Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Vous trouverez ci-dessous la transcription non officielle des exposés introductifs des représentants légaux des victimes participant au procès qui ont été présentés le 22 novembre 2010, premier jour du procès de Jean-Pierre Bemba à la Cour pénale internationale (CPI). Les exposés ont été présentés par les représentants légaux, Marie-Edith Douzima Lawson et Assingambi Zarambaud, ainsi que par Paolina Massidda, le conseil principal de Bureau du conseil public pour les victimes de la CPI.

M. Assingambi Zarambaud :

Comme le dit le proverbe, quelle que soit la durée de la nuit, le jour se lève toujours. La nuit qui a enveloppé les victimes des mercenaires du général autoproclamé Jean-Pierre Bemba n’a pas seulement duré d’octobre 2002 à mars 2003. Elle s’est prolongée également au-delà de mars 2003 jusqu’à ce jour important du 22 novembre 2010, c’est-à-dire aujourd’hui. Mais cette nuit s’étendra aussi toute la durée de ce procès, à savoir sur plusieurs mois et peut-être même sur plusieurs années. Et ce n’est qu’une fois que la justice sera rendue que les victimes pourront commencer leur processus de reconstruction, lorsqu’il est possible. Il ne s’agit ni d’un reproche ni d’un regret car la lenteur fait partie de la justice mais à la seule condition que tout ne soit pas irréversible. Il y a des milliers de victimes et le volume de travail qui a été réalisé explique ce retard.

Tout le monde connait Jean-Pierre Bemba Gombo qui est un seigneur de la guerre et qui a créé l’état situé au sud de la RCA. Il a été à la fois le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire de cet état. Il [a été] vice-président de la République [de la République démocratique du Congo, la RDC] et également sénateur. Tout le monde connait le pays dont il est originaire et tout le monde sait d’où venaient les mercenaires qui se sont rendus en RCA.

Tout le monde connait la RDC que certains qualifient de scandale géologique, faisant allusion aux richesses minérales. C’est un pays de plus de 2,4 millions de kilomètres carrés qui possède des millions d’habitants. Tout le monde connait ce pays parce c’est celui de Patrice Emery Lumumba qui a été un grand héros de la cause de l’unité et de la fraternité africaine. Mais combien de personnes connaissent les victimes, les petits commerçants pauvres et les petits agriculteurs pauvres qui sont simplement désignés par un chiffre au sein de cette salle d’audience. Qui connait ces femmes qui ont été violées, parfois en présence de leur mari et de leurs enfants ? Qui les connait ?

La République centrafricaine est également peu connue et il est difficile aujourd’hui de rencontrer quelqu’un qui sache où elle se situe. Parfois, vous devez préciser que c’est le pays de l’empereur Jean Bedel Bokassa et les gens savent alors l’identifier. Mais c’est également le pays de Barthelemy Boganda. Boganda a été aussi un grand héros de la cause de l’unité et de la fraternité africaine. Il n’est pas aussi connu dans le monde que Patrice Lumumba, probablement parce qu’il est mort avant l’indépendance de son pays.

Pour résumer, la RCA est bordée au nord par la République du Tchad, à l’est par la République du Soudan, à l’ouest par le Cameroun et au sud par la RDC et le Congo. Le fait que des mercenaires soient venus de la RDC, à savoir du pays de Patrice Emery Lumumba pour perpétuer des massacres et engendrer la désolation en RCA, la république de Barthelemy Boganda, constitue une grave insulte à ce grand défenseur de la fraternité africaine. C’est également une grave insulte à la fraternité qui a toujours uni les deux pays voisins que sont la RDC et la RCA et qui ne peut être tolérée.

A ce stade du procès, la réalité des crimes qui ont été perpétués ne peut être discutée. Des femmes ont été violées, des pillages et des massacres ont été commis. Ces faits sont intangibles. Évidemment, il est fort probable que l’on nous demande de présenter des témoins et lorsqu’une femme vous dira qu’elle a été violée – qu’elle a été violée devant son mari et ses enfants – il leur sera dit que ce sont des parents et que cela n’est pas acceptable. Vous devez avoir des certificats médicaux, etc., pour prouver qu’il y a eu viol. Dans le cas de viols, on demande aux femmes de donner tant de détails que, parfois, elles préfèrent se taire que de souffrir et de perdre leur dignité mais je crois que cela ne sera pas le cas pour ce tribunal international.

