Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) devraient rendre leurs jugements relatifs aux appels du verdict et de la peine déposées par Jean-Pierre Bemba et al. lors du premier procès pour subornation de témoin devant cette cour. Les décisions devraient être rendues en séance publique le jeudi 8 mars à 10 h du matin, heure locale, à La Haye.
Bemba, ses anciens avocats Aimé Kilolo Musamba et Jean Jacques Mangenda Kabongo, ainsi que ses assistants Fidèle Babala Wandu et Narcisse Arido, ont été déclarés coupables en octobre 2016 de diverses infractions contre l’administration de la justice en vertu de l’article 70 du Statut de Rome. En mars 2017, ils ont été condamnés à diverses peines et amendes. M. Bemba a reçu une peine d’un an de prison et une amende de 300 000 € tandis que M. Kilolo a reçu une peine avec sursis de deux ans et demi plus une amende de 30 000 €.
L’accusation souhaite que les peines prononcées à l’encontre de M. Babala et M. Arido (respectivement six mois et onze mois) soient maintenues. Elle a toutefois demandé aux juges d’appel d’augmenter les peines de M. Bemba, M. Kilolo et M. Mangenda, les jugeant insuffisamment dissuasives. En revanche, les avocats de la défense souhaitent que les condamnations soient annulées ou que les peines soient réduites car, affirment-ils, elles sont disproportionnées par rapport au niveau de culpabilité des personnes condamnées.
Le temps passé en détention provisoire par M. Bemba peut-il être déduit ?
Dans leur décision sur la peine, les juges ont estimé que le temps passé en détention provisoire par les quatre associés de M. Bemba devrait être déduit de leur peine mais ont décidé que M. Bemba ne pourrait bénéficier de cette réduction. Sa peine sera purgée après la peine de 18 ans qu’il est en train d’accomplir pour sa condamnation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. M. Bemba, qui est détenu à la CPI depuis juin 2008, souhaiterait que toute peine que les juges d’appel confirmeraient à son encontre soit confondue avec celle prononcée lors de son procès principal.
Le Bureau du Procureur (BdP) a toutefois déclaré que puisque M. Bemba avait déjà bénéficié d’un crédit dans son procès principal pour le temps qu’il a passé en détention, il serait injuste et incompatible avec le Statut de Rome qu’il en bénéficie encore cette fois dans l’affaire relative à l’article 70. De plus, l’accusation a soutenu que la peine d’un an de M. Bemba ne devrait pas être confondue avec la peine de 18 ans car les délits étaient distincts de ceux pour lesquels il avait été condamné dans le procès principal.
Les peines avec sursis pour les avocats de la défense
La peine de prison de deux ans et demi de M. Kilolo a été suspendue pendant trois ans alors que la peine de M. Mangenda a été suspendue pendant deux ans. Cela signifie que les peines ne prendront pas effet à moins que, dans cette période, ces deux personnes ne commettent d’autres délits qui soient punissables d’emprisonnement, notamment des infractions contre l’administration de la justice.
L’accusation a estimé que les juges avaient commis une erreur en imposant des peines avec sursis. Elle a demandé aux juges de rejeter la demande de M. Bemba selon laquelle il pouvait également bénéficier de la même indulgence.
Bemba a-t-il été induit en erreur par ses avocats ?
Bemba soutient que puisqu’il était en prison au moment où les délits relatifs à l’article 70 avaient été commis, il ne pouvait avoir joué qu’un rôle limité dans ces délits et que, par conséquent, la peine qu’il avait reçue était « largement disproportionnée et injuste ». Il a mis en cause les juges pour avoir exclu des circonstances atténuantes telles que son statut d’accusé en détention et le fait qu’il s’était fié et avait agit sur les conseils de ses avocats.
