Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Cette semaine, un témoin à charge a soutenu que les soldats de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba avaient maltraité les civils en République centrafricaine (RCA) en 2002 et 2003.

Tandis que la défense de M. Bemba affirmait que ses troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) n’étaient pas présentes dans la capitale du pays, Bangui, à l’époque où les atrocités décrites par le témoin avaient été commises, le ‘‘témoin 119’’ a affirmé qu’elles s’y trouvaient.

L’avocat de la défense Aimé Kilolo-Musamba a soutenu que, contrairement à l’affirmation du ‘‘témoin 119’’ qui a indiqué que les troupes du MLC avaient pénétré dans la banlieue PK 12 le 28 octobre 2002, elles n’avaient pas atteint la zone avant le 30 octobre. Il a également remis en cause l’explication que le témoin avait donnée pour croire que les soldats qui avaient molesté les civils étaient des membres du groupe de M. Bemba.

L’avocat de la défense a demandé au témoin d’expliquer pourquoi elle avait initialement déclaré aux enquêteurs de la CPI que les troupes du MLC avaient atteint son quartier le 22 octobre 2002 et que, quelques jours plus tard, elle avait affirmé qu’elles étaient arrivées le 28 octobre 2002.

« Lorsque les enquêteurs m’ont posé des questions à Bangui, il était de mon devoir de leur dire la vérité. Comme je n’étais pas sûre de la réponse, j’ai dû vérifier », a répondu le témoin.

M. Kilolo-Musamba a suggéré au témoin que les troupes qu’elle avait vues étaient des soldats centrafricains et non des membres du MLC.

« Si cela avait été des troupes de la RCA, je l’aurais dit », a répliqué le témoin. « Je sais reconnaître des soldats centrafricains et ils n’auraient pu commettre de tels abus et actes violents ».

Le témoin a décrit comment elle avait déterminé que les soldats qui avaient commis des actes violents dans son quartier appartenaient au groupe de M. Bemba. Elle a déclaré que lorsque ces soldats étaient arrivés dans son quartier, ils s’étaient ‘‘rassemblés en groupes’’ près de la route et demandaient de la nourriture aux habitants.

Elle a également indiqué que les soldats parlaient lingala, une langue parlée en République démocratique du Congo mais pas en RCA.

Le ‘‘témoin 119’’ a également déclaré que des femmes gardaient les biens que les soldats du MLC avaient volé aux civils. Elle a précisé que ces femmes étaient des congolaises.

Interrogé par l’avocat de l’accusation Horejah Bala-Gaye sur le rôle de ces femmes, le témoin a répondu qu’elles surveillaient les biens qui avaient été volés dans le quartier du marché Boy-Rabé, situé à quelques kilomètres de Bangui.

Le ‘‘témoin 119’’ a déclaré au procès présidé par le juge Sylvia Steiner que l’un des chefs des soldats du MLC lui avait indiqué que le président de l’époque Ange-Félix Patassé avait donné de l’argent à M. Bemba. Le témoin n’a pas précisé en séance publique pourquoi M. Patassé aurait donné cet argent.

M. Bemba, âgé de 48 ans, est détenu à la Cour pénale internationale (CPI) depuis juillet 2008. Bien qu’il n’ait pas été présent sur le sol centrafricain avec ses troupes au moment où elles auraient violé, tué et pillé, il est jugé devant la Cour puisque les procureurs soutiennent qu’il porte la responsabilité de ne pas avoir empêché ou puni ses soldats.

Conformément au Statut de Rome, le document fondateur de la CPI, un commandant militaire est pénalement responsable des crimes commis par les forces placées sous son commandement et contrôle effectifs. M. Bemba a nié toutes les charges retenues à son encontre. Ses avocats ont affirmé que n’importe laquelle des nombreuses milices actives à l’époque à Bangui avait pu commettre ces crimes.