D’octobre 2002 à mars 2003, le général autoproclamé Jean-Pierre Bemba s’est rendu à plusieurs reprises en RCA où il a eu des discussions avec le président Ange-Félix Patassé, l’homme qui l’avait invité. Il s’est rendu plus d’une fois à Sibut, un des lieux où la violence a fait rage. Pourtant, il affirme ne pas savoir ce qui s’est passé. Il a indiqué ne pas en avoir eu connaissance. Par conséquent, nous sommes en droit de nous poser quatre questions.

Tout d’abord, pour la période concernée, la RDC était partiellement occupée par des armées étrangères et des mercenaires provenant d’autres pays. Pourquoi donc Jean-Pierre Bemba, qui est un général, n’a-t-il pas envoyé ses troupes pour combattre ces mercenaires qui occupaient son propre pays plutôt que de les envoyer en RCA et dans ce cas pour quelle raison ?

La deuxième question qui se pose est : N’étant pas le dirigeant d’un État reconnu à l’échelle internationale, en quelle qualité et pour quels motifs a-t-il envoyé des mercenaires – car c’est bien ainsi que nous devons les dénommer- en RCA ?

Troisièmement, a-t-il fait l’effort de lire la constitution centrafricaine ou de poser des questions au président Ange-Félix Patassé qui dit l’avoir invité dans ce pays ? L’a-t-il interrogé pour savoir si le président d’un pays avait l’autorité d’inviter une armée dans son pays pour faire la guerre sans l’autorisation du parlement de ce pays ? Je ne le crois pas.

Enfin, quatrièmement, le général autoproclamé Jean-Pierre Bemba Gombo ne nie pas s’être rendu en RCA. Il n’a pas nié non plus s’être entretenu plusieurs fois avec le président de l’époque Ange-Félix Patassé. Alors, étant donné qu’il y avait des actes de violence au moment où il s’entretenait avec le président, n’aurait-il pas pu pour le moins parler de la situation qui prévalait ? Il n’y a pas pensé ? Devons-nous supposer que lorsqu’il a rencontré le président Patassé, il n’a parlé que de la pluie et du beau temps ? La Cour devra le découvrir.

J’affirme que nous obtiendrons les réponses à ces questions grâce à votre tribunal. Et en obtenant des réponses à ces questions, il ne fait aucun doute que vous rendrez justice aux personnes qui ont été victimes de ces actes horribles et que cela permettra non seulement à ces personnes de reconstruire leurs vies, [non] seulement d’obtenir justice pour la RCA mais cela permettra à toute l’humanité et particulièrement à l’Afrique d’avoir l’assurance que ceux qui veulent continuer sur ce chemin sauront que l’impunité n’a plus cours et que si des individus continuent à perpétrer de tels actes, ils se retrouveront également devant la CPI et seront condamnés. C’est la raison pour laquelle les victimes suivront le procès avec une grande confiance car il existe des preuves et des données probantes dans cette procédure qui permettront de rendre justice aux victimes.

Mme Marie-Edith Douzima Lawson :

Je crois que l’on peut dire qu’aujourd’hui que l’heure de la vérité a sonné. Il y a enfin l’espoir de connaître la vérité sur ce qui s’est passé et sur les atrocités que les centrafricains ont subi pendant la période d’octobre 2002 à mars 2003. Oui, deux ans après l’arrestation de l’accusé et après au moins trois reports de ce procès, les attentes de ces victimes qui ont été blessées physiquement sont très importantes. C’est un moment historique pour eux. Je peux vous dire que la RCA, un pays sort d’un conflit, avait auparavant déjà été déchirée par un conflit armé interne qui s’était soldé par des meurtres et de nombreuses destructions de biens.

Néanmoins, les auteurs, même s’ils ont fait l’objet d’enquêtes, n’ont jamais été tenus responsables de leurs actes. En réalité, ils ont été amnistiés. En 2001, tout juste un an après que la CPI soit devenue opérationnelle, à savoir avant l’entrée en vigueur du Statut de Rome en juillet 2002, les troupes du MLC avaient déjà perpétré des actes de violence dans des zones de Bangui, la capitale de la RCA, pour écraser une tentative de coup d’état accompagnés de pillages systématiques. Les auteurs n’ont jamais été condamnés et c’est ainsi que, un an après cet évènement, les mercenaires congolais se sont rendus une nouvelle fois en RCA et ont commis des crimes abominables dont se souviendront pour toujours les centrafricains, les habitants de ce pays étant connus pour être pacifiques, inoffensifs, accueillants et hospitaliers.

