Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Eric Witte

Le procès de Jean-Pierre Bemba va se pencher sur qui s’est passé en République centrafricaine (RCA) entre le 26 octobre 2002 et le 15 mars 2003. Mais pour condamner M. Bemba, il ne suffira pas seulement que l’accusation prouve que des civils et autres personnes protégées ont été victimes de crimes. Il faudra également que les procureurs établissent que M. Bemba est pénalement responsable des crimes allégués, et aussi qu’ils prouvent aux juges que M. Bemba avait un lien particulier avec les forces qui ont directement commis les crimes présumés en République centrafricaine. Bref, l’accusation cherchera à prouver que M. Bemba avait la « responsabilité de commandement » pour ces crimes.

Définition de la responsabilité de commandement

La responsabilité du commandement est la responsabilité légale d’un chef militaire ou d’un supérieur hiérarchique civil pour les crimes commis par des membres subalternes des forces armées ou d’autres personnes sous leur contrôle. Un commandant peut être tenu pour pénalement responsable, même s’il n’a pas donné l’ordre de commettre les crimes. Il suffit que le commandant n’empêche pas, ne réprime pas ou ne punisse pas l’exécution des crimes par ses subordonnés.

Le principe de la responsabilité de commandement a d’abord été utilisé dans les procès de Nuremberg et de Tokyo après la Seconde guerre mondiale. Depuis lors, il a abouti à des condamnations devant les tribunaux, y compris ceux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie. A la rédaction du Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 1998, son article 28 a également créé la possibilité qu’un individu puisse être pénalement tenu pour responsable sur la base de la responsabilité de commandement. Avec le procès Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo c’est la première fois qu’un procès de la CPI sera fondé sur l’article 28.

Arguments possibles de l’accusation et de la défense

Les juges de la Chambre de première instance III seront sur le qui-vive, pour voir si l’accusation peut apporter certains éléments de preuve nécessaires pour décider que M. Bemba avait la responsabilité de commandement pour les crimes. (Par ailleurs, l’accusation a également la charge de prouver que les membres du MLC ont commis les crimes en RCA.) Au cours de l’audience de confirmation des charges, l’accusation et la défense ont déjà soulevé des arguments au sujet de ces exigences. Nous pouvons nous attendre à ce que tous ces arguments soient à nouveau soulevés lors du procès de M. Bemba.

Est-ce que M. Bemba exerçait un commandement et un contrôle effectif sur le MLC?

Pour que la responsabilité de commande s’applique, l’article 28 exige qu’un chef militaire accusé exerce un  « commandement et un contrôle effectifs » sur les forces qui ont directement commis les crimes. Dans son document amendé contenant les charges du 30 mars 2009, le Bureau du Procureur fait valoir que cette description s’applique à M. Bemba et au Mouvement pour la Libération du Congo (MLC). Le Procureur affirme que, pendant la période où les crimes auraient été commis en RCA, M. Bemba était le Président et Commandant en chef du MLC. Le Procureur a également fait valoir que M. Bemba exerçait un commandement et un contrôle effectifs sur le MLC. Au procès, l’accusation va prouver qu’au moment même où les forces du MLC étaient en RCA, M. Bemba donnait des ordres que ses soldats exécutaient, il dirigeait et imposait la discipline aux commandants du MLC, et il avait le pouvoir de prévenir et de réprimer la perpétration de crimes.

Au cours des audiences préalables au procès de confirmation des charges, la défense a soutenu que M. Bemba n’exerçait pas de commandement et de contrôle effectifs sur les forces du MLC. Ce sera probablement un argument central de la défense de M. Bemba au cours du procès. Plus précisément, la défense va rappeler que c’est celui qui était alors le président de la RCA Ange Félix Patassé qui a invité le MLC dans le pays. Ils vont faire valoir que le MLC a travaillé en étroite collaboration avec l’armée de la RCA, ce qui signifie que pendant ce temps, c’est l’ancien président Patassé, et non M. Bemba, qui avait le commandement et le contrôle sur les forces du MLC. En outre, la défense va probablement faire valoir que M. Bemba ne pouvait pas exercer de commandement effectif sur le MLC, car il n’était pas en contact assez régulier, et les rapports qu’il recevait du front militaire n’étaient pas assez détaillés.

Est-ce que M. Bemba savait, ou aurait dû savoir, que ses forces commettaient des crimes?

