Un expert linguiste appelé à témoigner par les procureurs a déclaré aujourd’hui que la langue parlée par les soldats congolais appartenant au groupe dirigé par l’accusé de crimes de guerre Jean-Pierre Bemba, ainsi que leur accent, les auraient distingué des citoyens de la République centrafricaine (RCA).
William Samarin, un professeur en linguistique et en anthropologie de l’Université de Toronto, au Canada, a témoigné pour la deuxième journée. Il a indiqué que le sango, une langue largement parlée en RCA, appartenait au groupe des langues oubanguiennes parlées dans la région nigéro-congolaise. Le lingala, par contre, est une langue bantoue parlée dans une zone s’étendant le long de la rivière Oubangui, située à la frontière entre la RCA et la République démocratique du Congo (RDC), jusqu’au Cap, en Afrique du Sud.
Il a affirmé que les langues appartenant à chacune des familles, bantoue et oubanguienne, présentaient une grande homogénéité. Mais que, en revanche, les familles étaient très différentes l’une de l’autre car elles possédaient une prononciation distincte ainsi que des différences grammaticales.
Dans son rapport pour la Cour, le professeur a affirmé que, en tant que langues nationales de leurs pays respectifs, le lingala et le sango unifiaient chacun des peuples en une ‘‘communauté linguistique’’. Á ce titre, les soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), le groupe dirigé par M. Bemba, aurait utilisé le lingala entre eux comme symbole de solidarité.
L’avocat de l’accusation Jean-Jacques Badibanga a demandé au témoin si, dans le contexte des évènements de la RCA, une langue aurait pu être utilisée pour établir une distance ou exprimer une autorité.
« Oui, absolument », a répondu le professeur Samarin. « C’est un des phénomènes de la sociolinguistique – l’utilisation de mots pour établir des relations et de la distance ».
Il a poursuivi en indiquant que les langues sango et lingala, historiquement, n’avaient pas été en contact l’une avec l’autre. De ce fait, les deux langues ne s’étaient pas influencées mutuellement de manière à ce que des mots d’une langue soient utilisés dans l’autre.
Le témoin expert a déclaré qu’il n’avait aucun doute sur le fait que les centrafricains soient en mesure d’identifier le lingala en se basant sur leur expérience personnelle. Il a précisé que les centrafricains ont pu être en contact avec le lingala par le biais d’émissions radiophoniques de la RDC ainsi que par la musique congolaise que les centrafricains connaissent bien.
« Imaginez qu’un centrafricain nous dise que, ‘‘Je reconnais le lingala car il y a des gens sur le marché qui le parlent’’. Cela vous semblerait-il discutable ? », a demandé M. Badibanga.
« Non, je ne remettrais aucunement cette affirmation en doute », a rétorqué le témoin. Il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire que cette personne parle lingala. Le professeur Samarin a expliqué qu’à travers différents degrés de reconnaissance, la personne dirait simplement que la personne qui parle vient d’ailleurs et exclurait, par la même, la possibilité qu’elle soit centrafricaine.
En outre, même si les troupes du MLC avaient parlé en français ou en sango, les centrafricains auraient toujours été en mesure de les reconnaître en raison des accents, voix et texture qui sont différents et, plus généralement, en raison d’un ‘‘sentiment de la langue’’.
M. Bemba, un ancien vice-président de la RDC, est jugé devant la Cour pénale internationale (CPI) pour son manquement présumé à contenir ses troupes qui ont commis des viols, meurtres et pillages en masse en RCA. Il a nié les accusations.
Plusieurs témoins de l’accusation ont déclaré avoir conclu que les soldats qui avaient maltraité les civils en RCA appartenaient au MLC car ces troupes parlaient lingala. Les avocats de la défense ont, à leur tour, demandé s’il était possible que ces témoins puissent indiquer que la langue parlée par les soldats ayant commis les actes de violence était le lingala étant donné que ces témoins ne parlaient pas lingala eux-mêmes.
Le professeur Samarin poursuivra sa déposition lundi matin prochain avec un interrogatoire mené par les représentants légaux des victimes puis par la défense.