Laissez-moi vous dépeindre brièvement le contexte. En octobre 2002, le président en exercice de la RCA, Ange-Félix Patassé, confronté à une tentative de coup d’état menée par la rébellion de son chef d’état-major a fait appel à Jean-Pierre Bemba pour qu’il lui fournisse une aide militaire. Jean-Pierre Bemba, qui était à l’époque le président et le commandant en chef du MLC, un mouvement rebelle, lui a envoyé ses troupes, communément appelées les Banyamulenge. Ces troupes ont pénétré dans la capitale Bangui après avoir traversé la rivière Oubangu, qui n’était pas sous surveillance à ce moment-là, avant de progresser vers d’autres villes du pays.

Après avoir repris les zones occupées par les rebelles centrafricains, les mercenaires congolais se sont organisés en groupes et ont commis les actes qui font l’objet du présent procès. Il s’est agit d’attaques massives et systématiques de la population civile dans le contexte d’un conflit armé. Cela est incontestable. En réalité, les civils centrafricains ont été abattus de sang froid ou égorgés s’ils résistaient au pillage de leurs biens ou de ceux de leurs proches ou simplement parce qu’ils étaient suspectés de soutenir les rebelles centrafricains. D’autres ont vu des membres de leur famille proche être enlevés pour toujours. Cela signifie qu’ils n’ont pu les enterrer, ce qui a entraîné une grande souffrance.

Le pillage était systématique et a été effectué de maison en maison. Même dans les lieux où les gens ont été tués, ils emportaient tout ce qu’ils pouvaient trouver, même les animaux domestiques et quand ils ne pouvaient rien emporter, ils saccageaient. Le viol constitue une grande part des charges retenues contre Jean Pierre Bemba. Des viols collectifs ont été fréquemment commis contre des femmes et des enfants, même celles en période de règles.

Le viol a été commis sur des enfants et même des personnes âgées dont certaines étaient des hommes, ce qui n’était jamais arrivé auparavant dans notre pays. Ces actes étaient commis en public. Ils étaient accompagnés de coups, les armes étant parfois utilisées comme instruments de viol. Le viol a été utilisé comme une arme de guerre pour intimider, humilier, terrifier et punir les membres de la population civile suspectés par ces démons de complicité avec les rebelles centrafricains.

Ces crimes ont eu des effets dévastateurs en RCA et ont provoqué généralement une grande détresse et tout particulièrement pour les victimes qui garderont des séquelles leur vie entière. Dans la réalité, les victimes de viol sont la plupart du temps des personnes vulnérables. Elles sont rejetées par la société car considérées comme ayant été souillées. Elles sont stigmatisées, traumatisées et un grand nombre d’entre elles sont infectées puis décèdent. Certaines d’entre elles tentent même de se suicider.

En Afrique en général et en RCA en particulier, la mort du chef de famille représente une perte énorme car il est habituellement responsable de plus d’une douzaine de personnes dont des mineurs qui sont maintenant livrés à eux-mêmes dans les rues car ils sont de jeunes victimes. Les victimes de pillage ont vu le fruit de plusieurs années de travail disparaître en une journée, devenant encore plus pauvres qu’elles ne l’avaient été. Les victimes que nous représentons et qui ont été autorisées à participer à ce procès sont concernés car elles ont subi un préjudice résultant des crimes imputés à l’accusé. C’est, en effet, l’existence des victimes qui explique l’accusation et c’est pourquoi le Statut de Rome donne une place d’honneur aux droits des victimes.

L’incapacité des tribunaux centrafricains de poursuivre les auteurs présumés de ces crimes malgré la ferme volonté de la RCA a fait craindre à ces victimes qu’elles n’obtiendraient jamais justice. Heureusement, la CPI existe. Ce procès suscitera par conséquent de grands espoirs, tout particulièrement parce qu’il s’agit du procès d’une personne qui est considérée comme très puissante et qui est connue pour être un seigneur de guerre. Il est en effet grand temps de mettre fin à l’impunité de ceux qui pensent être au-dessus des lois, qui pensent être intouchables pour une raison ou une autre. Il s’agira d’un grand évènement qui ne manquera pas de faire appel à la conscience d’une personne puissante qui n’a aucun respect pour les êtres humains.

