Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Eric Witte

Ce site existe pour accroître la compréhension du procès de Jean-Pierre Bemba et des questions liées au procès. Mais nous voulons également apporter à nos lecteurs les opinions de ceux qui sont le plus touchés par les événements qui font l’objet du procès, et qui peuvent être affectés par le travail de la CPI dans ce cas particulier. Qu’est-ce que le procès de M. Bemba signifie pour eux? Quelle opinion ont-ils de la CPI? L’année dernière, l’Open Society Justice Initiative a demandé à la journaliste Katy Glassborow de poser ces questions et d’autres aux populations de la République centrafricaine (RCA). Des reportages de la presse en provenance de la RCA ont également donné un aperçu de la situation. Il ne s’agit pas ici d’une étude exhaustive de l’opinion publique en RCA, mais nous espérons offrir une certaine idée des opinions qui y prévalent. Tout au long du procès, nous continuerons à vous présenter les opinions des populations de la région.

Des interviews et des rapports en provenance de la RCA montrent que c’est un pays dont la population se réjouit du procès et a plus confiance en la CPI qu’en son propre gouvernement pour rendre justice pour les atrocités commises dans le pays. Mais quelques-unes des personnes qui ont parlé avec Justice Initiative ont également des préoccupations concernant l’affaire Bemba et le travail de la Cour. Surtout, les entrevues indiquent peut-être que même si le début du procès attire l’attention des médias internationaux sur la salle d’audience de la CPI à La Haye, il reste difficile pour le citoyen moyen de la RCA de recevoir des informations sur cet exercice de la justice qui est censé le servir.

Aucune des nombreuses victimes qui ont parlé avec Justice Initiative ne croyait qu’on pourrait faire confiance au système de justice pénale de la RCA pour gérer les atrocités commises pendant « les événements », comme on appelle généralement l’époque douloureuse de 2002-2003. Comme l’explique Martin Faye de Radio Ndeke : « La population estime qu’il ne doit pas y avoir d’impunité ; les gens n’ont pas confiance à la justice ici. » Certains responsables centrafricains interrogés partagent ces doutes sur les capacités locales. Arsène Jean Bruno Minime est le président du tribunal de grande instance, le tribunal qui s’occupe des affaires civiles. Il a déclaré à Justice Initiative : «A cause de nos limites, nous ne pouvons pas juger certaines affaires pour le moment. S’il y a un autre tribunal qui peut le faire, nous nous en félicitons. » Bernadette Sayo, ministre de la Justice et ministre des Affaires sociales fait écho à ces vues. En ce qui concerne l’implication de la CPI, a-t-elle ajouté, « Le fait est qu’elle a commencé à calmer les gens, ils savent que quelque chose est en train d’être fait. »

Et en effet, les victimes approchées par Justice Initiative semblaient heureuses que Jean-Pierre Bemba soit en procès. Julien, une victime, a déclaré: « Jean-Pierre Bemba doit être envoyé en prison pour ce qu’il a fait ici. » Une autre victime, Jeanne, qui vit dans une banlieue de la capitale appelée PK12, a déclaré que les Banyamulenge (nom sous lequel est connue la milice du MLC en RCA) « nous ont chassés de notre maison, ont creusé des trous, ont déchiré nos vêtements et jeté les vêtements dans les trous pour y dormir. Ils ont cassé les fenêtres et les lits pour en faire du bois de chauffage. Les hommes de Bemba ont vécu ici pendant longtemps. Pendant qu’ils étaient ici, les enfants n’allaient pas à l’école. Nous ne pouvions pas cultiver nos champs. Ils utilisaient notre puits d’eau potable comme toilette. » Jeanne a aussi parlé des viols à grande échelle commis par des membres du MLC.

Pourquoi seulement Bemba?

