Un témoin a déclaré aujourd’hui que les troupes de Jean-Pierre Bemba, accusé de crimes de guerre, avaient violé des filles et menacé, battu et tué des personnes qui tentaient de résister à la confiscation de leurs biens.
Poursuivant son témoignage de la veille, le premier témoin de l’accusation comparaissant au procès de l’ancien vice-président congolais a raconté les nombreuses atrocités que les troupes de M. Bemba aurait commises en République centrafricaine (RCA) en 2002 et 2003. À cette période, les troupes étaient présentes dans le pays pour aider Ange-Félix Patassé, le président de la RCA, à combattre une rébellion armée.
Le ‘‘témoin 38’’, tel qu’il est dénommé, a indiqué à la Cour que les troupes avaient non seulement commis des actes de vol, de brutalité et de viol mais également des actes de persécution. « Les personnes qui n’avaient pas été battues avaient été attaquées sur le plan psychologique par les rebelles de Bemba. Par exemple, un soldat avait demandé à un jeune homme de sortir son pénis puis l’avait touché avec le canon de son arme. Il n’avait pas été agressé physiquement mais atteint psychologiquement. Il y a eu plusieurs incidents de ce type », a-t-il déclaré.
Le procès de M. Bemba est le troisième procès instruit par la Cour pénale internationale (CPI) qui a débuté ses activités il y a huit ans.
« Ils avaient des fouets, des bâtons à l’extrémité desquels ils avaient fixé des morceaux de caoutchouc ou de cuir et ils utilisaient ces outils pour frapper les civils centrafricains », a indiqué le témoin. Il a ajouté que certains soldats utilisaient des tiges pour fouetter les civils.
Le procureur adjoint Fatou Bensouda a demandé au témoin si l’armée centrafricaine était également impliquée dans certaines de ces atrocités. « Je crois, qu’à cette période, le président Patassé pensait avoir été trahi par son armée et c’est la raison pour laquelle il a fait appel … aux rebelles de M. Bemba. Il ne faisait plus confiance à son armée, c’est pourquoi il a donné aux rebelles de M. Bemba toute latitude pour agir. Cela signifie que les rebelles étaient en quelque sorte les chefs de notre propre armée », a répondu le témoin.
Hier, le témoin a décrit le viol d’une petite fille qu’il pensait être âgée de huit ou neuf ans : « Lorsqu’ils (les combattants de M. Bemba) sont arrivés, ils sont entré dans la maison, ils ont attrapé la mère mais parce la petite fille était encore ‘‘fraîche’’, ils ont préféré la fille à la mère. Ils l’ont violée devant sa mère ».
L’accusation soutient que M. Bemba, 48 ans, est pénalement responsable, en tant que commandant, des meurtres, viols et pillages qui auraient été commis en République centrafricaine (RCA) par ses troupes en 2002 et 2003. M. Bemba, un ressortissant congolais, a reconnu que les troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) qu’il dirigeait s’étaient rendues en RCA, un pays voisin, mais a affirmé que, une fois qu’ils avaient quitté le Congo, ils n’étaient plus sous son contrôle mais sous celui de M. Patassé.
Dans son exposé introductif, le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo a déclaré que des témoignages démontrant que les troupes de Bemba utilisaient le viol en tant qu’arme de guerre seraient présentés devant la Cour. M. Bemba, dont le procès est entendu par le juge président Sylvia Steiner et les juges Joyce Aluoch et Kuniko Ozaki, est accusé de deux crimes contre l’humanité et de trois crimes de guerre.
Aujourd’hui, le témoin a bénéficié pour sa déposition de mesures de protection, notamment de l’utilisation d’un pseudonyme, de la déformation numérique de son visage et de sa voix et l’essentiel de son témoignage à huis clos s’est déroulé à huis clos. Bien que son identité n’ait pas été dévoilée, il a indiqué avoir rassemblé les civils dans les banlieues de Bangui, la capitale de la RCA, afin qu’ils résistent aux soldats du MLC.
La défense a précisé qu’il y avait beaucoup de milices dans les zones où se trouvait le MLC et qu’il n’était pas possible d’attribuer les atrocités commises dans ces zones à une milice en particulier. Toutefois, le témoin a déclaré à la Cour qu’il n’y avait que les combattants du MLC qui commettaient des atrocités contre les civils. Il a également précisé que l’attitude des rebelles du MLC était ‘‘agressive’’, ‘‘cruelle’’ et ‘‘mauvaise’’. « Je ne veux pas les insulter et je suis désolé d’avoir à dire qu’ils se comportaient comme des animaux », a indiqué le témoin.
Concernant les viols commis, le témoin a déclaré à la barre qu’aucune des filles et femmes n’avait raconté ces exactions, faisant remarquer « qu’il s’agissait d’une question d’honneur. Dans notre société, certains choses sont taboues ». Il a poursuivi en racontant l’histoire d’une jeune femme qui n’avait admis avoir été violé par les soldats du MLC que sur son lit de mort. Il a indiqué que les violeurs l’avaient infecté avec le virus du sida.
Entretemps, le témoin s’est souvenu que M. Bemba avait visité les troupes du MLC dans un camp situé dans la banlieue K12, près de la capitale de la RCA, Bangui. Il a déclaré que l’accusé portait des habits civils et tenait un bâton lorsqu’il s’adressait à ses troupes. Le témoin a précisé que des ministres figuraient parmi les membres du gouvernement de la RCA ayant assisté au défilé.
Mme Bensouda a demandé au témoin ce qu’avait déclaré M. Bemba lors de ce défilé.
« La manière dont l’évènement était préparé, nous ne pouvions nous y rendre mais nous voulions y aller pour dire à M. Bemba que nous en avions assez (des excès de ses soldats) ».
Interrogé sur la manière dont il avait appris que la personne qui faisait un discours au défilé était l’accusé, le ‘‘témoin 38’’ a répliqué : « Je peux affirmer que l’homme que j’ai vu sur le terrain de football est l’homme que je vois ici ».
Mais lorsque Mme Bensouda a demandé au témoin s’il y avait eu un changement de comportement des soldats du MLC après la visite de M. Bemba, l’avocat de la défense Nkwebe Liriss a protesté, arguant qu’il s’agissait d’une question tendancieuse. Il a indiqué que, avant que la défense ne commence son contre-interrogatoire, il présentera aux juges une liste de 13 questions tendancieuses posées par l’accusation pour que le tribunal se prononce à leur sujet.
Le témoin a également affirmé qu’en plus de sa région, il savait que des viols avaient été commis par les combattants du MLC dans d’autres parties du pays. « Dans d’autres zones, il y eu aussi des cas de viol …. ils violaient, ils volaient lorsqu’ils traversaient les villages et les villes qu’ils occupaient ».
Il a déclaré : « Tout d’abord, il y avait des vols et des viols dans les maisons dans lesquelles ils pénétraient. Ils prenaient tout ce qu’ils trouvaient, des postes de radio, des téléphones, des coussins pour leurs matelas ». Il a ajouté que les civils qui avaient été confrontés aux soldats dans les rues et qui n’avaient aucun bien à leur donner, tels que des téléphones portables, étaient déshabillés jusqu’à leurs sous-vêtements.
Les représentants légaux des victimes participant au procès devraient interroger le ‘‘témoin 38’’ demain après-midi.