Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Fatou Bensouda est le procureur adjoint de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Elle a participé à tous les procès qui se déroulent à la Cour, y compris celui de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, qui a débuté en novembre dernier. Les procureurs de la CPI accusent les troupes de M. Bemba de viol, pillage et meurtre à l’encontre des civils en République centrafricaine au cours du conflit de 2002-2003 et accusent M. Bemba d’avoir, en tant que leur commandant en chef, omis de les retenir ou de les sanctionner. Le mois dernier, Mme Bensouda s’est exprimée sur le site http://french.bembatrial.org concernant la position de l’accusation à l’encontre de M. Bemba et a dit pourquoi le Bureau du Procureur (BdP) est satisfait de la manière dont ce procès se déroule.

Wakabi Wairagala : Le procès dure maintenant depuis six mois. Diriez-vous qu’il est en bonne voie, ou auriez-vous souhaité qu’il ait progressé plus rapidement ou différemment dans certains aspects ?

Fatou Bensouda : Nous sommes heureux des progrès du procès jusqu’ici. Nous avons entendu la moitié des arguments de l’accusation et, selon toutes les normes, nous croyons que tout va bien. Nous devons nous rappeler que les procès internationaux complexes comportent des facteurs qui contribuent à les retarder et qu’en général ces facteurs nul ne peut les contrôler : comme exemple, citons la situation personnelle du témoin. Peut-être le témoin est-il tombé malade. Un tel cas s’est présenté tout récemment, Il arrive même que [le témoin] ne soit pas disponible.

Nous rencontrons parfois des problèmes d’interprétation et ces derniers sont liés au fait que, dans ce cas, la traduction est relayée du sango [une langue d’Afrique centrale] vers le français, puis vers l’anglais. Ou parfois il est difficile d’estimer combien de temps va durer l’examen d’un témoin par les parties. L’accusation, la défense, les représentants des victimes, et les juges ont tous un rôle à jouer. Et cela, comme vous le comprendrez, est une nécessité indispensable pour parvenir à la vérité et tenir un individu personnellement responsable de ces crimes.

Mais ce sont des délais normaux, et en fait je peux dire que l’accusation a utilisé moins de temps que nous n’avions initialement prévu en particulier pour présenter les éléments essentiels de notre cas. Gardant cela à l’esprit, je vais répéter que nous sommes satisfaits de la manière dont l’affaire progresse et aussi de la façon dont les preuves se manifestent.

WW : Pourquoi n’avez-vous pas été capable d’avancer un peu plus vite que vous ne pensiez pouvoir le faire ? Avez-vous tenu compte de l’expérience des procès antérieurs que vous avez menés ?

FB: C’est un facteur, mais il y a aussi certaines choses que l’expérience vous apprend et que vous êtes capable de faire peut-être un peu mieux et de manière plus rapide. Par ailleurs, les témoins eux-mêmes se révèlent parfois capables de présenter des faits mieux que nous ne l’avions prévu, et, dans ce cas, nous sommes en mesure d’avancer plus vite. Ce sont là quelques éléments dont nous ne pouvons pas, au tout début, prédire le déroulement.

WW: Êtes-vous en mesure d’indiquer, par exemple, ce que vous avez pu apprendre des procès antérieurs ou de quelle manière ces procès antérieurs vous ont aidé à faire avancer plus vite ce dernier procès ?

FB: Les principaux procès auxquels vous pouvez vous référer sont le procès [Thomas] Lubanga, ou même le procès Katanga et Ngudjolo. Comme je le disais, il faut parfois revoir la façon dont vous avez présenté ou interrogé un témoin ou vous estimez que votre manière de faire n’est peut être pas la plus experte ni la meilleure. Ayant acquis cette expérience, vous la mettez en pratique dans les procès ultérieurs. C’est l’objectif des procès en cours et des nombreux procès amenés devant la CPI, car plus vous appliquez les procédures, plus vous devenez habiles à le faire. Heureusement ou malheureusement pour la cour, il y a toujours une première mise en œuvre, mais vous êtes en mesure de vous améliorer et d’apprendre de vos erreurs passées. À vous de voir ce que vous pouvez améliorer et comment vous pouvez contribuer à accélérer les procédures.

WW: Le Procureur a jusqu’ici présenté la moitié des témoins qu’il envisageait citer au début du procès. Quel genre de preuve a-t-on entendu et à quel genre de témoins devrait-on s’attendre durant le reste de la procédure engagée par l’accusation ?

FB: Pour assurer la sécurité des témoins, nous allons devoir présenter certains des éléments de preuve à huis clos. Voici ce que je peux déclarer publiquement : à ce jour, nous avons fait comparaitre 21 témoins sur les 40 que nous avions l’intention de présenter pour prouver l’affaire contre M. Bemba [Au 1er juillet, l’accusation avait appelé 25 témoins]. Nous avons entendu le témoignage de trois experts : un spécialiste de l’égalité des sexes a témoigné sur le syndrome du stress post-traumatique, un autre sur l’utilisation du viol comme arme de guerre, et nous avons aussi entendu la déposition d’un expert linguistique.

