Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Alpha Sesay

Avec les déclarations initiales de l’accusation et de la défense, le procès Le Procureur contre Jean-Pierre Bemba Gombo va officiellement s’ouvrir le 22 novembre 2010. Depuis plus d’un an déjà, l’accusation et la défense présentent des arguments à la Cour, et les juges de la CPI ont déjà pris des décisions importantes dans l’affaire.

Plus récemment, le 19 octobre 2010, la Chambre d’appel de la CPI a confirmé la décision antérieure des juges de la Chambre de première instance III sur une demande de la défense de suspendre le procès ou de prononcer un non-lieu. La demande de la défense et la décision de la Chambre concernaient trois questions essentielles : la complémentarité, la gravité, et l’équité du procès. Certaines de ces questions ont été l’objet de longues discussions et de larges débats par les partisans et les opposants de M. Bemba dans la région. L’un des arguments soulevés par l’équipe de défense de M. Bemba a été une accusation qu’elle partageait avec certains de ses partisans, à savoir que le Procureur cherchait à inculper M. Bemba pour des raisons politiques. A l’approche de l’ouverture du procès, le fait de passer en revue chaque argument soulevé dans la demande de la défense a non seulement aidé à la compréhension de ce sujet de débat passionné en République Démocratique du Congo (DRC) et en RCA, mais aussi donné une bonne idée des objectifs de la CPI.

Est-ce que la CPI est nécessaire en RCA?

Lorsque les Etats ont créé le traité du Statut de Rome en 1998, ils ont accepté l’idée que la nouvelle Cour Pénale Internationale ne devait constituer qu’une partie du système de justice pénale internationale. Ils ont décidé que les Etats doivent garder la responsabilité primaire en matière de poursuites pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. La CPI allait servir de complément au rôle des Etats comme cour de dernier recours.  Elle ne pourrait agir que lorsque les Etats n’auraient ni la volonté ni la capacité d’ouvrir de véritables enquêtes et poursuites judiciaires pour ces crimes.  Ce « principe de complémentarité » figure dans le Statut de Rome et impose l’une des nombreuses limites strictes à la compétence de la Cour.

Dans sa requête à la Cour du 25février 2010, l’équipe de défense de M. Bemba a argumenté que la Cour outrepassait cette limite en introduisant une affaire en relation avec les évènements de RCA. Elle a aussi, et plus spécifiquement soutenu que les autorités de la RCA avaient la volonté et la capacité d’ouvrir elles-mêmes les enquêtes et les poursuites.  En fait, selon la défense, des officiels de la RCA avaient déjà engagé des enquêtes et des poursuites en relation avec les allégations contre M. Bemba et d’autres, et il y avait actuellement une certaine activité judiciaire concernant cette affaire.

La Chambre préliminaire a examiné les arguments soulevés par la défense, l’accusation, et les représentants légaux des victimes, et a demandé des informations aux autorités de la RCA. La Chambre a noté l’existence d’archives exhaustives concernant des poursuites judiciaires pertinentes en RCA, mais a trouvé que toutes ces poursuites avaient pris fin, excepté une décision qui devait être rendue. La Chambre a également tenu compte du fait que le gouvernement a activement référé la situation à la CPI en décembre 2004. Ensuite, il n’y a plus eu d’efforts pour mener des enquêtes et des poursuites à l’intérieur de la RCA. Le gouvernement de la RCA a aussi avisé la Chambre de son incapacité à poursuivre l’affaire. En vertu de tout ce qui précède, la Chambre a rejeté l’argument de la défense selon lequel la Cour viole le principe de complémentarité en engageant des poursuites contre M. Bemba.

Est-ce que les présumés crimes sont assez graves pour être jugés à la CPI?

