Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Le procès pour crimes de guerre de l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, s’est ouvert lundi avec la comparution du premier témoin qui a relaté les viols et les meurtres commis par les soldats de M. Bemba en République centrafricaine (RCA).

Il s’agit du premier procès à se tenir devant la Cour pénale internationale (CPI) dans lequel un chef militaire est tenu pénalement responsable des crimes commis par ses troupes. Ce procès revêt également une grande importance puisqu’il implique la plus haute personnalité politique jamais jugée par la Cour depuis qu’elle a débuté ses activités, il y a huit ans. De plus, le procès entendra un grand nombre de dépositions sur l’utilisation du viol comme arme de guerre.

Désigné par le pseudonyme de ‘‘témoin 38’’, le premier témoin de l’accusation a déclaré à la Cour que les troupes congolaises de M. Bemba avaient été invitées en RCA par le président de l’époque, Ange-Félix Patassé, pour l’aider à repousser une rébellion armée. Le témoin a évoqué le traitement d’honneur reçu par M. Bemba pour son voyage jusqu’à Bangui, la capitale de la RCA, ainsi que pour son discours devant ses soldats dans la base militaire d’une banlieue dénommée PK12.

M. Bemba, âgé de 48 ans, est détenu à la Cour pénale internationale (CPI) depuis juillet 2008. Bien que M. Bemba n’ait pas été présent sur le sol centrafricain avec ses troupes au moment où ses troupes auraient violé, tué et pillé, il est jugé devant la Cour puisque les procureurs soutiennent qu’il porte la responsabilité de ne pas avoir empêché ces exactions ou puni les soldats ayant commis ces crimes.

Le ‘‘témoin 38’’ a indiqué à la Cour que les troupes avaient non seulement commis des actes de vol, de bastonnade et de viol mais également des actes de persécution. « Les personnes qui n’avaient pas été battues avaient été attaquées sur le plan psychologique par les rebelles de Bemba. Par exemple, un soldat avait demandé à un jeune homme de sortir son pénis puis l’avait touché avec le canon de son arme. Il n’avait pas été agressé physiquement mais atteint psychologiquement. Il y a eu plusieurs incidents de ce type », a-t-il déclaré.

Le témoin a ajouté : « Ils avaient des fouets, des bâtons à l’extrémité desquels ils avaient fixé des morceaux de caoutchouc ou de cuir et ils utilisaient ces outils pour frapper les civils centrafricains ».

Le procureur adjoint Fatou Bensouda a demandé au témoin si l’armée de la RCA avait également commis des atrocités sur des civils. « Je crois, qu’à cette période, le président Patassé pensait avoir été trahi par son armée et c’est la raison pour laquelle il a fait appel… aux rebelles de M. Bemba. Il ne faisait plus confiance à son armée, c’est pourquoi il a donné aux rebelles de M. Bemba toute latitude pour agir. Cela signifie que les rebelles étaient en quelque sorte les chefs de notre propre armée », a répondu le témoin.

Lors du contre-interrogatoire mené par la défense, le témoin a affirmé que les soldats de la RCA n’avaient jamais commis d’atrocités sue les civils lorsque les troupes de M. Bemba étaient présentes dans ce pays. La défense a cherché à établir si le témoin était certain que les militaires qui avaient violé et tué des civils, et qui avaient commis de nombreux actes de pillage, appartenaient réellement au MLC.

Jeudi, l’avocat de la défense Peter Haynes a demandé au ‘‘témoin 38’’ si l’armée de la RCA avait collaboré avec les combattants du MLC lorsqu’ils étaient dans le pays.

« Dire qu’ils ont coopéré signifie que l’armée de la RCA était impliquée dans les vols et les viols. Pour autant que je sache, non. L’armée de la RCA était presque réduite à néant, privée de toute autorité », a répondu le témoin.

Vendredi, cependant, le témoin a reconnu que les soldats de la garde présidentielle de M. Patassé avaient également commis certaines atrocités et en particulier dans une localité dénommée PK13. Il a indiqué qu’une personne du nom de Martin Koumtamadji, alias Colonel Abdoulaye Miskine, qu’il a décrit comme le bras droit de M. Patassé, avait mené une expédition punitive sur un marché où des insurgés tentant de renverser M. Patassé avait commencé à installer une base.

Mardi, le témoin a commencé son témoignage par la description du viol d’une petite fille qu’il pensait être âgée de huit ou neuf ans. « Lorsqu’ils [les combattants de M. Bemba] sont arrivés, ils sont entrés dans la maison, ils ont attrapé la mère mais parce la petite fille était encore ‘‘fraîche’’, ils ont préféré la fille à la mère. Ils l’ont violée devant sa mère ».

Dans son exposé introductif, le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo a déclaré que des témoignages démontrant que les troupes de Bemba utilisaient le viol en tant qu’arme de guerre seraient présentés devant la Cour. M. Bemba, dont le procès est entendu par le juge président Sylvia Steiner et les juges Joyce Aluoch et Kuniko Ozaki, est accusé de deux chefs de crimes contre l’humanité et de trois chefs de crimes de guerre.

