Cette semaine, le procès du chef de l’opposition congolais Jean-Pierre Bemba s’est poursuivi avec le témoignage de personnes ayant été violées par des soldats qui auraient appartenus au Mouvement pour la libération du Congo (MLC), le groupe militaire que M. Bemba a créé et dirigé. Les juges ont entendu des témoins affirmant que les troupes de M. Bemba avaient violé des hommes, des femmes et des enfants.
Lundi, le ‘‘témoin 68’’ a commencé sa déposition et a déclaré à la Cour, présidée par le juge Sylvia Steiner, qu’elle avait été violée par deux soldats du MLC tandis qu’un troisième soldat se tenait debout sur ses bras afin de s’assurer qu’elle demeure au sol. Le témoin a également indiqué que le jour où elle a été violée, sa belle-sœur avait été violée collectivement par trois soldats et qu’elle était morte de complications de santé apparemment liées à cette agression.
Le ‘‘témoin 68’’ a elle-même expliqué que, après son viol, des examens médicaux avaient établi qu’elle avait le VIH/sida, bien qu’elle ne soit pas en mesure de dire si les hommes congolais qui l’avaient violée étaient les personnes qui l’avaient infectée avec le virus.
Vendredi, après que le ‘‘témoin 68’’ ait fini de déposer, l’accusation a cité à comparaître son sixième témoin. Désigné par le pseudonyme de ‘‘témoin 23’’, l’homme a raconté comment trois combattants du MLC l’avaient violé devant ses femmes et ses enfants, et qu’ils avaient ensuite violé ses femmes et ses enfants sous ses yeux. Il a déclaré que les soldats avaient tué par balle une de ses femmes bien qu’il n’ait pas précisé en séance publique la raison pour laquelle ils l’avaient abattue.
Les deux témoins qui ont comparu cette semaine ont bénéficié de mesures de protection, dont l’utilisation d’un pseudonyme, la déformation numérique de la voix et du visage ainsi que le fait de donner une partie de leur témoignage à huis clos.
Au début des audiences de la semaine, le juge président Sylvia Steiner a indiqué que, afin d’évaluer l’état du ‘‘témoin 68’’ par un psychologue de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU), une personne ressource du VWU sera assise à côté du témoin dans la salle d’audience et qu’un psychologue sera présent afin de surveiller le témoin.
Les juges ont également confirmé les recommandations des psychologues du VWU pour que le témoin ne soit interrogé que par des questions courtes, simples et ouvertes. Le juge Steiner a demandé aux parties que l’interrogatoire du ‘‘témoin 68’’ soit réalisé sans confrontations et qu’elles s’assurent que les questions embarrassantes soient évitées ou formulées le plus délicatement possible.
Lors de son témoignage, le procureur principal Petra Kneur a demandé au témoin de décrire comment elle se sentait à présent.
Elle a rétorqué : « Mon moral est au plus bas. J’ai une tendance à la dépression et lorsque je vois un soldat ou un homme armé, je suis effrayée. Même sur une route, j’ai très peur ».
L’accusation a déclaré que les soldats du MLC avaient infecté des femmes centrafricaines avec le sida lorsqu’ils auraient perpétré leurs viols, meurtres et pillages généralisés en 2002 et 2003. Les troupes étaient présentes dans le pays pour aider le président de l’époque, Ange-Félix Patassé, à écarter une tentative de coup d’état. M. Bemba, le dirigeant du MLC, est jugé devant la Cour pénale internationale (CPI) pour ne pas avoir arrêté ou puni les troupes qui avaient commis ces crimes.
Le ‘‘témoin 68’’ a précisé que les soldats qui avaient commis ces actes parlaient lingala, une langue congolaise qui lui était familière car elle avait rencontré plusieurs femmes congolaises qui le parlaient. Elle a également déclaré que les rebelles qui soutenaient le chef d’état-major révoqué François Bozizé dans sa tentative de coup d’état contre le président Ange-Félix Patassé respectaient les civils.
« Ils [les rebelles de Bozizé] ne faisaient pas de mal aux gens. Ils se déplaçaient juste en groupes. Je ne les ai jamais vu faire quelque chose de [mauvais] en particulier », a-telle indiqué. Selon elle, les rebelles se battaient au côté de soldats tchadiens qui portaient des turbans.
Elle a indiqué être en mesure de dire que les soldats qui avaient commis des atrocités étaient congolais car ils utilisaient le lingala, une langue qu’elle savait être parlée en République démocratique du Congo (RDC).
« Quelle langue parlaient les soldats de la FACA [les forces armées de la RCA] ? », a demandé Mme Kneur.
« Il s’agit de centrafricains et lorsqu’ils s’expriment, ils parlent sango. Si une personne sait comment s’exprimer en français ou en anglais, elle peut parler cette langue », a répondu le témoin.
Pour sa part, le ‘‘témoin 23’’ a indiqué que, pendant une période de quatre jours, les soldats congolais avaient violé à de nombreuses reprises ses enfants et ses femmes. « Lorsqu’ils avaient envie de coucher avec une femme, ils revenaient [chez moi] », a-t-il indiqué. Il a ajouté que les soldats avaient tué par balle une de ses femmes.