La majorité des témoins de l’accusation appartiennent à une seconde catégorie : ceux qui ont été témoins des faits incriminés. Ces témoins ont rapporté des viols et des meurtres. Ils ont également témoigné au sujet des pillages, qui auraient été commis par le MLC de Bemba. Ces témoignages ont été présentés de différentes manières : ces exactions ont soit été subies par les témoins eux-mêmes, ou ils en ont été les témoins oculaires ou ces informations rapportées leur ont été rapportées par des sources très fiables.

Nous avons entendu une troisième catégorie de témoins. Nous avons eu des témoins qui ont pu fournir des preuves contextuelles du conflit armé et des groupes qui étaient impliqués dans ce conflit. Ces témoins ont, par ailleurs, été en mesure de fournir des preuves d’envergure et d’attester que ces crimes auraient été commis par le MLC de manière répandue, systématique et organisée.

Nous avons encore 19 témoins à appeler [Il en reste 15 au 1er juillet], et ces témoins vont surtout être des témoins internes. Ils vont fournir des preuves portant sur la structure de commandement des opérations au sein de la RCA et aussi sur le lien entre Bemba et les exactions, meurtres et pillages dont il est accusé. Nous allons également appeler un expert militaire. Comme vous le savez, cette affaire est la première impliquant la responsabilité de la chaîne de commandement et l’échec d’un commandant à exercer un contrôle efficace et une autorité sur ses troupes. Par conséquent, le témoignage de cet expert militaire aidera, croyons-nous, à expliquer, en particulier, comment cette chaîne de commandement a fonctionné dans la pratique ainsi que les mesures nécessaires et raisonnables dont disposait un commandant militaire dans une telle situation. La dernière catégorie de témoins qu’il nous reste à entendre sont les témoins des faits incriminés.

WW: La défense de M. Bemba a fait valoir qu’en plus ou au lieu de M. Bemba, d’autres personnes seraient passibles de jugement pour les crimes dont il est accusé. Nous avons également entendu des responsables judiciaires centrafricains témoigner durant le procès que Patassé assurait le commandement général des troupes qui combattaient à ses côtés. Comment se fait-il que seul M. Bemba ait été accusé ?

FB: Le cas de M. Bemba devant ce Tribunal concerne sa responsabilité pénale individuelle pour les exactions qui ont été commises par le MLC. Il s’agit de la responsabilité du commandement relativement aux exactions commises par le MLC à l’encontre de la population de la RCA. La seule question qui doit nous préoccuper aujourd’hui est son rôle en tant que commandant suprême du MLC. Nous croyons qu’il est responsable en raison de sa connaissance des faits, en raison de son incapacité à contrôler ses troupes ou en raison du fait qu’il commandait les troupes elles-mêmes. C’est ce que nous alléguons. Malgré la présence ou le rôle que peut avoir joué, par exemple, l’ancien président Patassé ou toute autre personne que vous pourriez avoir à l’esprit et pourriez accuser des diverses exactions qui ont été commises durant cette période en RCA, cela n’affecte ni l’autorité de M. Bemba ni le contrôle qu’il exerce sur le MLC. Cela n’affecte pas sa responsabilité pénale individuelle.

Jusqu’à présent, les témoins cités devant le Tribunal ont également attribué cette responsabilité à M. Bemba lui-même. Cela n’a pas changé les preuves dont nous disposons. Nous pensons qu’il existe des preuves suffisantes permettant de conclure que M. Bemba était l’un des protagonistes les plus responsables des exactions et c’est sur cette base que nous avons décidé de procéder pour qu’enfin justice soit rendue aux victimes des exactions commises en RCA qui attendent cela depuis si longtemps. Je pense qu’il est également important de savoir que la responsabilité de M. Bemba est indépendante de la responsabilité de toute autre personne pouvant être incriminée de ces exactions par le procureur.

WW: De quelles manières le décès de l’ancien président Patassé a-t-il influé sur vos investigations concernant la responsabilité d’autres individus dans le cadre des exactions commises en RCA en 2002 et 2003 ?

FB: Comme vous l’avez dit, d’autres investigations approfondies sont en cours. C’est toujours une question très délicate. Nous devons être prudents et éviter de fournir des informations détaillées afin de préserver l’enquête ainsi que les témoins potentiels. Cela dit, la mort malencontreuse de l’ancien président Patassé signifie qu’il ne peut pas être la cible de nos investigations actuelles. On ne peut plus le citer à comparaître devant le Tribunal. Toutefois, la mort de M. Patassé n’a aucun impact sur les autres personnes que nous avons pu considérer comme les plus responsables parce que la situation en RCA reste ouverte et que nous poursuivons nos investigations à ce sujet.

WW: Jusqu’où vos enquêtes sur la responsabilité de Patassé avaient-elles progressé ?

