Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Lors de la deuxième semaine du procès pour crimes de guerre de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, un expert des crimes contre les femmes et du trouble de stress post-traumatique (TSPT) puis une victime des soldats de M. Bemba se sont présentés à la barre.

Il y a eu trois faits saillants. Tout d’abord, l’expert a décrit les types de TSPT dont souffrent les victimes des violences sexuelles perpétrées par les soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC). Ensuite, une victime a décrit son calvaire, violée par plusieurs soldats congolais qui ont ensuite volé les biens de sa famille. Enfin, les juges ont établi des lignes directrices pour l’interrogatoire des victimes de violence sexuelle.

Le Dr Adeyinka Akinsulure-Smith, une psychologue-conseil diplômée de l’université de New York, qui a réalisé des évaluations cliniques et psychologiques de trois victimes de violence sexuelle en République centrafricaine (RCA), a déclaré qu’il y avait eu de nombreux actes de violence qui avaient principalement touché des femmes mais aussi des hommes.

« Ces types de violence sexuelle impliquent de nombreux viols collectifs, avec au moins deux auteurs contre un seul individu », a-elle précisé. « Ce type de violence sexuelle comprend des pénétrations anales, vaginales et orales ainsi que le fait d’être témoin d’actes de violence sexuelle sur une autre personne ».

L’expert a indiqué que certaines des personnes violées avaient à peine 12 ans.

Les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) accusent les membres de l’armée personnelle de M. Bemba d’avoir utilisé le viol comme arme de guerre lorsqu’ils se sont rendus en RCA pour aider le président de l’époque, Ange-Félix Patassé, à repousser une tentative de coup d’état.

Bien que M. Bemba n’ait pas été présent dans ce pays, les procureurs soutiennent qu’il est pénalement responsable des viols, meurtres et pillages perpétrés par ses troupes. En effet, il n’a ni empêché ni puni les crimes commis par ses soldats bien qu’il ait eu connaissance du fait qu’ils avaient été commis.

« D’après votre expérience professionnelle, pouvez-vous nous dire quelles sont les conséquences pour les victimes de la violence sexuelle associée à la guerre ? », a demandé le procureur principal Petra Kneur.

« Immenses », a répondu le Dr Akinsulure-Smith. Pour l’individu, il y a de graves conséquences psychologiques et physiques. Mais il y a également des répercussions familiales et sociales, à savoir celles qui affectent non seulement la personne mais aussi sa communauté et sa famille.

Le témoin a précisé que les conséquences physiques peuvent être considérables et peuvent inclure des déchirements des tissus dans les zones du vagin, de la vessie et du rectum. Il peut y avoir également d’autres blessures graves dans le système de reproduction, notamment des complications associées aux fausses couches pour les femmes qui deviennent enceintes.

« En ce qui concerne les conséquences psychologiques, ce sont celles qui sont les plus difficiles à documenter. De nombreux patients disent : ‘‘les blessures physiques guérissent mais les blessures psychologiques sont permanentes’’. Nous constatons de graves TSPT, des symptômes dépressifs et des symptômes d’anxiété », a indiqué l’expert.

Elle a indiqué que chez les femmes qui avaient subi des violences sexuelles, il y avait également « la douleur d’avoir été utilisées, d’être vues comme une marchandise endommagée, en un sens ». L’expert a également expliqué que « outre les conséquences physiques et psychologiques, il y avait aussi la honte, la culpabilité et les reproches faites aux victimes. C’est ce que j’ai constaté lorsque j’ai parlé aux gens à Bangui et en Sierra Leone ».

Mardi, le troisième témoin de l’accusation a entamé sa déposition. Sous le pseudonyme de ‘‘témoin 22’’, cette femme a raconté devant la Cour présidée par le juge Sylvia Steiner que les soldats du MLC avaient attaqué sa maison, l’avaient violée collectivement, lui avaient volé des canards et des chèvres et avaient abattu le chien de la maison.

Avant que le témoin ne commence sa déposition, le juge Steiner l’a décrit comme ‘‘très vulnérable’’ et a précisé qu’il bénéficiait de mesures de protection telles que la déformation numérique de la voix et du visage et l’utilisation d’un pseudonyme. Lors de son témoignage, le témoin a indiqué qu’il avait envisagé le suicide après avoir subi un viol collectif.

« Pouvez-vous décrire à la Cour comment vous vous êtes senti pendant l’agression ? », a demandé Mme Kneur.

« Après qu’ils m’aient attaquée, que je me sois levée et que j’ai retrouvé toute ma famille, nous avons fui. Ce jour-là, je voulais me suicider », a-t-elle répondu.

