Jean-Pierre Bemba, un ancien rebelle devenu chef d’opposition en République démocratique du Congo (RDC) a été déclaré coupable des crimes, notamment des viols et des meurtres, perpétrés par ses troupes sur des civils en République démocratique du Congo (RDC).
Dans un jugement unanime annoncé devant la Cour pénale internationale (CPI) cet après-midi, les juges ont conclu que M. Bemba savait que ses forces commettaient ou étaient sur le point de commettre les crimes mais qu’il n’a pas pris les mesures raisonnables pour empêcher ou punir ces crimes.
Selon les juges, les actes de M. Bemba, qui comprenaient des déclarations publiques générales aux troupes de ne pas maltraiter les civils, la formation de deux commissions d’enquête ainsi que le procès de sept simples soldats pour des charges de pillage de biens de valeur limitée, ont été « une réponse nettement inappropriée aux informations crédibles sur les crimes généralisés commis par les soldats du MLC en RCA dont M. Bemba avait connaissance ».
Bemba, 53 ans, est le plus haut responsable dont le procès devant la CPI a atteint la phase du jugement. À l’époque de son arrestation à Bruxelles en 2008, il était sénateur au Congo et chef du principal parti d’opposition, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC). Il avait été précédemment un des vice-présidents du pays dans un gouvernement d’unité formé dans le cadre d’un accord de paix signé après des années de conflit armé en RDC. Encore antérieurement, il avait fondé, en 1998, le MLC avec l’aide de l’armée ougandaise grâce à laquelle il contrôlait près d’un tiers du territoire de la RDC.
Les procès de trois autres citoyens congolais s’étaient conclus auparavant devant la Cour. En 2013, Thomas Lubanga a été condamné à 14 ans de prison pour l’utilisation d’enfants soldats alors que Germain Katanga a été condamné à 12 ans d’emprisonnement pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en 2014. Mathieu Ngudjolo, un ancien chef rebelle également, a été acquitté en 2012. En décembre dernier, M. Lubanga et M. Katanga ont été transférés au Congo afin de purger le reste de leur peine. M. Ngudjolo est également retourné au Congo l’année dernière après le rejet de sa demande de statut de réfugié demandée aux Pays-Bas.
Bemba était accusé de deux chefs de crimes contre l’humanité (meurtre et viol) et de trois chefs de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage). La Chambre préliminaire III, qui jugeait le politicien congolais, était composée des juges Sylvia Steiner (juge présidente), Joyce Aluoch et Kuniko Ozaki.
Bemba a plaidé non coupable pour l’ensemble des charges, affirmant que, une fois qu’il avait envoyé ses troupes en RCA pour aider le président de l’époque, Ange-Félix Patassé, à combattre une tentative de coup d’état, les troupes étaient passées sous le commandement de l’armée centrafricaine. Il également déclaré qu’il n’avait pas les moyens de donner des ordres à ses troupes déployées dans le pays voisin.
Les juges ont toutefois déterminé que M. Bemba avait des lignes directes de communication avec ses commandants sur le terrain et « qu’il pouvait et avait donné des ordres opérationnels » aux troupes déployées en RCA. Ils ont conclu que, bien que M. Bemba n’était pas présent en RCA, il était en mesure de parler directement via des radios et des téléphones satellites avec les commandants qui étaient sur le terrain dans ce pays.
Les juges ont déclaré que M. Bemba avait conservé le contrôle effectif du contingent du MLC situé dans le pays en conflit à tout instant et que ces soldats congolais n’étaient pas subordonnés à la hiérarchie de l’armée centrafricaine.
La juge Steiner a souligné que des éléments de preuve démontraient que, en 2002-2003, les troupes du MLC avaient commis de nombreux viols, meurtres et pillages sur une large zone géographique de la RCA. Elle a déclaré que les multiples viols et meurtres perpétrés par les troupes de M. Bemba « représentaient une conduite répréhensible et n’étaient pas des actes isolés ou fortuits ».
Les juges ont affirmé que M. Bemba aurait dû s’assurer que ses troupes étaient correctement formés au droit humanitaire international, qu’il aurait dû donner des ordres destinés à apporter les pratiques applicables dans le respect des règles de la guerre et prendre des mesures disciplinaires pour éviter la commission d’atrocités par les forces placées sous son commandement. Il aurait également pu donner des ordres spécifiquement destinés à prévenir les crimes, contrairement au fait de simplement donner des ordres classiques, il aurait pu protesté contre ce comportement criminel ou le critiquer ou, encore, insister auprès d’une autorité supérieure afin que des mesures soient immédiatement prises.
Les juges ont également conclu que M. Bemba, en tant que commandant, aurait pu reporter les opérations militaires,qu’il aurait pu suspendre, exclure ou redéployer les subordonnés violents et conduire des opérations militaires de manière telle que le risque de ces crimes spécifiques soit diminué ou que les opportunités de leur commission soient supprimées.
Dans une déclaration de presse, Fatou Bensouda, procureur de la CPI, a déclaré que la décision « confirme que…les commandants sont responsables des actes des forces placées sous leur contrôle ». Plus important encore, elle a noté également que le verdict « mettait en lumière la nécessité impérieuse d’éradiquer les crimes sexuels et à caractère sexiste utilisés comme armes de guerre par le fait de tenir responsables ceux qui manquent à exercer leurs obligations et responsabilités que leur statut de commandants et dirigeants implique ».
Pendant le procès, M. Bemba a rencontré quelques problèmes avec sa défense. En février 2012, l’avocat principal de la défense Nkwebe Liriss est décédé en RDC, Aimé Kilolo Musamba prenant la suite du dossier de la défense. En novembre 2013, M. Kilolo a été arrêté avec le chargé de la gestion des dossiers Jean-Jacques Mangenda Kabongo, qui aurait suborné des témoins et les aurait coaché afin qu’ils fournissent des faux témoignages. Peter Haynes, qui était également un membre de la défense à l’époque, est devenu le conseil principal de la défense.
Le procès s’est ouvert en novembre 2010 et la présentation des éléments de preuve s’est conclu en avril 2014. Toutefois, au mois de novembre de cette année, sur demande de la défense, les juges avaient rappelé le témoin 169, qui avait témoigné initialement en juillet 2011 sur une collusion présumée entre les témoins de l’accusation et les promesses et les avantages fournis par l’accusation en échange du témoignage d’un témoin. Le procès a entendu 77 témoins : 40 appelés par l’accusation, 34 appelés par la défense, deux témoins appelés par les avocats des victimes et un témoin appelé par les juges. Un total de 5 229 personnes se sont vus accorder le statut de victime participante au procès.
Une date pour l’audience de détermination de peine devrait être définie sous peu. Sa condamnation signifie qu’il restera en détention jusqu’au prononcé de la sentence.
L’article 76 du Statut de Rome prévoit que, en cas de condamnation, les juges doivent envisager la sentence appropriée qui doit être imposée et doivent prendre en compte les éléments de preuve présentés et les observations faites lors du procès qui sont pertinents pour la sentence. Une audience de détermination de peine est tenue pour entendre les éléments de preuve supplémentaires ou les observations sur la sentence. Une fois la sentence prononcée, le nombre d’années déjà passées dans le centre de détention de la CPI seront déduit de la peine à purger.