Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

L’accusé de crimes de guerre congolais Jean-Pierre Bemba et les procureurs de le Cour pénale internationale (CPI) ont fait appel de la décision rendue par les juges du procès de recevoir comme preuve tous les éléments contenus dans la liste d’éléments de preuve de l’accusation avant que le procès ne commence.

Trois jours avant le début du procès, les juges ont décidé que « tout élément, y compris les déclarations écrites des témoins et les documents s’y rattachant qui ont été précédemment divulgués à la défense et qui feront partie de la liste révisée d’éléments de preuve de l’accusation, est reçu à première vue comme preuve pour les besoins du procès ». Le juge Kuniko Ozaki a donné une opinion dissidente de celle des juges Sylvia Steiner et Joyce Aluoch.

Par la suite, le 26 janvier 2011, les juges du procès ont autorisé l’accusation et la défense à faire appel « si le cadre légal de la CPI permettait une admission à première vue comme éléments de preuve de documents … y compris les déclarations écrites des témoins et les documents s’y rattachant qui ont été précédemment divulgués à la défense et qui feront partie de la liste révisée d’éléments de preuve de l’accusation ».

L’avocat de la défense Aimé Kilolo-Musamba a soutenu que la conséquence pratique de la décision du 19 novembre 2010 rendue par les juges du procès était que les centaines de pages de déclarations faites par les témoins étaient admises « comme preuves » dans le procès Bemba, trois jours avant l’ouverture des audiences et avant qu’une évaluation n’ait pu être faite par la chambre quant à leur valeur probante ou leur préjudice pour l’accusé.

M. Kilolo-Musamba a fait remarquer dans son document du 7 février 2011 qu’un accusé inculpé devant un tribunal a le droit d’être informé dans le plus court délai et de manière détaillée de la nature, de la cause et de la teneur des charges retenues à son encontre. « Le nouveau régime à la majorité pour une décision sur l’admissibilité de documents à la fin de la procédure signifie que ce n’est qu’à cette étape – et sensiblement après la clôture de la présentation des éléments à décharge – que la défense prendra connaissance pour la première fois de la nature exacte des preuves de l’accusation contre l’accusé », a-t-il avancé.

De son côté, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a indiqué que la majorité des juges du procès avaient fait deux erreurs. La première erreur était de ne pas avoir procédé à l’évaluation de l’admissibilité des éléments de preuve un par un. « En acceptant tous les documents mentionnés dans la liste des éléments de preuve avant le commencement du procès et sans notification préalable, la majorité a également privé les parties de la possibilité de soulever des questions liées à l’admissibilité des preuves », a déclaré le procureur. « Cette décision conduit à une admission des éléments de preuve sans appliquer les procédures standards prévues par le Statut de Rome et le Règlement de la CPI ».

Selon M. Ocampo, la deuxième erreur commise par les juges du procès a été le fait qu’en acceptant toutes les déclarations antérieures des témoins avant le commencement du procès, ils semblent contourner la primauté du témoignage oral en violation de l’article 69(2) du Statut.

Dans son opinion dissidente, le juge Ozaki a déclaré que le concept d’admissibilité à première vue n’existe tout simplement pas dans le Statut de Rome ou dans le Règlement de procédure et de preuve ».

La défense a également avancé que le cadre juridique de la Cour ne permettait pas l’admission à première vue de documents, et que le régime de la majorité pour l’admission à première vue était inconciliable avec le principe de la primauté du témoignage oral imposé par le cadre juridique de la Cour. Tandis que l’accusation s’accordait avec la défense sur ces deux motifs d’appel, M. Ocampa a rejeté le troisième motif avancé par les avocats de M. Bemba, à savoir que la défaillance de la chambre à prendre des décisions pour une admissibilité spécifique avant le commencement du procès causait un préjudice au droit de l’accusé de bénéficier d’un procès équitable.

Le procureur a indiqué dans son document du 18 février 2011 que les droits de l’accusé d’être informé des charges retenues contre lui étaient pleinement protégés par le dépôt du document contenant les charges et la décision de confirmation, qui est basé sur les charges et les preuves admises à l’audience de confirmation des charges.

Il a ajouté, « Rien dans le Statut ou le Règlement n’exige, comme élément fondamental de la notification, que la chambre de première instance ne rende également des décisions d’admissibilité des éléments, élément par élément, pour toutes les preuves attendues. En effet, s’il en était ainsi, à chaque fois qu’une preuve découverte tardivement serait admise, le droit de notification des charges serait violé.

Dans son recours, M. Kilolo-Musamba a déclaré qu’une action par laquelle les charges retenues contre un accusé ne lui seraient notifiées qu’à la clôture de la procédure était inconciliable avec son droit d’être informé dans le plus court délai et de façon détaillée de la cause et de la teneur des charges retenues contre lui.

Il a ajouté que c’était particulièrement vrai lors d’une procédure pénale internationale (par opposition à des procès nationaux), où l’objet et la gravité des charges, le volume considérable des éléments de preuve et les difficultés de mener des enquêtes donnaient une importance accrue au droit d’un accusé d’être informé dans le plus court délai et de manière complète de l’affaire le concernant.

Dans l’opinion majoritaire, les juges du procès ont considéré que « l’admission d’une preuve à première vue, sans la nécessité de statuer sur chaque élément de preuve au moment où il était présenté, ferait gagner un temps considérable dans la procédure et par conséquent permettrait de l’accélérer ».

Le juge Ozaki a contesté ce point de vue. Elle a indiqué que la chambre « ne ferait que repousser, et non éliminer, la nécessité de prendre une décision concernant l’admissibilité à la clôture de l’affaire. Le temps qui serait gagné au cours de la procédure serait par conséquent ‘‘perdu’’ de nouveau à la fin de la procédure ».

La défense a soutenu le raisonnement du juge Ozaki et a fait remarquer qu’il se pourrait que l’accusation ne cherche pas au bout du compte l’admission de tous les documents figurant dans sa liste d’éléments de preuve.

« Il se pourrait finalement que certains documents puissent être écartés du fait de leur manque de pertinence ou de leur inutilité par rapport à la procédure puisque de nouvelles preuves seraient apparues et que la présentation des éléments à décharge se serait affinée », a soutenu la défense. « Á ce titre, la majorité pourrait potentiellement augmenter en se forçant à prendre, par prévention, une décision pour chaque document qu’elle reçoit avant le commencement de la procédure.

Selon M. Kilolo-Musamba, le point le plus important est peut-être le fait que l’équipe de défense, dans l’exercice de sa mission, devra maintenant fournir des preuves pour démentir les faits allégués contenus dans des centaines de pages de ‘‘preuves’’ admises en vertu de la décision contestée , indépendamment du fait que, au bout du compte, ces allégations appartiendront ou pas aux éléments à charge.

« Cela aboutirait à des procédures inutilement longues et l’opportunité de délimiter clairement et de rationaliser la présentation des moyens à charge sera perdue », a soutenu l’avocat de M. Bemba. « Cela imposerait une charge supplémentaire et gaspillerait du temps et les ressources de la Cour ».

Le juge Akua Kuenyehia présidera la Chambre d’appel.


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