Jean-Pierre Bemba est accusé d’avoir agi en tant que commandant militaire au sens de l’article 28 du Statut de Rome qui régit la CPI. En effet, il est largement reconnu que l’accusé a occupé les postes de commandant en chef et de président du MLC. Cela est apparu à travers les déclarations des témoins mais également à travers les entretiens donnés par l’accusé lui-même qui a confirmé sa position au sein du MLC et cette information a été diffusée par le biais de plusieurs documents publiés au niveau national et international et qui ont mentionné cette position. Cela a été également clairement indiqué dans des documents internes.

Á cause de ces postes stratégiques et décisifs de général, de commandant en chef et de président du MLC, la responsabilité individuelle de l’accusé en tant que chef militaire est en fait en jeu. Il ne peut en être autrement, étant donné que l’un de ses commandants a dit à ses troupes : « Vous n’avez pas de parent, vous n’avez pas de femme, vous allez vous rendre en [RCA] et vous allez tout détruire, c’est la guerre. Jean-Pierre Bemba vous envoie tuer et vous amuser ». Les crimes ont été commis sur une large échelle par ces soldats, laissant la population centrafricaine dans un total désarroi.

Il s’agit de crimes graves commis contre des civils qui n’avaient rien fait. Ils n’avaient participé à aucun combat qui ne les impliquait pas directement. En outre, les civils n’avaient rien fait à leurs attaquants. Toutes les victimes ont déclaré que les troupes du MLC étaient facilement identifiables à cause de leur langue, de leur accent et, en fait, les soldats eux-mêmes se sont présentés ainsi à leurs victimes et ils ont assez de courage pour expliquer l’objet de leur mission. Jean-Pierre Bemba doit être par conséquent tenu responsable de ses actes et de ses crimes devant la CPI et tout spécialement devant les centrafricains, qui sont très attachés à la justice et à la paix.

Mme Paolina Massidda :

Je vous parle au nom de ceux qui attendent toujours leur statut dans cette affaire, ces personnes qui ont été autorisées à exprimer leurs points de vue et leurs préoccupations, étant donné les circonstances exceptionnelles qui n’ont pas permis à la chambre de statuer sur leurs demandes avant le commencement du procès. Je parlerai donc en leur nom et je tenterai de transmettre aussi fidèlement que possible leurs histoires et leurs souhaits.

Au cours de ma présentation, je les désignerai tout simplement par le nom de victimes et j’utiliserai ce terme dans son sens large puisque les évènements qui se sont déroulés d’octobre 2002 à mars 2003 ont affecté pratiquement toute la population centrafricaine.

Briser le silence, pour une large part, c’est à quoi aspirent les victimes que je représente. Pour briser le silence du monde par rapport aux terribles évènements auxquels ils ont été confrontés, le silence étant vécu comme un obstacle à la justice et la parole comme un premier pas vers l’établissement de la vérité et vers l’obtention de l’accès à la justice. Briser son propre silence pour se libérer et pour construire un système de soutien dans sa propre communauté afin d’exister malgré le poids du passé. Briser son propre silence afin d’être entendu et pour faire connaître les injustices subies et aussi pour faire part de son expérience. Briser son propre silence afin de comprendre enfin que ce qui a eu lieu ne peut être excusé, ne peut être justifié et qu’ainsi aucun doute et aucune ambiguïté ne peuvent demeurer quant à la nature des crimes commis.

On devrait hurler que de telles choses ne doivent pas se reproduire. Il ne devrait pas y avoir de nouvelles victimes de ce genre qui brisent le silence et qui insistent sur les mots et les actes et qui identifient les crimes qui correspondent à la souffrance et aux dommages subis.

Nous devons, par conséquent, apporter une réponse à ce qui est arrivé. Les victimes que je représente témoigneront toutes, à la lumière des évènements qui leur sont arrivés, de la nature des crimes particulièrement cruels dont elles ont été victimes. Elles témoigneront également du caractère généralisé de ces crimes.

Ils étaient généralisés au regard de l’étendu des attaques et la nature des crimes était généralisée. Ils étaient répandus dans le sens géographique du terme. Ils ont couvert toutes les zones depuis Bangui jusqu’aux banlieues de la ville, PK 12, PK 22, le quartier Fou, le quartier Boy-Rabé. Ils ont été commis du Ngota au Ngale et au Mongoumba à Boale, à Bossemptélé, Bossembélé, Bozoum, et à Sibut. Ces crimes sont numériquement importants car des familles entières ont été affectés, des communautés entières ont été également touchées. Il n’y a pas eu d’exception Ces crimes étaient généralisés et il n’y avait aucune limite quant à l’âge des victimes et à leur sexe. Ces crimes n’avaient aucune limite quant à la vulnérabilité de certaines de ces victimes.