Cependant pour les victimes et les autres personnes interrogées en République centrafricaine, il semblait que la plus grande préoccupation concernant l’affaire Bemba, c’était que cette affaire était la seule de la CPI qui touchait aux « événements ». Les victimes ont souligné à maintes reprises que des centrafricains, et pas seulement un chef de milice étrangère, devraient également être jugés pour des crimes commis contre des civils. Michel Alkhaly Ngady, le président d’une association de presse en RCA, a noté que l’ancien président Ange-Félix Patassé Patassé, le chef de milice Abdoulaye Miskine et d’autres personnes impliquées dans le conflit de 2002-2003 demeurent politiquement actifs, « alors nous ne comprenons pas ce qui se passe. »

Beaucoup en RCA pointent du doigt l’ancien président Patassé, en disant qu’il doit être envoyé à la Cour pénale internationale car c’est lui qui a invité le MLC dans le pays pour commencer, et parce que, soit il a approuvé, soit il n’a pas mis fin aux crimes que les membres du MLC commis. A Bangui, une victime a déclaré l’an dernier à l’Institute for War & Peace Reporting (IWPR)] [http://www.iwpr.net/report-news/locals-want-patasse-face-justice : « S’il n’est pas arrêté, cela signifie qu’il n’y a pas de justice dans le monde pour des gens comme moi. » Une autre victime, Pyta, a déclaré à Justice Initiative, « Patassé devrait être remis à la CPI », mais a noté qu’ « il est difficile d’arrêter un président. »

La perplexité est également palpable au sein de la communauté juridique centrafricaine. Marie-Edith Douzima, qui représente les victimes au procès Bemba, a remarqué que les personnes appartenant à la communauté juridique de la RCA ne savaient pas comment faire face au fait que M. Patassé n’avait pas été arrêté. Mme Douzima a déclaré à Justice Initiative : « Je ne suis pas juge, je défends les victimes mais lors de l’audience de confirmation des charges le nom de M. Patassé a été mentionné en tant que coauteur des crimes. Nous ne savons pas comment gérer cette situation en RCA.

Aux yeux de certaines personnes, l’opinion selon laquelle M. Bemba ne devrait pas être le seul à être jugé concerne également l’actuel Président François Bozizé. « Les gens pensent que c’est une injustice que Bozizé ne soit pas remis à La Haye », a déclaré le directeur d’agence de presse Alkhaly Ngady. Ceux qui souhaitent peut-être le plus voir Bozizé faire face à la justice à la CPI sont les victimes des présumés crimes de la garde présidentielle, principalement dans le nord du pays. Justice Initiative a constaté qu’il est difficile de trouver des gens disposés à discuter des actions de la garde présidentielle, dont la présence se fait sentir partout à Bangui. Au sein de la population civile, la peur de la garde présidentielle semblait évidente. Malgré tout, certains ont accepté de parler. Julien, une victime de PK12, a déclaré à Justice Initiative : «Si Bozizé est arrêté, cela signifie qu’il y a une justice sur terre comme Dieu l’a voulu, que vous soyez un président ou une personne ordinaire. »

Retournons à La Haye pour un moment, pourquoi c’est seulement Jean-Pierre Bemba et non pas par exemple l’ancien président Patassé que le Procureur de la CPI a cherché à inculper en liaison avec le conflit? L’an dernier, le procureur adjoint Fatou Bensouda a expliqué à l’IWPR [http://www.iwpr.net/report-news/locals-want-patasse-face-justice] :

« Nous sommes heureux et satisfaits des preuves de la responsabilité pénale individuelle de M. Bemba. C’est pourquoi nous poursuivons Jean-Pierre Bemba. Nous n’avons pas encore les mêmes  preuves contre Patassé. C’est pourquoi nous n’avons pas demandé un mandat d’arrêt contre lui, même s’il est co-auteur avec Bemba […] Les preuves, et seules les preuves nous font agir. Nos enquêtes se poursuivent, [mais] nous ne poursuivrons Patassé que si nous sommes convaincus que sa responsabilité pénale individuelle est établie. »

Dans le passé, le Bureau du Procureur a démenti les rumeurs persistantes selon lesquelles un mandat a été délivré contre M. Patassé et que ce mandat restera scellé jusqu’à son arrestation.

