La légalité de l’interception des communications par les enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI) et les autorités hollandaises est remise en question dans le cadre des appels déposés par Jean-Pierre Bemba et ses quatre complices, qui ont été déclarés coupables de subornation de témoin en octobre dernier. Les cinq condamnés dont les peines seront prononcés plus tard dans le mois, font appel de leurs condamnations.
Dans une demande déposée le 14 février 2017 aux juges d’appel, l’avocat de Jean-Jacques Mangenda Kabongo affirme que sa condamnation « reposaient de façon décisive »sur une surveillance téléphonique qui avait été autorisée sur la base de registres financiers obtenus et examinés par le Bureau du Procureur (BdP) sans aucune autorisation judiciaire. L’avocat Christopher Gosnell a soutenu que la Chambre de première instance avait fait une erreur en admettant les informations provenant de la surveillance téléphonique. Tout en décrivant les interceptions comme ayant constitué « une grave violation des droits de l’homme fondamentaux », Me Gosnell a invité les juges à annuler toutes les condamnations prononcées à l’encontre de M. Mangenda.
Jusqu’au mois de novembre 2013, M. Mangenda a été le chargé de la gestion des dossiers dans l’équipe de défense de M. Bemba dans le procès de l’ancien chef d’opposition congolais pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. M. Mangenda, l’ancien avocat de la défense principal d’Aimé Kilolo Musamba, M. Bemba, le témoin de la défense Narcisse Arido et le membre du parlement congolais Fidèle Balala Wandu ont été accusés et condamnés pour subornation de témoin.
Les juges ont conclu que les cinq accusés étaient coupables de diverses atteintes à l’administration de la justice, contraires à l’article 70 de la loi fondatrice de la Cour, le Statut de Rome. Ces atteintes étaient liées à des faux témoignages de 14 témoins de la défense dans le procès principal de M. Bemba.
Les avocats de la défense ont toutefois tenté de démonter les preuves de l’accusation au procès, qui reposent principalement sur les communications interceptées entre M. Bemba et ses avocats et entre les avocats de la défense et les témoins.
Melinda Taylor, qui représente M. Bemba, a soutenu que les juges avaient commis une faute en s’appuyant sur des éléments de preuve qui avaient été obtenus par des moyens qui violaient la loi fondatrice de la Cour et les droits de l’homme internationalement reconnus. Elle a indiqué que ces informations comprenaient des enregistrements obtenus du service de transfert de fonds Western Union, des enregistrements de données d’appel et des interceptions recueillies auprès du centre de détention de la CPI.
Me Taylor affirme que la condamnation de M. Bemba repose sur des informations qui auraient dues être exclues en vertu d l’article 69(5) du Statut de Rome et de la règle 73(1) du Règlement de procédure et de preuve étant donné l’absence d’un système efficace et impartial d’identification et de sélection des informations confidentielles et en raison d’une définition juridique erronée du terme confidentialité.
L’article 69(5) stipule que la Cour doit respecter et observer les règles de confidentialité telles qu’elles sont énoncées dans le Règlement de procédure et de preuve. Entretemps, la règle 73(1) énonce que les communications entre une personne et son conseil sont couvertes par le secret professionnel ; en conséquence, la divulgation de leur contenu ne peut être ordonnée. La règle prévoit certains motifs de divulgation de ces informations, à savoir lorsque l’intéressé y consent par écrit ou lorsque l’intéressé a volontairement divulgué le contenu de ces communications à un tiers, qui le révèle par la suite.
Les avocats de M. Wandu ont également soutenu que les enregistrements de Western Union et les interceptions effectuées au centre de détention de la CPI et ailleurs ne devraient pas faire partie des preuves utilisées pour prendre une décision sur la condamnation.
Les avocats de la défense ont également contesté certaines constatations de fait du jugement de condamnation. Me Taylor a argué que les constatations de fait n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle M. Bemba avait eu l’intention de commettre les délits poursuivis sur la base de l’article 70 ou qu’il avait intentionnellement apporté une contribution essentielle à la réalisation des aspects matériels des délits ou demandé aux 14 témoins de fournir des témoignages sous serment que M. Bemba savait être faux.
Me Taylor a soutenu que face à une « lacune de témoignage », les juges avaient basé leurs constatations concernant M. Bemba sur des éléments de preuve qui n’étaient pas fiables, notamment 14 constatations qui n’étaient appuyées par aucune preuve, 35 constatations qui étaient fondées uniquement sur des interceptions codées et non authentifiées impliquant un co-accusé qui n’a jamais témoigné, 15 constatations qui n’étaient basées que sur des rumeurs faites par des tiers et 10 constatations qui provenaient uniquement d’enregistrements fortement désynchronisés.
Entretemps, les avocats de M. Wandu ont déclaré que le jugement exagérait le rôle financier exercé et y avait attribué à tort un élément criminel. Ils ont également soutenu que les juges avaient mal compris les conversations codées entre M. Bemba et M. Wandu et a également souligné le système d’enregistrement défaillant au centre de détention qui selon eux rendait impossible pour les juges de bien comprendre les conversations.
Les avocats de M. Mangenda ont critiqué les juges pour avoir omis de faire une distinction claire entre sa connaissance « des personnes qui avaient participé à une conversation avec des témoins sur le contenu de leur témoignage » et M. Kilolo, « l’exécutant supposé de la préparation illicite ». Ils ont nié qu’il ait participé à un plan commun pour soudoyer ou pousser les témoins à apporter un faux témoignage.
Selon Me Gosnell, la connaissance de M. Mangenda du contenu des discussions relatives à la préparation des témoins dépendait exclusivement des informations qui lui étaient fournies par M. Kilolo. Ainsi, les conversations téléphoniques de M. Mangenda avec M. Kilolo reflétaient, pour autant que M. Mangenda ait été au courant à l’époque, « une préparation des témoins zélée mais permise et qui était conçue pour garantir que les témoignages soient présentés de la manière la plus favorable à M. Bemba ».
Kilolo et M. Arido devraient déposer des arguments en appui de leurs appels, qui seront présidés par la juge Silvia Fernández de Gurmendi. La date limite pour le dépôt de documents détaillés en appui des appels des équipes de défense est le 18 avril.