Le témoin a bénéficié pour sa déposition de mesures de protection, notamment de l’utilisation d’un pseudonyme, de la déformation numérique de son visage et de sa voix et l’essentiel de son témoignage à huis clos s’est déroulé à huis clos. Bien que son identité n’ait pas été dévoilée, il a indiqué avoir rassemblé des civils dans les banlieues de Bangui, la capitale de la RCA, afin qu’ils résistent aux soldats du MLC.

La défense a précisé qu’il y avait beaucoup de milices dans les zones où se trouvait le MLC et qu’il n’était, par conséquent, pas possible d’attribuer les atrocités commises dans ces zones à une milice en particulier. Toutefois, le témoin a déclaré à la Cour qu’il n’y avait que les combattants du MLC qui commettaient des atrocités contre les civils. Il a également précisé que l’attitude des rebelles du MLC était ‘‘agressive’’, ‘‘cruelle’’ et ‘‘mauvaise’’.

« Je ne veux pas les insulter et je suis désolé d’avoir à dire qu’ils se comportaient comme des animaux », a indiqué le témoin.

Lorsque M. Haynes a demandé au témoin d’indiquer sur une carte les lieux où les troupes de M. Bozizé étaient stationnées avant que le MLC ne se rende à Bangui, le témoin a répondu que les soldats étaient mobiles et que, par conséquent, il ne pouvait montrer aucun endroit particulier. Le témoin a affirmé que les soldats sous commandement de M. Bozizé n’avaient commis aucune atrocité contre les civils. M. Bozizé est l’actuel président de la RCA. 

M. Haynes a ensuite demandé au témoin s’il n’avait pas entendu les troupes de M. Bozizé déclarer qu’elles étaient prêtes à « prendre le pays par le sang » en faisant référence à leur tentative d’évincer le président Patassé par la force.

Le témoin a répliqué : « Je n’étais pas en contact avec les rebelles de M. Bozizé. Quant aux rebelles de M. Bemba, je vous ai clairement indiqué que j’avais des contacts avec certains d’entre eux ».

La défense de M. Bemba a soutenu que, une fois que les rebelles du MLC avaient traversé la frontière entre le la République démocratique du Congo et la RCA, ils étaient placés sous le contrôle de M. Patassé et non sous celui de l’accusé. En effet, les avocats de la défense ont indiqué qu’ils se demandaient pourquoi M. Patassé et François Bozizé n’étaient pas jugés à la place de M. Bemba. M. Bozizé a dirigé une tentative de coup d’état contre M. Patassé après qu’il ait été renvoyé de son poste de chef d’état-major de l’armée centrafricaine.

Cependant, M. Moreno-Ocampo a déclaré, qu’au début de leurs enquêtes, l’accusation estimait que M. Patassé et M. Bemba étaient également responsables des crimes commis en RCA. « Toutefois, les faits montrent que les troupes étaient toujours sous l’autorité, le commandement et le contrôle de Jean-Pierre Bemba et non pas sous l’autorité de Patassé et c’est la raison pour laquelle, au vu des preuves, nous avons poursuivi Jean-Pierre Bemba ».

Entretemps, au tout début du procès, la défense de M. Bemba a égrené une litanie de plaintes, faisant valoir que l’arrestation et la détention de son client était fondée sur de fausses informations que l’accusation avait fournies aux juges. La défense a également déclaré qu’étant donné que les avoirs de M. Bemba avaient été gelés à la demande de la Cour, il avait été difficile pour la défense de mener ses enquêtes avant le commencement du procès.

« Immédiatement après l’arrestation de M. Bemba, l’accusation a rapidement saisi tous les avoirs de ce dernier, y compris ses biens immobiliers et ses autres types d’actifs, mais en ne se basant sur aucune règle du Statut de Rome », a indiqué l’avocat de la défense Nkwebe Liriss. « Le Statut de Rome reconnaît effectivement la possibilité de saisir les propriétés et les avoirs qui seraient le fruit du crime commis mais aucunement les biens immobiliers que M. Bemba a acquis par le biais d’un certain nombre de sociétés dix ans avant qu’il n’ait commencé ses activités militaires ».

M. Nkwebe a exposé que, alors que les juges avaient refusé en mai 2008 d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Bemba étant donné l’insuffisance d’éléments de preuve, « pour contourner cette difficulté, le procureur avait soutenu que M. Bemba était sur le point de fuir vers une destination inconnue, obligeant ainsi la Chambre à émettre le mandat d’arrêt ». L’avocat de la défense a ajouté : « Jusqu’à présent, la défense a demandé à plusieurs reprises d’obtenir les éléments qui avaient apparemment donné à l’accusation les motifs de soutenir que M. Bemba allait fuir mais nos demandes sont restées vaines ».

Marie-Edith Douzima-Lawson, un représentant légal des victimes, a précisé que le viol constituait une grande partie des charges retenues contre M. Bemba. « Très souvent, les viols collectifs sont effectués à l’encontre de femmes ou d’enfants, même celles qui sont en période de règles », a-t-elle déclaré, ajoutant que les combattants du MLC violaient également des hommes et des femmes âgées. Selon elle, l’intention des rebelles du MLC était d’intimider, d’humilier et de terrifier les membres de la population civile qui étaient soupçonnés d‘être contre le président Patassé.

La défense poursuivra le contre-interrogatoire du ‘‘témoin 38’’ lundi 29 novembre


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