La CPI est une cour aux ressources très limitées. Par exemple, elle ne possède que deux salles d’audience. La CPI ne peut traiter qu’une poignée d’affaires en même temps. Le préambule du Statut de Rome réaffirme la volonté des fondateurs : « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis. » Selon l’Article 5(1) du statut : « La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. » Et l’Article 17(1)(d) du statut déclare qu’une affaire n’est pas recevable si elle « n’est pas suffisamment grave pour que la Cour y donne suite. » Mais le mot « gravité » n’est pas défini, et les juges de la CPI ont la latitude d’en définir le sens.

Dans leur demande en faveur d’une déclaration d’irrecevabilité, les avocats de la défense de M. Bemba ont soutenu que les crimes allégués par le Procureur ne remplissaient pas la condition de « gravité suffisante » pour être entendus à la CPI. La défense de M. Bemba a attiré l’attention sur ce qu’elle considérait comme un nombre très limité d’accusations précises faites par l’accusation. Elle a aussi fait remarquer que M. Bemba était poursuivi pour responsabilité de commandement – il n’aurait pas empêché ou puni l’exécution de crimes commis par le MLC. Elle a rappelé qu’au début, le Procureur voulait poursuivre M. Bemba comme co-auteur des crimes, mais que la Chambre préliminaire avait rejeté cette forme de responsabilité. Selon la défense, de par sa nature, la responsabilité de commandement est moins grave que l’exécution directe des crimes.

La Chambre de première instance III a rejeté l’argument de la défense selon lequel les allégations contre M. Bemba n’étaient pas d’une gravité suffisante pour justifier un procès à la CPI.  Ils ont fait remarquer que la Chambre préliminaire avait confirmé les cinq chefs d’accusation existant contre M. Bemba en juin 2009. Ce faisant, la Chambre préliminaire avait trouvé que la condition de gravité était remplie dans ce cas. Et, ont noté les juges, M. Bemba n’a jamais fait appel de cette décision.

Est-ce que les droits de M. Bemba ont été protégés à la CPI?

Le Statut de Rome, le Règlement de procédure et de preuve de la CPI, et d’autres documents de base de la CPI contiennent des garanties pour les droits de l’accusé. Ces droits sont bien établis dans la législation internationale sur les droits de l’homme ainsi que dans les instruments du droit pénal international. Pour qu’il y ait un procès équitable, il faut que ces droits soient respectés. En fait, la Chambre d’appel de la CPI a statué dans l’affaire Le Procureur contre Thomas Lubanga Dyilo que la violation des droits de l’accusé peut justifier la suspension de l’affaire ou un non lieu.

Dans sa requête de février 2010, la défense de M. Bemba a soutenu que cette affaire devait être suspendue ou un non-lieu prononcé parce que les droits de son client avaient été violés de trois façons différentes.

  • Premièrement, l’accusation n’avait pas montré à la défense les notes et rapports des rencontres qu’elle a tenues avec le gouvernement de la RCA et des  fonctionnaires de la justice de la RCA. Les rencontres en question ont traité du problème de la complémentarité : est-ce que les autorités de la RCA avaient la volonté et la capacité d’enquêter et d’engager des poursuites pour des crimes relatifs au conflit. Un accusé a le droit de voir toutes les preuves qu’il y a contre lui, et l’accusation est tenue de révéler à la défense toutes les preuves qu’elle recueille et qui indiquent la culpabilité ou l’innocence d’un accusé.  La défense de M. Bemba a soutenu que les réunions de l’accusation en RCA relatives aux questions de complémentarité faisaient partie de ses enquêtes et que pour qu’il y ait un procès équitable, il faudrait donc que ces notes soient partagées avec la défense.
  • Deuxièmement, la défense a soutenu qu’en voulant inculper M. Bemba, l’accusation abusait de la procédure judiciaire pour des raisons politiques. Selon elle, le Président de la RCA François Bozizé avait accusé dans le pays ses rivaux, l’ancien Président Ange-Félix Patassé et M. Bemba, pour des raisons politiques. Et pour ces mêmes raisons, ont-ils ajouté, le gouvernement du Président Bozizé avait envoyé ces affaires à la CPI. En outre, la défense de M. Bemba a aussi soutenu que le fait que son client soit inculpé à la CPI était politiquement dans l’intérêt du Président de la RDC Joseph Kabila car M. Bemba était son plus grand rival au niveau national.  La demande de la défense a aussi fait remarquer que le Procureur a rencontré le Président Kabila tout juste une semaine avant le transfert de l’affaire à la CPI par la RCA. A partir de tous ces faits, les avocats de M. Bemba ont soutenu qu’il semblait y avoir un préjugé de la part de l’accusation, et que par conséquent, le procès devrait être suspendu. Selon eux, pour que le procès se poursuive, il faudrait que l’accusation apporte la preuve irréfutable que cette apparence de préjugé était fausse.
  • Enfin, la défense a soutenu que les droits de M. Bemba ont été violés lorsque la Belgique l’a livré à la CPI. Lorsqu’elle a demandé qu’un mandat d’arrêt soit délivré contre M. Bemba en 2008, l’accusation avait cité des informations selon lesquelles il y avait le risque qu’il s’enfuie de la Belgique dans le cas contraire.  Maintenant, l’argument de la défense était que l’accusation n’avait pas rempli son obligation de révéler cette information.