L’avocat de l’accusation a demandé si les trois hommes qui l’avaient violée portaient des préservatifs. Le témoin a répondu qu’aucun d’eux ne portait de préservatif. Elle a indiqué que tous trois avaient eu une éjaculation.

Le témoin a déclaré à la barre que les troupes du MLC avaient attaqué sa maison le 26 octobre 2002 et l’avaient violé sous la menace d’une arme. Elle a indiqué savoir que d’autres femmes avaient subi des viols collectifs perpétrés par des soldats congolais.

Entretemps, mardi, les juges ont incité les parties du procès à faire preuve de plus de circonspection lors de l’interrogatoire des victimes de viols qui se présentent à la barre. Ils ont déclaré que le ‘‘témoin 22’’ s’était vu accorder des mesures de protection spécifiques complémentaires.

« Toutes les parties devront s’assurer que le témoin est guidé dans son témoignage par l’utilisation de questions courtes, simples et ouvertes, ces questions devant être posées sur un ton non conflictuel et qui ne fasse pas pression sur le témoin », a indiqué le juge Steiner. « Qui plus est, il est rappelé aux parties que lorsqu’un témoin est interrogé sur des violences sexuelles, elles doivent formuler les questions en utilisant un langage approprié afin d’éviter une gêne et des questions inutilement indiscrètes.

Les juges ont également indiqué que, conformément aux règles 70 et 71 du Règlement de procédure et de preuve, ils devront empêcher toute tentative des parties de poser des questions visant à : (1) Inférer le consentement de la victime pour la violence sexuelle subie en raison de ses paroles ou de sa conduite, de son silence ou de son manque de résistance ; (2) Interroger sur la crédibilité, l’honorabilité ou la prédisposition sexuelle du témoin en raison du comportement sexuel antérieur ou postérieur du témoin ; et (3) Démontrer le comportement sexuel antérieur et postérieur du témoin.

Lors des deux jours précédents, le ‘‘témoin 22’’ avait raconté à plusieurs reprises comment des soldats congolais lui avaient fait subir un viol collectif. Mardi, le procureur principal Petra Kneur avait indiqué que l’accusation savait que les victimes avaient attendu huit ans pour être entendues devant la Cour et qu’elles souhaitaient peut-être saisir cette opportunité pour raconter leur histoire.

Elle a ajouté que : « Aussi, dans une certaine mesure, nous souhaitons la proposer aux victimes pour qu’elles racontent leur histoire. Toutefois, connaissant la volonté de l’accusation à contribuer à la diligence du procès et pour minimiser tout nouveau traumatisme potentiel pour la victime, nous n’interrogerons que très brièvement le témoin, avec de courtes questions directes ».

Plus tôt dans la semaine, l’avocat principal de la défense Nkwebe Liriss avait critiqué l’accusation pour avoir interrogé à de nombreuses reprises le témoin au sujet du viol et a suggéré que, lors de son contre-interrogatoire, la défense renonce à ce type d’interrogation. Néanmoins, la défense a ensuite déclaré que, finalement, elle questionnera le témoin de même manière.

Mais lors du contre-interrogatoire du témoin, la défense n’a posé que quelques questions sur le viol. La majeure partie de l’interrogatoire s’est concentré sur la certitude du témoin que les soldats qui l’avaient violé appartenaient au MLC, et non à l’armée de la RCA, ainsi que sur la présence d’autres forces armées, hormis celles de Bemba, dans la zone où le témoin résidait.

Dans son témoignage, le Dr Akinsulure-Smith, une psychologue-conseil, a déclaré qu’il y avait une relation entre le TSPT et la capacité de se souvenir des événements associés aux violences sexuelles. Elle a indiqué que le TSPT affectait les fonctions cérébrales, provoquant ainsi des problèmes cognitifs et des troubles de la mémoire. Il affecte également la capacité à se rappeler l’ordre chronologique des évènements ou le nom des lieux.

Elle a précisé, de plus, qu’elle avait constaté que les victimes de violence sexuelle souffraient souvent de maladies sexuellement transmissibles (MST), notamment du VIH/sida.

« Pouvez-vous nous dire quels sont, à votre avis, les effets de ces maladies ? », a demandé Mme Kneur.

« Il y a souvent beaucoup de stigmatisation autour de ces maladies », a répondu le Dr Akinsulure-Smith. « La personne doit non seulement gérer les aspects physiques de la maladie mais elle doit également gérer l’aspect social avec les réactions de sa famille, des membres de sa communauté ainsi que de la société car si on apprend qu’elle souffre de ces maladies à la suite d’une expérience sexuelle, elle est rejetée et, parfois, on se moque d’elle et on la met au ban de la communauté ».


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