Ces crimes n’avaient aucune limite quant à la vulnérabilité des victimes et pour finir ces crimes étaient généralisés en termes de nature des crimes commis. Les victimes ont été touchées dans leur humanité, moralement, physiquement et leur bien-être matériel a été affecté. Leurs maisons ont été volées, pillées, détruites et tout a disparu. Parfois, elles ont été occupées pour un jour, trois jours, des semaines, des mois et même les objets les plus insignifiants ont été volés. Tout ce qui pouvait être utilisé a été pillé ou détruit. Les lits, les meubles, les chaises, les tables, les toitures, les encadrements de portes, les cadres de fenêtres, les chaussures, les vêtements, la nourriture, les voitures, les motos, les bicyclettes, des sommes de monnaie, les économies mises de côté pour la survie de la famille.

Le bétail a été décimé. Leurs boutiques ainsi que les revenus tirés de leurs boutiques ont été volés, ainsi que les boissons. Tout a été pillé et détruit et même parfois brûlé : leurs marchandises, leurs sacs de cassava, de riz, de maïs, leurs sacs de poisson ou de viande fumés, leur huile de palme, leurs bagages, leurs sacs de paille qu’ils utilisaient lorsqu’ils étaient sur la route ou revenaient de voyage ou lorsqu’ils étaient sur les marchés, tout cela a été volé. Les auteurs de crimes ont pénétré dans leurs maisons, leurs boutiques, leurs champs, leurs fermes, leurs concessions, leurs églises, leurs marchés, leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs centres médicaux et leurs ports.

Certaines victimes ont dû porter leurs propres biens volés par les Banyamulenge. Elles ont eu souvent à transporter ces biens qui devaient servir à leur survie mais qui servaient également de butin pour les troupes. Et elles ont dû les transporter vers la RDC, vers les rives du fleuve.

Outre le fait qu’elles ont été humiliées et prises en otage comme force de travail, elles ont également enduré des souffrances physiques et morales ainsi que des dégâts matériels. Ce pillage a souvent été accompagné de blessures morales, de blessures physiques, d’insultes, d’agressions verbales, leur dignité a été bafouée, elles ont été blessées et torturées. D’autres victimes ont vu leurs fils, filles, mères, sœurs, oncles, voisins et tantes être abattus de sang froid. Elles étaient tuées après que leurs affaires aient été volées. Tués puis volés, torturés, abattus, violés, assassinés.

Certaines victimes ont été abandonnées, dépouillées de leurs vêtements et laissées sur les routes après avoir tout perdu. Ou elles se déshabillaient elles-mêmes en se cramponnant au peu de courage et de dignité qui leur restait. Le pillage perpétré a été accompagné de destruction et de torture, de meurtre et de viol. Si l’issue n’était pas fatale, les victimes revivaient régulièrement l’évènement.

Après des années d’efforts, de privations et de travail, elles avaient finalement réussi à construire leur maison, faire un peu d’économies, nourrir leurs familles mais elles ont été laissées sans rien et ont eu à tout reconstruire. Un grand nombre de victimes n’ont pu reconstruire leurs vies et ont été par conséquent contraintes de louer des logements de mauvaise qualité, elles ont dû déménager et parfois dans des villages voisins, parfois dans d’autres pays et parfois elles ont dû partir très loin de leur pays pour oublier ce qui leur était arrivé et fuir le sentiment d’insécurité. Les victimes ont été surprises la nuit dans leurs maisons ou lorsqu’elles étaient endormies, dans la journée sur un marché, dans les champs, lorsqu’elles œuvraient à leurs activités journalières ou lors de leur retour d’autres régions du pays.

Des hommes qui provenaient du Cameroun ou du Congo après avoir trouvé des biens à revendre à Bangui. Ils ont été surpris [sur] des rivières, dans des ports, dans des bars, sur des bateaux, ils ont été surpris sur le chemin de l’école ou dans les écoles. Ils ont été parfois arrêtés, parfois enlevés, séquestrés, certains ont été libérés et ont réussi à s’enfuir. Ils ont passé un grand nombre de semaines et de mois à fuir et à se cacher dans la brousse, ils étaient épuisés, malades et blessés. Certains ne sont jamais revenus et des inquiétudes demeurent quant à la manière dont ils ont été affectés par ces évènements. Et, par conséquent, leurs familles n’ont jamais pu trouver la paix.