Dans sa décision, la Chambre de première instance a rejeté toutes ces trois plaintes comme étant « sans fondement ». Les juges ont commencé par déclarer que lorsque la défense accuse l’accusation d’abus de procédure judiciaire, elle est tenue de prouver que cet abus a bien lieu. Il n’incombe pas à l’accusation de prouver qu’il n’y a pas eu d’abus.

Concernant la première plainte sur la divulgation, les juges n’ont identifié qu’un seul exemple où l’accusation a eu beaucoup de retard à informer la défense de l’existence d’un élément de preuve. Mais ils ont aussi trouvé que ceci n’a pas entraîné un de « préjudice matériel » pour M. Bemba.

En outre, la Chambre de première instance a déclaré que la défense n’a pas fourni de preuve à l’appui de ses accusations selon lesquelles l’accusation agissait pour des motifs politiques en cherchant à inculper M. Bemba. Au contraire, toujours selon les juges, la défense s’est contentée de spéculations et d’assertions sans fondement.

Et enfin, les juges ont décidé qu’il n’y avait pas d’irrégularités dans la façon dont la Belgique a remis M. Bemba à la CPI.

Quelques jours après que la Section de première instance ait rendu sa décision sur l’irrecevabilité de l’affaire Bemba, le 28 juin 2010, les avocats de la défense ont formé un recours et, le 26 juillet 2010, ils ont déposé des documents à l’appui de leur pourvoir contre la décision de la Section de première instance. Dans l’appel, les avocats de la défense ont invoqué quatre moyens :

