sa fille parce que les soldats l’avait emmenée à l’écart. Tandis que les deux soldats violaient la petite fille, un autre groupe de soldats fouettaient son père, prétextant que son fils soutenait les rebelles qui tentaient de renverser le président du pays, Ange-Félix Patassé.
Au début de la semaine, le ‘‘témoin 80’’ a raconté comment elle-même, ses quatre enfants et son mari avaient subi de nombreux viols perpétrés par des soldats du MLC. Évoquant la manière dont les soldats du MLC commettaient des viols en masse dans son quartier, le témoin a indiqué : « Ils ne se cachaient pas, ils le faisaient ouvertement ».
Le ‘‘témoin 80’’, qui a été décrit par le juge Sylvia Steiner comme “très vulnérable’’, a également témoigné avec des mesures de protection, notamment l’utilisation d’un pseudonyme ainsi qu’une déformation numérique de la voix et du visage afin de ne pas dévoiler son identité.
« Combien de Banyamulenge [soldats congolais] vous ont-ils violé ? », a demandé au témoin l’avocat de l’accusation Thomas Bifwoli.
Trois d’entre eux m’ont violée », a répondu le témoin 80.
Le témoin n’a pas expliqué en détail son viol en séance publique. Elle a toutefois déclaré que lorsqu’elle avait tenté de résister à ses agresseurs, qui parlaient lingala, une langue congolaise, ils avaient menacé de la violer « 50 fois sans s’arrêter ».
Concernant les membres de sa famille, le témoin a indiqué, « Ils ont également fait souffrir mes enfants. Les Banyamulenge m’ont violé. Ils ont violé mon mari et mes enfants ».
« Je voudrais parler de ma fille aînée, elle a été violée et elle a maintenant des problèmes pour avoir un enfant », a indiqué le témoin. « Une autre de mes files avait 11 [ans] à l’époque, elle a été déflorée. Une autre fille avait 14 [ans] à l’époque des faits. Une autre de mes filles était enceinte lorsqu’elle a été violée ».
Le ‘‘témoin 80’’, qui résidait dans le PK 12, a déclaré qu’en plus des soldats du MLC, des rebelles appartenant au groupe de François Bozizé, le fomenteur du coup d’état, étaient également présents dans son quartier.
Cependant, comme tous les témoins à charge, le ‘‘témoin 80’’ a insisté sur le fait que les combattants de M. Bozizé n’avaient commis aucun crime contre la population civile de la RCA.
« Non, ils [les rebelles de M. Bozizé] n’ont commis aucun crime. Ils sont les seuls qui sont venus pour nous libérer de nos souffrances », a-t-elle ajouté.
Le témoin a également déclaré que les soldats du MLC « avaient tout pris dans sa maison ». Selon elle, « Ils ont emmené les lits, les matelas en mousse, les ustensiles de cuisine et même les meubles. Ils n’ont rien laissé ».
Le ‘‘témoin 80’’ a déclaré que bien que sa famille soit riche et respectée avant les agressions, depuis que ces dernières avaient eu lieu les voisins raillaient les membres de sa famille. « Nous mangeons bien, nous vivons bien mais depuis ces évènements, tout le monde se moque de nous », a-t-elle indiqué.
Interrogée par M. Bifwoli sur la manière dont les viols avaient affecté ses filles, le témoin a répondu, « À l’heure où je vous parle, quel type d’homme voudra aborder une de mes filles ? Les hommes ont peur de mes filles, maintenant qu’elles ont été agressées ».
Le « témoin 42 » poursuivra sa déposition lundi.