L’accusation n’était pas de cet avis, arguant que M. Bemba n’avait pas moins de connaissance ou d’intention que M. Kilolo et M. Mangenda et qu’il avait dirigé le plan de corruption des témoins. Alors que M. Bemba affirme qu’il suivait les conseils de ses avocats concernant les témoins à appeler, le BdP s’est opposé au fait que les juges de première instance établissent que M. Kilolo et M. Mangenda « cherchaient généralement l’autorisation et l’approbation » de M. Bemba et qu’il était étroitement impliqué dans la détermination des personnes qui devaient témoigner.
Selon l’accusation, la peine de prison d’un an prononcée à l’encontre de M. Bemba est disproportionnellement basse, même en prenant en considération son amende car « M. Bemba a été à la fois le bénéficiaire et le cerveau » qui « a planifié, autorisé et donné l’ordre des activités relatives à la subornation de témoins et des faux témoignages en résultant ».
Arguments de M. Mangenda et M. Babala pour réduire leurs peines
Babala soutient qu’une peine de six mois, basée sur l’évaluation par les juges de son degré de participation et de son intention, du mode de commission et des circonstances aggravantes était « disproportionnée et irrationnelle ». L’accusation a répliqué que l’observation de M. Babala selon laquelle il n’avait pas organisé les transferts d’argent et qu’il avait uniquement respecté les demandes légitimes des avocats de M. Bemba ne modifiait pas le fait qu’il a exécuté les délits d’une manière trompeuse et perfectionnée. « Quelle que soit la personne qui a décidé du transfert de l’argent à des tierces personnes, M. Babala a approuvé l’idée et l’a mise en œuvre », soutient l’accusation.
De son côté, M. Mangenda a indiqué que sa culpabilité personnelle n’était pas si élevée comme pour cautionner la peine qui a été prononcée à son encontre et que ses circonstances personnelles justifiaient une réduction de peine. En effet, selon Christopher Gosnell, l’avocat de M. Mangenda, la Chambre de première instance a affirmé explicitement dans la décision sur la peine qu’elle donnera « un peu de poids » à ses « divers degrés de participation dans l’exécution des délits » et prendra également en compte les observations de la défense selon lesquelles M. Mangenda n’était pas « dans un rôle de commandement ou d’autorité et qu’il n’avait pas été un instigateur des délits ».
L’accusation a demandé aux juges d’appel d’imposer la peine maximale de cinq ans à M. Mangenda et d’ordonner son retour en détention afin qu’il purge toute durée restante d’emprisonnement.
L’interception des communications enfreint-elle les règles ?
Les enquêtes de l’accusation sur les délits relatifs à l’article 70 a impliqué l’exploitation d’appels téléphoniques et l’interception d’e-mails échangés entre M. Bemba et ses avocats. Les personnes condamnées ont déclaré que les communications confidentielles avaient été obtenues sans autorisation judiciaire. M. Bemba a soutenu, de plus, que la décision sur la condamnation contenait des erreurs factuelles et de droit en concluant qu’il avait abusé de ses communications confidentielles.
Le BdP a répliqué que, comme conclu par la Chambre de première instance, M. Bemba avait abusé de son privilège en parlant avec les témoins D-55 et D-19 ainsi qu’avec M. Babala en passant des appels qui avaient été indiqués uniquement comme étant destinés à son avocat, M. Kilolo. La défense a cependant estimé qu’il n’y avait aucune preuve que M. Bemba ait demandé aux témoins d’apporter de faux témoignages.
L’amende « excessive » de 300 000 € imposée à M. Bemba
Les avocats de la défense Melinda Taylor et Mylène Dimitri soutiennent que l’amende de M. Bemba est 30 fois plus importante que l’amende moyenne imposée pour les outrages et infractions contre l’administration de la justice devant des cours similaires comme le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) ou le Tribunal pénal international pour le Rwanda (ICTR). Ils ont soutenu que malgré le fait que les conclusions de la Chambre de première instance concernant la conduite de M. Bemba aient été « quelque peu restreintes », son amende est dix fois plus lourde que l’amende imposée à M. Kilolo. Ils soutiennent qu’ainsi, la Chambre de première instance a fait une erreur en imposant une amende qui est basée exclusivement sur les actifs présumés de M. Bemba plutôt que sur sa culpabilité.