  • Premièrement, ils ont soutenu que la Section de première instance avait commis une erreur en considérant que la décision d’un juge d’instruction de Bangui, en RCA, rendue le 16 septembre 2004, de ne pas poursuivre l’accusé n’était pas définitive. Après que le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bangui ait recommandé que M. Bemba n’assume pas la responsabilité des crimes commis par ses troupes en RCA, le doyen des juges d’instruction de Bangui avait rendu une décision considérant que, d’une part, M. Bemba était soustrait à l’accusation du fait de son immunité diplomatique et, d’autre part, pour défaut de preuve à son encontre. Le juge avait par conséquent rejeté tous les chefs d’accusation retenus contre lui. Selon M. Bemba, cette ordonnance du doyen des juges d’instruction de ne pas le poursuivre était concluante. Selon M. Bemba, la décision de la Chambre de première instance considérant que la décision du doyen des juges d’instruction n’était pas concluante était une erreur. Deuxièmement, ils ont soutenu que la Section de première instance s’était trompée en refusant la demande de M. Bemba de produire le rapport d’un expert indépendant sur l’application de la loi centrafricaine. M. Bemba souhaitait que le témoignage de l’expert indépendant traite de la recevabilité en RCA des accusations retenues à son encontre et de savoir si la législation centrafricaine autoriserait les tribunaux de RCA à poursuivre des personnes pour des crimes similaires à ceux prévus par le Statut de Rome. Sur ce point, la Section de première instance a jugé que la question que M. Bemba souhaitait être couverte par le témoignage d’un expert indépendant était une question de fait qui n’exigeait l’avis d’aucun expert juridique et que le témoignage précité n’apporterait aucune assistance matérielle à la Cour pour prendre position. Dans son appel, M. Bemba indiquait que la Section de première instance avait commis une erreur procédurale en ne lui permettant pas de présenter le témoignage de l’expert en question.
  • Troisièmement, ils ont soutenu que la Chambre de première instance avait estimé à tort que la RCA n’était pas en mesure d’instruire un procès de cette ampleur.
  • Et quatrièmement, que la Section de première instance avait fait une erreur en constatant que les récentes demandes de pourvoi par M. Bemba auprès des tribunaux centrafricains constituaient un « abus de procédure devant cette cour [CPI] ». Lors de sa détention à la CPI, M. Bemba a déposé des recours auprès des juridictions centrafricaines concernant des décisions antérieures rendues par la Cour d’appel de Bangui et la Cour de cassation de la RCA. Ces décisions étaient liées aux accusations retenues contre lui en RCA. La Section de première instance a considéré ces recours auprès des tribunaux centrafricains comme un abus de droit. M. Bemba a fait appel de cette décision de la Chambre de première instance arguant qu’elle avait été rendue à tort.

Toutefois, la Chambre d’appel de la CPI a rejeté les quatre moyens de recours déposés par M. Bemba et a, par conséquent, confirmé la décision de la Section de première instance statuant que l’affaire Bemba pouvait être jugée devant la CPI.

Concernant le premier moyen de recours de M. Bemba, la Chambre d’appel a décidé que la Section de première instance avait jugé à bon droit puisqu’en dépit de la décision du doyen des juges d’instruction de Bangui de rejeter les charges retenues contre M. Bemba, la Cour d’appel de Bangui et la Cour de cassation avaient toutes deux annulé la décision du doyen des juges d’instruction de Bangui et recommandé que les chefs d’accusation pesant contre M. Bemba soient maintenus.

Concernant le deuxième moyen de recours de M. Bemba, la Chambre d’appel a jugé que M. Bemba n’avait pas indiqué la raison pour laquelle la décision de la Chambre de première instance de rejeter sa demande de témoignage d’expert était une erreur et qu’il n’avait pas expliqué comment la prétendue erreur procédurale avait affecté matériellement la décision de la Section de première instance.

Pour le troisième moyen de recours de M. Bemba, la Chambre d’appel a jugé que « puisqu’il a été conclu que la Chambre de première instance n’avait pas commis d’erreur en statuant qu’il qu’il n’y avait nullement eu de décision de ne pas poursuivre M. Bemba », il n’était donc pas nécessaire d’examiner le bien-fondé du troisième moyen de recours.

Dans la décision rendue sur le quatrième moyen de recours de M. Bemba, la Chambre d’appel a décidé que M. Bemba n’avait pas « rempli les exigences minimales pour l’examen au fond de ce moyen de recours » car il n’avait pas indiqué comment la prétendue erreur procédurale avait affecté matériellement la décision de la Section de première instance.

Puisque la Chambre d’appel a rejeté les quatre moyens de recours du pourvoi de M. Bemba et a confirmé la décision de la Section de première instance jugeant que les charges retenues à son encontre (Bemba) étaient recevables devant la CPI, elle ouvre la voie à l’ouverture du procès le 22 novembre 2010.

Bien que la Section de première instance et la Chambre d’appel aient statué sur ces questions, il se pourrait que certaines d’entre elles soient soulevées de nouveau lors du procès. Il est probable que les avocats de M. Bemba cherchent à mettre tout en œuvre pour insister sur le plein respect de ses droits s’ils estiment qu’ils sont menacés.


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