Chers lecteurs – Cet article est un résumé d’un article publié en français par l’auteur dans la Revue belge de droit international. Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’Open Society Justice Initiative.
En replaçant l’affaire Jean-Pierre Bemba dans son contexte puis dans l’historique judiciaire de la théorie de la responsabilité de commandement qui prend naissance avec l’affaire Yamashita, cet article aborde certaines lacunes de la décision de confirmation des charges à l’encontre de M. Bemba. Vous trouverez plus d’informations sur le principe de responsabilité de commandement dans le procès Bemba ici.
Par l’examen de l’état d’esprit de M. Bemba, dénommé également mens rea, le présent article fait valoir que les conclusions de la Section préliminaire II (la Chambre) de la Cour pénale internationale (CPI) paraissent bien moins convaincantes. L’omission d’intention dans l’analyse faite par la Chambre de la mens rea résulte d’une éventuelle conception erronée de la nature juridique de la responsabilité de commandement. Il semble que la Chambre ait perçu la responsabilité de commandement comme une responsabilité du fait d’autrui, alors qu’il s’agit simplement d’une responsabilité pour omission. En outre, lorsqu’elle aborde les questions liées à la connaissance, la Chambre semble ne pas clairement distinguer la différence entre ‘‘savait’’ et ‘‘aurait dû savoir’’, cette dernière norme de connaissance exigeant d’être appliquée ‘‘en raison des circonstances’’, ce qui semble faire référence à des preuves circonstancielles. En effet, la norme de connaissance n’est pas ‘‘savait ou aurait dû savoir’’, telle que la Chambre l’affirme, mais ‘‘savait ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir’’. Par conséquent, bien que la Chambre ait affirmé avoir appliqué la norme ‘‘savait’’, une lecture attentive de sa décision semble suggérer que cette norme n’était pas appropriée car elle s’appuie davantage sur des preuves indirectes que sur des preuves directes et / ou des preuves circonstancielles pour établir que M. Bemba ‘‘savait’’.
Qui plus est, dans le domaine de la connaissance en tant qu’élément de la mens rea, il est important que la Chambre fasse une distinction claire entre la ‘‘connaissance préalable’’, ce qui signifie que M. Bemba avait conscience qu’en envoyant ou en gardant ses forces en République centrafricaine (RCA) il en découlerait, selon le cours normal des choses, la commission des crimes et la ‘‘connaissance rétroactive ou ex post facto’’, ce qui signifie que M. Bemba avait conscience que ses forces avaient commis des crimes en RCA. Une fois de plus, une lecture attentive dans son intégralité de la décision de confirmation des charges laisse à penser que la Chambre a rejeté la ‘‘connaissance préalable’’ de M. Bemba.
La connaissance qui a été établie de la manière la moins controversée semble être la connaissance ex post facto. Toutefois, de telles conclusions soulèvent certains problèmes : pour empêcher un fait, il est nécessaire d’en avoir une connaissance préalable. Lorsque la connaissance est ex post facto, les crimes ne peuvent plus être prévenus étant donné qu’ils ont été déjà commis. Tout ce qui reste à faire est de punir les auteurs. Autrement dit, une connaissance ex post facto seule ne peut raisonnablement conduire à un manquement à prévenir. Il semble, pourtant, que cela soit exactement le raisonnement de la Chambre.
Si certaines carences de la décision de la Chambre peuvent être pardonnées, le fait de s’appuyer sur une décision rendue par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), alors que la décision a été annulée en appel, est bien plus difficile à admettre. En effet, lors de l’interprétation de la norme ‘‘aurait dû savoir’’, la Chambre s’est appuyé sur le jugement du TPIY pour l’affaire Blaskic rendue le 3 mars 2000, tout en omettant de remarquer que cette décision, et en particulier le paragraphe auquel la Chambre fait référence, a été rejetée en appel le 29 juillet 2004. Cette erreur de méthodologie est si grave qu’elle jette la suspicion sur tous les arguments relatifs à la manière dont la connaissance de M. Bemba a été établie dans la décision de confirmation des charges.
Enfin, et en supposant qu’une connaissance ex post facto ait été établie d’une manière moins controversée que celle indiquée précédemment, ce qui implique un éventuel manquement à punir, il importe que la Chambre débatte de la manière dont un chef rebelle est tenu de respecter ce devoir. Deux raisons l’expliquent : (i) une rébellion ou une milice armée sont des affaires privées et les rebelles ne disposent pas de la légitimité nécessaire pour créer des tribunaux pénaux destinés à juger des individus de manière conforme aux droits de l’homme internationalement reconnus; et (ii) le Statut de Rome ainsi que les Conventions de Genève de 1949 érigent en crime de guerre le fait de punir un individu sans lui offrir les garanties d’un procès équitable. Comment un chef rebelle peut-il donc s’acquitter du devoir de punir d’une manière qui soit conforme avec les droits de l’homme internationalement reconnus ?
Compte tenu des circonstances particulières de l’affaire Bemba, trois points doivent être soulignés : (i) M. Bemba ne pouvait soumettre l’affaire relative aux crimes présumés commis par ses forces ni au gouvernement national congolais qu’il combattait ni au gouvernement de la RCA dirigé par le président Bozizé; (ii) il ne pouvait soumettre ces crimes aux pays voisins car ils n’avaient pas édicté de lois donnant à leurs tribunaux pénaux une compétence universelle qui leur permettent de juger des crimes commis à l’étranger, par des étrangers et contre des étrangers résidant à l’étranger; et, pour terminer, (iii) il ne pouvait soumettre l’affaire à la CPI puisqu’elle n’était pas encore opérationnelle. Son premier procureur, Luis Moreno-Ocampo, a été effectivement élu quelques mois après la fin du conflit armé de RCA.