Des hommes, des femmes et des enfants ont disparu et cela a duré pendant huit ans. De nombreuses personnes ont été victimes de violence sexuelle quel que soit leur âge. Elles ont été victimes de viols collectifs, de viols répétés et ces actes de viol ont été commis en public, dans la rue, devant leurs mères, pères, fils, sœurs, frères et filles. Elles ont été frappées, pillées et violées, parfois emmenées sur l’autre rive du fleuve Congo. Elles ont été utilisées comme femmes à soldats, réduites à l’état l’objet sexuel et forcées de se prostituer. Elles ont perdu leur virginité, sont devenues enceintes et ont été sodomisées. Elles ont été ensuite abandonnées par leurs maris, privées de leurs enfants, de leur famille, de leur belle famille, elles ont été condamnées au silence, forcées de mentir, de se cacher et de gérer seules leur situation.

Des centaines de femmes et également des hommes ont été humiliés. Les victimes ont été humiliées devant leurs familles et devant les soldats. Elles ont été infectées par des maladies, contaminées, leur corps a tellement été traumatisé qu’il y a eu des cas de fausses couches et de bébés mort-nés. Un grand nombre de victimes ont eu des difficultés à reconstruire leurs vies. Elles n’avaient pas assez d’argent pour se soigner. Certaines sont mortes par manque de soins médicaux et n’ont pas résisté au choc et à la peine endurés. Elles n’ont pas résisté aux blessures, au sentiment de vide et d’absence, et certaines se sont affaiblies au fil des jours. Les traumatismes liés à leur terrible vécu font toujours partie de leur vie quotidienne. Il n’y a pas une seule victime qui n’ait pas été affectée par les évènements vécus huit ans auparavant en 2002 et 2003.

Aucune victime ne peut évoquer ces évènements sans serrer les dents ou même verser une larme. On aurait tort de penser que les victimes n’ont pas d’espoirs. Pourtant, ces attentes sont légitimes et ce sont les espoirs de tout individu ressent par rapport à la CPI. Ils attendent que justice leur soit rendue, de manière impartiale, indépendante, transparente et efficace. Elles espèrent être entendues et que les droits des participants soient respectés. Elles attendent une justice protectrice et réparatrice qui puisse établir la vérité pour les crimes commis.

La complexité des scénarios, des expériences de chacune des victimes, conduira la Cour à réaliser qu’elle n’est pas uniquement confrontée à des ombres de passé mais aussi au poids des lourdes ombres que les nombreuses victimes trainent derrière elle, au vide qu’elles ressentent ainsi qu’aux souffrances qui restent gravées dans leur mémoire et dans leur corps. Ces ombres sont également liées aux maladies que les nombreuses victimes traînent derrière elles comme un voile qui n’affecte non seulement leur présent et leur avenir mais également la place qu’elles occupent dans leur communauté ainsi que leur capacité à communiquer ou à intégrer un groupe, où se faire entendre ou prendre la parole équivaut parfois à être stigmatisé ou se traduit par une stigmatisation.

Par conséquent, il y a eu des crimes commis dans le passé qui font fortement écho au présent et ils deviendront un poids difficile à éviter dans l’avenir. Le choix des victimes de participer au procès est avant tout un choix individuel, qui permet à chaque victime, par l’intermédiaire de son avocat, de raconter son histoire et de partager une partie de leur connaissance des évènements. Le choix de participer est parfois un phénomène de groupe. Il unit les membres et les familles qui ont parfois été séparés par un mur de silence.

Par conséquent, je souhaite que les vues exposées par les représentants légaux lors de ce procès soient transmises aux participants et au tribunal et permettront à la Cour de relever le défi d’entendre ces victimes, avec des témoignages qui parleront de leurs préoccupations individuelles. Nous devons tous garder à l’esprit que l’histoire que nous allons tenter de raconter dans ce procès ne reflète pas que le passé mais qu’elle constitue également un passage qui mène au présent et au futur.

Rappelons-nous que lors de cette procédure, ce sont les victimes qui seront au cœur du procès car ils sont le triste motif pour lequel il est entrepris. Et leurs battements de cœur accompagneront chaque étape. Par conséquent, derrière les termes juridiques et techniques utilisés avec lesquels chaque participant devra se familiariser, n’oublions pas qu’il y a des centaines d’enfants, de femmes et d’hommes qui espèrent et qui suivent le développement de ce procès très attentivement. Les victimes que je représente aujourd’hui vous remercient de la possibilité de participer à cette procédure et d’avoir leurs voix entendues, d’être en mesure de vous faire part de leur vérité, inquiétudes et opinions.


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