Quel est l’impact de la CPI?

Même parmi ceux qui en ont une connaissance limitée, il semble y avoir une large approbation du travail de la CPI. Pierre, un habitant de la ville de Bossangoa, a déclaré à Justice Initiative, « La CPI est comme une canne sur laquelle s’appuie une personne qui a besoin d’aide. La CPI aura une influence sur ce pays. » Certaines victimes considèrent que le procès de M. Bemba a la capacité potentielle de prévenir des crimes dans l’avenir. Par exemple, l’an dernier dans le quartier Combattant de Bangui, une femme a dit à l’IWPR [http://www.iwpr.net/report-news/locals-want-patasse-face-justice] : « Nous espérons que cela empêchera les gens de commettre des viols, sachant qu’ils peuvent être confrontés à la justice. »

Une source des Nations Unies en RCA a dit à Justice Initiative que, depuis l’arrestation de M. Bemba en Juillet 2008, les forces gouvernementales impliquées dans les conflits en cours ne semblaient plus utiliser la stratégie des atrocités contre des civils. « Peut-être que Bozizé a pris au sérieux les charges retenues contre Bemba et se fait maintenant très prudent », a précisé la source.

Est-ce que les populations de la RCA ont des informations sur la CPI?

Dans ses interviews, Justice Initiative a constaté que certaines victimes ne savaient pas que M. Bemba allait être jugé, et n’avaient même jamais entendu parler de la CPI. A l’annonce du début du procès à La Haye, les réactions ont été variées. Jeanne au PK12 a parlé de beaucoup de viols du MLC, et tout en semblant heureuse que M. Bemba soit devant un tribunal, elle a cependant estimé qu’il était préférable de ne pas penser au passé : « Quand nous écoutons la radio, les événements nous reviennent à esprit. » Une autre victime, Alphonsine, a exprimé son accord : « Nous avons un mauvais souvenir de Jean-Pierre Bemba, alors nous ne voulons rien savoir… »

Les personnes qui venaient tout juste d’entendre parler du procès semblaient désireux d’en savoir plus. Une victime de PK12 a déclaré à Justice Initiative : « Ils devraient juger Bemba en public afin que nous puissions tous voir. » Beaucoup ont été particulièrement heureux d’apprendre que la Cour peut ordonner des réparations. Mais certains ont exprimé le désir de voir la peine de mort imposée, ce qui n’est pas possible à la CPI. Comme l’a dit Christiane à Bangui : « Que la justice fasse son travail. Si à la fin ils veulent le tuer, c’est bien. S’ils prennent ses biens et paient, c’est bien aussi. Les réparations, c’est bien. Ils devraient donner de l’argent aux gens personnellement. » Beaucoup de victimes estiment que M. Bemba est un homme riche, et veulent être dédommagés pour les souffrances que, selon eux, il a causées.

Cet échantillon d’opinions sur le procès ne reflète probablement pas toute la gamme des sentiments sur l’affaire en RCA, sentiments qui peuvent également évoluer avec le temps. Il est important de noter que, depuis ces interviews, la CPI a lancé une émission de radio et s’est associé avec des stations de radio de Bangui et de ses environs pour informer les populations sur le travail de la Cour et sur le procès de M. Bemba qui doit se tenir prochainement. Cependant, alors que le procès commence, une chose est absolument claire : Communiquer ce qui se passe à la Haye aux populations les plus affectées restera un défi majeur pour la Cour et pour tous ceux qui veulent le faire. Comme l’avocat centrafricain Célestin N’Zala l’a déclaré à l’IWPR l’an dernier [http://www.iwpr.net/report-news/icc-seen-struggling-communicate], « Dans les provinces, les gens ne savent rien de la CPI. Il y a beaucoup à faire. Il faut que les gens soient sensibilisés pour savoir. »


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