Le témoin qui se présentait à la barre cette semaine au procès de Jean-Pierre Bemba qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI) occupait un poste de responsabilité au sein du groupe que l’accusé dirigeait. Témoignant sous un pseudonyme et via un lien vidéo, il a déclaré que l’accusé possédait une formation militaire « élémentaire » qui ne lui permettait pas de prendre personnellement des décisions importantes concernant les opérations militaires. Il a soutenu que l’accusé n’exerçait pas un contrôle sur les troupes déployées pendant cinq mois lors du conflit armé centrafricain.
De plus, le ‘‘témoin D04-21’’a défendu la discipline au sein des troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) et a déclaré qu’une commission d’enquête que l’accusé avait ordonné pour examiner la conduite de ses combattants avait déchargé les troupes de tout crime grave.
M. Bemba est accusé de manquement à arrêter ou à punir ses soldats qui auraient perpétré des viols, des meurtres et des pillages généralisés en République centrafricaine (RCA) en 2002 et 2003. Bien qu’il n’ait pas été personnellement présent dans le pays en conflit, il est jugé, en tant que chef du groupe, devant la Cour pénale internationale (CPI) pour manquement à contenir ses troupes. Il a nié les accusations.
Au début de son témoignage, le ‘‘témoin D04-21’’a parlé des structures de commandement du MLC et des qualifications militaires de son chef.
« La planification des opérations n’était pas faite par une seule personne. Elle était réalisée par l’état-major, une entité qui possédait un chef, à savoir le chef d’état-major. C’était un travail d’équipe », a-t-il indiqué. Témoignant sur les opérations du groupe en République démocratique du Congo, il a affirmé que c’était le chef d’état-major qui communiquait les ordres aux commandants du bataillon sur le terrain.
Le témoin a déclaré que le grade militaire de général de division donné à M. Bemba était honorifique étant donné son statut de chef politique du groupe et ne découlait pas de ses connaissances ou expérience militaires.
Bien que les procureurs affirment que les combattants de M. Bemba étaient mal entraînés, indisciplinés et ignorants du code de conduite de la milice, le témoin a indiqué que les soldats de tous grades avaient une bonne formation. Il a précisé que certains officiers du groupe avaient été entraînés dans des académies militaires renommées telles que Sandhurst au Royaume-Uni et West Point aux États-Unis.
Il a indiqué que le code de conduite du groupe était le document « le mieux connu »et qu’il avait été communiqué lors de l’entraînement.
« Il y avait une sensibilisation lors de l’entraînement. Un discours ou un exposé moralisateur était prononcé, leur répétant les dispositions du code », a affirmé le témoin. L’objectif était de garantir de « bonnes relations »entre la milice et les civils dans les zones qu’elle contrôlait.
Le ‘‘témoin D04-21’’ a indiqué que les habitants de la ville centrafricaine de Sibut, avaient exprimé des « remerciements absolument sincères » aux combattants de l’accusé après qu’ils aient « libéré » la ville du contrôle des rebelles.
L’avocat de la défense Aimé Kilolo-Musamba a projeté une séquence de film dans laquelle des habitants de la ville décrivaient les crimes violents qu’ils avaient subi de la part des forces rebelles menées par François Bozizé et qui occupaient la ville avant d’être délogées par le MLC.
Le ‘‘témoin D04-21’’ a indiqué que la vidéo avait été filmée en présence d’un « ambassadeur » du MLC qui s’était rendu dans la zone de guerre pour établir la vérité sur les rumeurs selon lesquelles la milice de l’accusé aurait commis des viols, des meurtres et des pillages. Il a déclaré que M. Bemba avait ordonné une commission pour enquêter sur la conduite des combattants immédiatement après réception d’un rapport émanant d’une organisation de défense des droits de l’homme alléguant que ses troupes commettaient des crimes.
« La délégation à Sibut ne nous a signalé aucun cas de meurtre », a-t’il indiqué. Il a ajouté que la délégation n’avait pas non plus trouvé de cas de viol. La délégation avait plutôt signalé que quatre soldats du MLC avaient été impliqués dans le vol de vêtements et de bicyclettes.
Le témoin a déclaré que, comme indiqué dans les images vidéo, les allégations selon lesquelles les soldats de M. Bemba étaient les auteurs des crimes perpétrés à Sibut étaient fausses. Dans la vidéo, le maire de Sibut affirmait que ses concitoyens et lui-même avaient fui leurs maisons pendant les trois mois d’occupation de la ville par les rebelles, qui avaient commencé en octobre 2002.
Le maire a raconté les nombreuses plaintes qu’il avait reçues verbalement de la part de civils concernant des pillages et des viols commis par les rebelles de M. Bozizé. Le vicaire d’un séminaire et d’autres habitants anonymes, présents également dans la vidéo, ont donné des récits similaires à celui du maire. Ils ont tous exprimé leurs remerciements aux « forces loyalistes » qui comprenaient le MLC et l’armée centrafricaine pour avoir chassé les rebelles et pour les avoir aidé à retrouver une vie normale.
Sibut est un des lieux dans lesquels les procureurs accusent les troupes de M. Bemba d’avoir perpétré des crimes généralisés.
Interrogé par l’avocat de l’accusation Jean-Jacques Badibanga pour savoir pourquoi Sibut était le seul endroit que la délégation avait visité, le ‘’témoin D04-21’’ a déclaré qu’il ne savait pas ce qui avait orienté le choix de cette ville.
M. Badibanga a également demandé pourquoi les journalistes avaient été invités à participer à la mission. Le témoin a répondu, « Je crois que la principale motivation de la présence de locaux et de la presse internationale était de collecter les bonnes informations sans risque de les dénaturer ».
Le ‘‘témoin D04-21’’ a déclaré qu’un compte rendu de Radio France International (RFI), qui mentionnait les soldats du MLC parmi les auteurs des crimes, était basé sur des « appels téléphoniques anonymes ». « Ils ne sont pas allés sur le terrain. Lorsque la délégation du MLC est arrivée sur place, les informations obtenues ont été différentes », a t-il indiqué.
« Comment se fait-il que quelques jours après que les journalistes de RFI aient mené des enquêtes, la délégation du MLC arrive avec des journalistes de RFI dans leur sillage et que les informations collectées ne soient pas les mêmes ? », a demandé M. Badibanga.
Le témoin a précisé que les journalistes ne parlaient que des informations qui leur parvenaient mais qu’ils ne se rendaient pas sur le terrain pour vérifier les comptes rendus des crimes commis.
Le dernier jour de sa déposition, le témoin a déclaré que M. Bemba « avait perdu son autorité » sur ses troupes une fois qu’il les avait mis à la disposition des autorités centrafricaines. Il a affirmé que si l’accusé avait exercé un pouvoir sur ses troupes, il aurait « remis en cause » l’accord qu’il avait conclu avec Ange-Félix Patassé, président en exercice de la RCA.
« Les modalités de l’entente étaient que les autorités centrafricaines fournissaient les ressources logistiques, que le commandement des opérations était de la responsabilité des officiers de la RCA et que la gestion de la discipline des troupes était également de la responsabilité des autorités de la RCA », a précisé le témoin.
Il a ajouté que cet accord avait été conclu à la suite d’une discussion qui s’était tenue entre M. Patassé, maintenant décédé, et M. Bemba lorsque le président avait demandé aux troupes congolaises de l’aider dans sa campagne contre les insurgés.
Le procès se poursuivra lundi prochain avec la déposition d’un nouveau témoin.