Assingambi Zarambaud, un représentant légal des victimes participant au procès, a demandé au témoin si des rebelles appartenant aux troupes du général François Bozizé étaient présentes dans son quartier à l’époque où le MLC avait atteint cette zone.

« Ces [rebelles de Bozizé] qui se cachaient dans mon quartier s’étaient enfui », a répondu le témoin. Selon elle, les soldats centrafricains qui étaient dans son quartier au même moment que les soldats du MLC avaient été confinés dans leur quartier général.

Le ‘‘témoin 119’’ avait déclaré avoir assisté au viol collectif de deux filles par des soldats du MLC. Elle a également témoigné des pillages généralisés qu’elle a indiqué avoir été commis par les soldats de M. Bemba.

Mais la défense de M. Bemba a cherché à démonter le témoignage du ‘‘témoin 119’’ et l’a longuement interrogé sur le comportement des divers milices en activité à Bangui en 2002 et 2003.

Lorsqu’elle fut interrogée pour savoir si elle connaissait une personne dénommée Miskine, le témoin a répondu qu’elle savait que cette personne faisait partie du ‘‘cercle rapproché’’ de M. Patassé.

M. Kilolo-Musamba a poursuivi, « Savez-vous si les troupes de M. Miskine étaient impliquées dans les actes et abus qui ont été commis à Bangui lors des événements en question ? ».

Le témoin a répondu, « La seule chose que je sache est que la matinée du jour où les Banyamulenge [soldats du MLC] ont quitté le quartier Boy-Rabé, les hommes de Miskine ont tiré sur les habitants ».

De nombreux témoins à charge ont témoigné que le colonel Abdoulaye Miskine, qui commandait une unité spéciale n’appartenant pas à l’armée et qui combattait les insurgés tentant de reverser M. Patassé, avait dirigé le massacre du marché au bétail de Bangui.

Lorsque le ‘’témoin 119’’ fut interrogé pour savoir si elle connaissait les unités de défense et de vigilance qui étaient présentes dans les différents quartiers de Bangui, elle a expliqué que ces groupes avaient été créés à l’initiative de M. Patassé.

« Savez-vous si ces groupes ont été organisés à l’époque comme milice privée de M. Patassé ? », a demandé M. Kilolo-Musamba.

Le témoin a répondu, « À l’époque où ces groupes ont été rassemblés, les autorités de chaque quartier ont dû [les] superviser. Elles avaient en charge la surveillance et la sécurité ».

M. Kilolo-Musamba a demandé au témoin s’il était vrai que les membres de ces milices étaient des jeunes sans emploi qui soutenaient M. Patassé.

Le témoin a répliqué que pour un des groupes mentionné par M. Kilolo-Musamba, cela était en effet le cas. « La plupart d’entre eux était des jeunes au chômage et puisqu’ils n’avaient pas de travail, un grand nombre d’entre eux avait suivi ou s’était rallié au président Patassé », a indiqué le ‘’témoin 119’’.

« Savez-vous si ces milices étaient impliquées dans les crimes et abus commis au moment des évènements ? », a demandé M. Kilolo-Musamba.

« Nous n’avions aucune information de ce genre après qu’ils aient rallié le président Patassé et après qu’ils aient fui », a répondu le témoin. Elle a ajouté qu’elle ne connaissait pas le rôle que les diverses milices qui étaient loyales à M. Patassé avaient joué lors des bouleversements de Bangui.

Entretemps, jeudi, William Samarin, un professeur de linguistique et d’anthropologie de l’Université de Toronto, au Canada, a débuté sa déposition en tant que témoin expert au procès. S’appuyant sur plus de 50 ans d’expérience dans le domaine de la linguistique, M. Samarin a rédigé un rapport pour la Cour, qui compare le sango, une langue parlée en RCA, et le lingala qui est parlé en RDC. Le rapport, basé sur des documents fournis par les procureurs de la Cour ainsi que sur d’autres documents, a mis en évidence les similitudes et les différences entre les deux langues.

Le procès se poursuivra lundi.


Contact