L’option choisie par M. Bemba, c’est-à-dire de mettre en place une commission d’enquête et de rechercher un soutien auprès des Nations Unies ainsi qu’auprès de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) était, dans ces circonstances, le minimum que l’on puisse attendre de lui s’il devait agir d’une manière conforme aux droits de l’homme internationalement reconnus contre des suspects potentiels. En effet, l’ONU possède une expérience précieuse quant à l’établissement de commissions d’enquête et à la création de tribunaux pénaux. Quant aux mesures nécessaires et raisonnables pour établir les faits et punir les auteurs potentiels des atrocités commises en RCA, il aurait été essentiel que la Chambre examine ensuite d’un peu plus près cette piste. Concernant ce point, il convient de remarquer que l’obligation imposée au supérieur hiérarchique de rechercher des informations sur l’activité criminelle de ses forces, ainsi que la prise de mesures nécessaires et raisonnables destinées à empêcher ou à réprimer la commission des crimes, est une obligation de moyens bien qu’une lecture attentive de la décision de confirmation des charges à l’encontre de M. Bemba semble suggérer qu’il s’agit d’une obligation de résultat.
Une clarification de ces différents points dans la décision de confirmation des charges retenues contre M. Bemba aurait été bienvenue pour établir le mens rea de ce dernier. Par ailleurs, la Chambre pourrait faire l’objet de critiques pour être revenue à l’ancien concept de responsabilité stricte qui a largement prédominé dans la conviction et la pendaison du général T. Yamashita après la seconde guerre mondiale, ouvrant la porte à toutes les critiques que nous connaissons.
Jacques B. Mbokani prépare son doctorat à l’Université catholique de Louvain en Belgique et est également avocat et militant en République démocratique du Congo.
I would just like to emphasize that the English version is authoritative.
Jacques.
Bonjour Jacques,
J’ai quelques questions quant à ton raisonnement:
– Pendant combien de temps les soldats de Bemba sont-ils restés en RCA?
– Quels sont du point de vue chronologique, les différents faits de crime qui sont reprochés à Bemba? ( Je pense par là que les faits n’ont pas été commis le même jour, mais usr une période longue ou étendue, et donc, on ne peut pas dire qu’i n’était pas au courant des précédents actes pour deviner des actes futures, qui sont d’ailleurs généralement commis lors des rébellions et autres opposition armée en Afrique.
– Il y aurait eu divers pillages des banques, des biens d’autrui, etc. dont Bemba aurait fait partie des bénéficiaires, oui ou non, et Bemba les aurait-il refusé de ces pillages?
– Plusieurs temoins ont surement été entendus, que disent-ils à ce sujet. N’importe qui étént proche ou éloigné des faits ( rébellion, victime, ou habitant) pouvait savoir ce qui se faisait, se tramer, et les réprésailles ou ordre qui s’en suivaient.
– En plus, je pense que dire qu’une rébellion ne peut tenir une juridiction judiciaire pouvant juger des crimes commis, c’est sous-entendre que les actes commis sous une rébellion ne seraient pas poursuivables en temps de rébellion, selon les normes des droits de l’homme. Or, une rébellion qui prétend gérer un territoire, gère ses entités administratives, judiciaires, militaires, économiques, etc. Et donc, elle a une autorité (peut être pas légitime), mais de fait, réelle. Et donc, on ne peut décharger aussi facilement la responsabilité des autorités de fait.
Je pense qu’il s’agit là des aspects important sur lesquels tu devrais te poser lorsque tu analyse le fait de savoir ou aurait dû savoir.
Bien à toi.
John’s (mbulula@gmail.com)
Bonjour John’s,
Merci pour ta réaction. En fait, comme tu l’as certainement remarqué, ce que tu as lu n’est que le résumé d’un article plus substantiel de près de 80 pages. C’est dans cet article-là que j’ai analysées et approfondies la plupart des questions que tu me poses. Je te recommande donc la lecture de cet article.
Par ailleurs, la décision que j’ai analysée ne concerne que la phase préliminaire de l’affaire. Si je me suis trompé, je reste convaincu que je trouverai les réponses aux questions que je me suis posé dans les décisions que rendront, si pas de la chambre de première instance, mais en tout cas, la chambre d’appel. En tout cas, je leur fais confiance.
Jacques
Merci
Jacques
Bonjour,
Je suis congolais, je viens de lire votre article ou vous parraissez prendre la défense de Bemba, je suis aussi Juriste, il est vrai qu’il n’est pas facile de prouver si Bemba avait l’intention que les crimes aient lieu en RCA, mais l’article 28-a du Statut de Rome trouve son application lorsque ”le supérieur hierarchique” n’a pas pris des mesures nécessaires pour éviter la commission des crimes, dites moi si Bemba avait pris ces mesures et que sont -elles, ensuite le supérieur hierarchique doit réprimer les crimes, Bemba avait organisé un procès de complaisance en vue que les suspects échapent, c’est dans un esprit de de leur soustraire à la justice, la preuve est que condamnés pour des peines très légères et deux mois après,ils sont relaxés, le caractere du tribunal qui ne repond pas aux normes du droit à un procès équitable, ce sont là les signes qui denotent son intention de les soustraire à la justice, Bemba allait déférer ses Soldats aux gouvernements congolais,ce sont des congolais qui devraient étre jugés sur base de la personnalité active,,,,merci