Il a précisé que le calvaire de son viol avait duré quatre heures, de dix heures du matin à deux heures de l’après-midi environ. « Mes femmes et mes enfants étaient tous présents. La seule qui m’ait laissé est celle qui a réussi à s’enfuir et la seconde, après qu’une fusillade soit survenue, s’est effondrée et est tombée immédiatement malade », a indiqué le ‘’témoin 23’’. La troisième [femme] est restée. Elle était là et a tout vu. Avec mes femmes et mes enfants, nous avons subi tout cela ».
L’avocat de l’accusation Thomas Bifwoli a demandé au témoin ce qu’il avait ressenti après avoir été violé devant ses femmes et ses enfants
« J’ai eu l’impression de mourir », a répondu le témoin. « Ensuite, chaque fois que je voyais un zaïrois [congolais], je ressentais toujours l’envie de l’attraper et de l’étrangler. Mais je ne peux rien faire ».
Lors de son exposé introductif présenté au début du procès de M. Bemba, fin novembre, le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo a déclaré que des soldats du MLC avaient violé des hommes centrafricains en public afin d’anéantir leur autorité ainsi que leur capacité à diriger.
« Le message qui sous-tend ces viols est particulièrement évident de la part du MLC par le ciblage et la sélection des hommes violés, des hommes ayant tous des postes de responsabilité, des dirigeants locaux qui protègent la collectivité », a-t-il déclaré.
Il a également indiqué que les soldats de M. Bemba avaient pris son véhicule, son moulin à tapioca et son générateur parmi d’autres biens de valeur. « J’étais une personne comblée et je me retrouve sans rien », a-t-il déclaré.
Le ‘‘témoin 68’’, qui est le cinquième témoin à charge à se présenter au procès Bemba, a également parlé des pillages qui auraient été commis par les soldats congolais. Elle a indiqué que les soldats qui l’avaient violée avaient pris son sac contenant des vêtements et de la nourriture.
Lors du contre-interrogatoire, l’avocat de la défense Peter Haynes a montré au ‘‘témoin 68’’ une carte de la ville de Bangui et lui a demandé d’indiquer le palais présidentiel ainsi que le quartier dans lequel elle avait été agressée le 27 octobre 2002. M. Haynes a ensuite affirmé que le témoin avait été violé dans une zone qui était sous le contrôle des rebelles de M. Bozizé. Il a ajouté qu’aucun soldat du MLC n’était entré en RCA avant le 30 octobre 2002.
M. Haynes a précisé que, bien que le témoin ait raison sur le fait qu’il avait été fait état de l’entrée des troupes du MLC en RCA le 27 octobre 2002, ces dernières étaient à ce moment-là loin de son lieu d’habitation.
Entretemps, jeudi, le ‘‘témoin 68’’ a été très étonné lorsque la défense a montré une copie du certificat médical qu’elle aurait présentée lors de sa demande de participation au procès. Le témoin a déclaré qu’elle n’avait pas présenté de certificat car elle l’avait perdu.
De même, elle a indiqué que le récit manuscrit relatant le calvaire de son viol qui était annexé à sa demande n’était pas de sa main. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais vu le certificat ou le récit manuscrit avant que la défense ne les présente aujourd’hui devant elle.
Le ‘‘témoin 68’’ a déclaré que, après avoir été violée par deux soldats appartenant au MLC, elle s’était rendue auprès d’une organisation non gouvernementale, Médecins Sans Frontières (MSF), pour un examen médical. Elle a précisé que l’examen avait montré qu’elle avait le VIH/sida et d’autres infections transmises sexuellement.
Par la suite, elle avait rencontré les enquêteurs du Bureau du Procureur (BdP) de la Cour qui lui avaient demandé le certificat médical mentionnant les résultats de l’examen. Elle a déclaré être incapable de produire ce certificat puisqu’elle l’avait perdu et le médecin qui l’avait examiné a indiqué ne pas avoir le certificat original.
Pourtant, M. Haynes a présenté aujourd’hui un certificat médical et un récit manuscrit de l’histoire du témoin, deux documents qu’il a dit provenir de sa demande de participation, en tant que victime, au procès Bemba.
« Vous ne savez rien concernant le certificat qui est joint au document [manuscrit]. Il semblerait que quelqu’un ait écrit votre récit et trouvé ou réalisé une autre copie du certificat joint. Est-ce ainsi que cela s’est passé ? », a demandé M. Haynes.
« Je ne sais rien à ce sujet. Je ne sais pas comment ces documents se retrouvent ici », a répliqué le témoin.
« S’il s’agit d’un formulaire de demande de participation en tant que victime à votre nom, vous ne l’avez pas rempli. Est-ce exact ? », a poursuivi M. Haynes.
« J’ai dit aux membres du Bureau du Procureur avec lesquels je travaillais que j’avais fait une déposition orale. Je n’ai pas utilisé de stylo pour écrire quoi que ce soit. J’ai apporté mon témoignage oralement et non avec un stylo ou un crayon », a-t-elle répondu.
Le témoin n’a pas précisé en séance publique la date à laquelle elle s’était rendue auprès de MSF pour effectuer son examen médical. Elle a affirmé, cependant, avoir rencontré les enquêteurs de la CPI en 2005. Elle a apporté l’essentiel de son témoignage à huis clos.
Le « témoin 23 » poursuivra sa déposition lundi.