Chers lecteurs, vous trouverez ci-dessous un rapport écrit par Lisa Clifford, une journaliste et commentatrice spécialisée dans les questions de justice et de droits de l’homme en Afrique centrale. Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’Open Society Justice Initiative.
« Si vous lâchez des chiens de guerre, vous devez mettre en place des mécanismes de contrôle afin d’éviter que les chiens de guerre ne deviennent incontrôlables ».
C’est ainsi que l’avocat Stephen Kay décrit le principe de responsabilité de commandement, à savoir l’idée que les dirigeants, qu’ils soient militaires ou civils, sont responsables des actes de leurs subordonnés.
Le procès de Jean-Pierre Bemba, accusé de manquement à contrôler ses troupes en République centrafricaine (RCA), est la toute première affaire de la Cour pénale internationale (CPI) traitant de la responsabilité de commandement, mais le concept selon lequel les commandants sont tenus responsables des crimes commis par d’autres personnes est nouveau dans le droit international.
L’art de la guerre de Sun Tzu écrit au VIe siècle indique que les commandants doivent s’assurer que leurs soldats se comportent de manière civilisée. Lors des procès de Nuremberg et de Tokyo qui ont eu lieu après la seconde guerre mondiale, les responsables allemands et japonais ont été également inculpés au titre de ce principe. Une des affaires les plus connues est le procès de Tomoyuki Yamashita, un général japonais condamné pour le commandement de troupes ayant commis des atrocités aux Philippines.
Après une longue période, les tribunaux des Nations Unies chargés de poursuivre les responsables de crimes de guerre perpétrés en ex-Yougoslavie et au Rwanda ont perpétué la tradition, jugeant de nombreux dirigeants, militaires et civils, pour manquement à contrôler ceux qui étaient placés sous leur commandement.
Mais de telles affaires peuvent s’avérer difficiles à établir.
Les procureurs doivent démontrer la chaîne hiérarchique reliant Bemba à ceux qui ont commis les crimes et doivent prouver que, par le biais de la chaîne de commandement, il pouvait les contrôler.
Ils doivent, en particulier, confirmer que les crimes ont réellement eu lieu. Puis ils doivent prouver que les auteurs de ces crimes étaient des subordonnés et que M. Bemba avait connaissance de ces crimes et qu’il n’avait pas arrêté ou puni les responsables.
Selon l’avocat Guénaël Mettraux, qui a représenté des accusés poursuivis pour manquement à contrôler leurs subordonnés lors des guerres de l’ex-Yougoslavie, les ambigüités de la chaîne de commandement constituent un des nombreux défis que doivent relever les procureurs.
« Si vous prenez le début de la guerre de [Bosnie], vous n’avez pas d’armée qui se soit introduite en Bosnie. Vous devez la créer par le biais d’une lente centralisation d’entités en une seule. Des questions se posaient pour certaines périodes pour savoir quelle chaîne de commandement fonctionnait et sous quelle autorité ».
Les avocats de M. Bemba affirmeront que les soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) étaient sous le commandement d’Ange- Félix Patassé en RCA et qu’ils ont obéi à ses ordres, et non pas à ceux de M. Bemba qui était demeuré en grande partie en RDC pendant la campagne. Il est probable qu’ils affirmeront également que ses troupes étaient formées à la législation sur les droits de l’homme, qu’elles connaissaient le code de conduite du MLC et qu’elles étaient punies si elles commettaient des crimes.
Montrer que des mesures raisonnables ont été prises pour prévenir les crimes est une défense commune à ces affaires.
« M. Bemba peut déclarer qu’il a puni des soldats, qu’il leur a dit de ne pas le faire », a indiqué William Schabas, directeur du Centre irlandais des Droits de l’homme à l’Université nationale d’Irlande de Galway et titulaire d’une chaire des droits de l’homme.
« C’est comme si je conduisais une voiture, que je la fasse réviser tous les trois mois mais que quelqu’un la trafique et que les freins lâchent. Je ne suis pas responsable si quelqu’un est tué car je ne peux démontrer que j’ai pris les précautions voulues. C’est ce que M. Bemba devra faire ».
Un grand nombre de procès internationaux ont eu lieu des années après que les crimes aient été commis, ce qui rend irréaliste la poursuite des coupables. C’est dans ces cas que les collègues de David Crane, le procureur fondateur du tribunal spécial pour la Sierra Leone soutenu par les Nations Unies, se tournent vers une accusation de responsabilité de commandement.
« Vous ne retrouverez jamais ces personnes. Elles sont mortes. Il y a très peu d’enregistrements. C’est presque impossible », a déclaré M. Crane. « Nous ne pouvons pas appliquer le droit pénal international sans la responsabilité de commandement ».
M. Crane a inculpé et poursuivi des commandants de trois fractions belligérantes de la guerre civile en Sierra Leone ainsi que Charles Taylor, l’ancien président du Libéria. Un grand nombre d’entre eux étaient à des postes décisionnels mais n’étaient pas physiquement présents lorsque les atrocités ont été commises.
Le procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo a déclaré dans son exposé introductif du 22 novembre que l’affaire contre Bemba pourrait avoir une influence sur le comportement des commandants militaires sur le terrain et prévient que la CPI continuera à les tenir responsables des crimes commis par leurs soldats.
Mais certains restent préoccupés par le fait que, jusqu’à présent, les tentacules juridiques de la Cour n’ont touché que l’Afrique, malgré les allégations de dirigeants occidentaux faisant état d’activités illégales dans des lieux tels que Gaza, l’Irak et l’Afghanistan.
Cela n’est pas apprécié par de nombreux commentateurs africains et internationaux tels que Schabas. « En Afrique, nous regardons autour de nous et nous nous demandons si cette Cour n’est pas constituée de personnes du Nord bien pensantes qui nous disent comment nous conduire », a-t-il dit. « Les américains autorisent la torture, autorisée par leurs propres dirigeants qui restent impunis ».
La CPI a récemment prévenu la Corée du Nord qu’elle procédait à l’examen préliminaire des récentes attaques des îles Yeonpyeon en Corée du sud et du naufrage en début d’année d’un navire sud-coréen. En décembre, elle a indiqué surveiller la situation en Côte d’ivoire.
M. Crane a concédé que la politique constitue un facteur d’importance dans les poursuites judiciaires. « Le président Obama a déclaré que nous devons laisser le passé dans le passé afin d’avancer. Je me souviens que Charles Taylor faisait le même commentaire après que je l’ai inculpé – que nous devons arrêter de ressusciter le passé et avancer ».
Il s’agit d’un sujet de préoccupation. « Sommes-nous en train de nous résoudre à avoir deux poids deux mesures ? », a interrogé M. Crane. Lorsque la loi est injustement appliquée et perçue comme étant injustement appliquée, alors la loi elle-même est menacée.