Pour que la responsabilité de commandement s’applique, l’article 28 exige ce qui suit : le commandant savait ou « aurait dû savoir que les forces commettaient ou allaient commettre ces crimes ». L’accusation fera valoir qu’il y a plus que suffisamment de preuves pour montrer que M. Bemba savait, ou au moins aurait dû savoir, que ses soldats commettaient  des crimes. Elle va soutenir que M. Bemba s’est rendu en RCA pendant la campagne militaire, a fait mention de crimes de guerre dans des conversations privées et dans les discours à ses troupes, et a suspendu deux commandants soupçonnés de pillage. En outre, l’accusation va probablement soutenir que M. Bemba avait d’excellents moyens de communication avec ses forces, et a fait un bon usage de ces moyens. Même s’il ne pouvait pas entendre parler des crimes par ces moyens, l’accusation fera valoir que M. Bemba en aurait certainement entendu parler dans les médias locaux et internationaux. Et enfin, l’accusation attirera l’attention sur une lettre de M. Bemba adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies au cours de la campagne militaire, et dans laquelle il a nié les accusations de crimes de guerre contre ses troupes. Selon l’accusation, il fallait que M. Bemba soit au courant de telles accusations pour pouvoir les rejeter.

Sur la base des arguments présentés lors de l’audience de confirmation des charges, on peut s’attendre à ce que la défense de M. Bemba soutienne que M. Bemba était en République démocratique du Congo au cours de la campagne militaire et n’a pas reçu d’informations concrètes de sa chaîne de commandement sur les présumés crimes. La défense fera valoir que M. Bemba a rempli son obligation de savoir, en recevant des rapports réguliers du terrain, mais que ces rapports omettaient le détail des opérations et des crimes présumés.

Est-ce que M. Bemba a agi pour empêcher, interrompre, ou punir l’exécution de crimes par ses forces?

En soi, le fait de commander et de contrôler effectivement une force qui commet des crimes connus du commandant (ou dont les crimes devraient être connus du commandant) ne suffit pas à établir la responsabilité de commandement. L’article 28 a une autre exigence: que le commandant « ne prend pas toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir pour empêcher ou réprimer » l’exécution des crimes, ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites.

On peut s’attendre à ce que l’accusation soutienne que la réponse de M. Bemba aux rapports sur les crimes du MLC n’était pas suffisante. L’accusation va probablement faire valoir que la formation subie par les membres du MLC n’était pas efficace et son code de conduite n’était pas largement accessible à ses soldats. Elle va aussi attirer l’attention sur le petit nombre d’officiers du MLC ayant fait l’objet de mesures disciplinaires pour des crimes commis en RCA et la peine minimale laquelle ils ont été condamnés, pour montrer que les efforts pour réprimer les crimes n’étaient pas sincères. De même, l’accusation dira que le discours de M. Bemba à un petit nombre de soldats pour les mettre en garde contre les graves conséquences de l’indiscipline, et une invitation tardive à l’ONU d’enquêter ne sont pas des réponses suffisantes à la situation en RCA.

On peut s’attendre à ce que la défense soutienne que M. Bemba a bien pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir pour empêcher ou réprimer les crimes commis par les troupes du MLC. Elle va faire valoir que les troupes du MLC ont reçu une formation militaire complète, y compris sur l’importance de la législation en matière de droits de l’homme. Elle va attirer l’attention sur un code de conduite du MLC qui a été publié, et sur un système judiciaire militaire du MLC qui a servi à appliquer des mesures disciplinaires à des soldats pour des crimes commis au cours de la guerre en RCA. On peut s’attendre à ce que la défense soutienne que l’appel de M. Bemba en faveur d’une enquête de l’ONU sur la situation en RCA et un discours aux forces du MLC représentent tous les deux des efforts considérables pour empêcher et punir l’exécution de crimes.

Une question d’interprétation

Bien qu’il y ait eu dans d’autres tribunaux pour crimes de guerre des cas où on a réussi à engager des poursuites sur la base de la responsabilité de commandement, cette affaire sera la première à la CPI. Le langage de l’article 28 du Statut de Rome qui sera utilisé dans ce procès décrit la responsabilité de commandement en ce qui concerne un chef militaire d’une manière un peu différente de celle des lois pour les tribunaux du Rwanda et de la Yougoslavie. Pour ces tribunaux, l’accusation doit démontrer que le commandant « savait ou avait des raisons de savoir » que des crimes étaient entrain d’être commis pour que la responsabilité de commandement s’applique. Comme nous l’avons vu, le Statut de Rome impose à l’accusation de montrer que chef militaire « savait … ou aurait dû savoir » que ses forces commettaient ou allaient commettre des crimes. Cette formule – «aurait dû savoir» – semble impliquer que le commandant a le devoir de savoir ce que ses troupes font. L’interprétation que feront les juges de la CPI de cette partie du Statut de Rome pourrait revêtir une grande importante pour le résultat final de l’affaire.

1 Commentaire
  1. Je ne peux que prendre acte de ce commencement.Mais jusqu’à quand ce silence de mort de cette même CPI durera t-il pour des cas similaires tels que: Les disparus de la fin de campagne de Etienne Tshisekedi, Les adeptes de Bundu dia Kongo, Les manifestants de janvier 2015 à Kinshasa…..?


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