FB:  Je peux vous dire que lorsque nous avons réalisé dans nos investigations que la responsabilité des troupes, le MLC qui a commis ces exactions, et la structure de commandement nous amenaient à considérer M. Bemba comme la personne la plus responsable, nous nous sommes concentrés sur Bemba. Mais comme je l’ai indiqué, cela ne veut pas dire que nous avons cessé d’enquêter ou que nous n’enquêtons pas sur d’autres personnes.

WW: M. Bemba a de nombreuses fois demandé aux juges d’alléger son régime de détention. Pourquoi l’accusation s’oppose-t-elle constamment à un allègement du régime de détention alors que d’autres individus confrontés à un procès devant la CPI ne sont pas détenus par le Tribunal ?

FB: Premièrement, nous devons nous rappeler que chaque cas est différent et que la demande de l’accusation est toujours basée sur une évaluation indépendante des faits dans les différents cas. Tous ne sont pas regroupés en une seule affaire. Une des choses que nous ne pouvons pas faire est tenter d’établir des parallèles entre les différents cas. Les circonstances des cas individuels sont différentes. Notre politique à cet égard est simple : en tant que ministère public, là où nous croyons que les faits à l’époque permettent de conclure raisonnablement que les suspects ou les accusés vont comparaître volontairement devant le Tribunal sans interférer avec les témoins ni se livrer à d’autres exactions, nous ne nous opposerons pas à la demande d’un allègement du régime de détention. Nous pouvons même, comme nous l’avons déjà fait, émettre, par exemple, des convocations, au lieu de demander des mandats d’arrêts. Les circonstances de chaque accusé et les circonstances de chaque suspect sont différentes.

Dans le cas de M. Bemba, nous avons, en tant que bureau du procureur, étayé toutes les préoccupations que nous avons, concernant les preuves. Et les informations que nous avons fournies ont été soumises à l’examen non seulement d’une chambre, mais de différentes chambres qui ont analysé les raisons que nous avons avancées et les préoccupations que nous avons soulevées. Cela signifie qu’un allègement du régime de détention inquiète, non seulement l’accusation, mais même les juges qui, au regard des preuves ou les faits, ont déclaré trouver préoccupant un allègement.

WW: Donc, vous ne voyez pas le juge appliquer une mesure d’allègement que l’accusation soutiendra dans les circonstances actuelles ?

FB: Pas dans les circonstances actuelles. Comme je l’ai dit, nous avons présenté des preuves concernant des interférences inquiétantes avec les enquêtes et les juges ont dit que ce sont de réelles préoccupations. Donc, à moins d’un changement radical, l’accusation ne modifiera pas sa position actuelle.

WW: La défense de M. Bemba a déclaré que le Tribunal avait injustement gelé les actifs de l’accusé. Le Bureau du Procureur serait-il favorable, en ce moment, à une proposition visant à débloquer les avoirs de M. Bemba ?

FB: Vous savez que le Statut de Rome octroie l’autorité de geler les avoirs des suspects et des accusés. Il s’agit d’une disposition législative. Le Bureau du Procureur soutient ce gel des avoirs de telle sorte que nous puissions au moins garantir la disponibilité de fonds suffisants afin de mener à bien cette affaire pour le bénéfice ultime des victimes. Je pense ici aux réparations. Les juges que je connais sont conscients du droit de l’accusé et ils sont aussi conscients de la bonne foi des tiers lorsqu’ils sont confrontés à la question du gel des avoirs. En tant que ministère public, nous devons fournir des preuves pour étayer toute requête soumise à la chambre. Le Greffe, comme organe neutre de cette cour, joue également un rôle clé dans la mise en œuvre de cette décision prise par la Chambre. En ce qui concerne les avoirs de M. Bemba, ces procédures sont très confidentielles. Il suffit donc de dire ici que la bonne procédure a été suivie. Par ailleurs, je crois qu’une garantie supplémentaire est prévue et que le gel des avoirs doit se faire conformément à la législation nationale pertinente. Actuellement, je peux seulement dire que la procédure correcte pour ce faire a été suivie. Les juges ont joué leur rôle, de même que l’accusation et le Greffe en tant qu’organe neutre.

WW: Mais M. Bemba affirme que ce gel des avoirs mine la manière dont sa défense travaille …

FB: Je ne partage pas ce point de vue. Le BdP [Bureau du Procureur] ne partage pas ce point de vue. Je pense que la CPI fournit déjà des ressources suffisantes pour que la défense de M. Bemba se déroule de la manière la plus équitable. Le gel de ses avoirs n’empêche pas la défense de mener les enquêtes qu’elle estime devoir mener et de préparer la défense de M. Bemba.

3 Commentaires
  1. Cher peter,

    Nous ne pouvons pas publier votre commentaire car elle n’est pas conforme à la politique du site pour les commentaires. Nous vous encourageons à commenter les questions de fond du procès.

    Je vous remercie.

    • alors cher moderateur du site veuille aussi donner la parole a la defense pour s’exprimer
      comme vous l’avez fait pour l’accusation .car la fatouma se vante alors que leurs temoins se contredisent du jour au lendemain donc si vous voulez que nous internautes assidues de frenchtrial respectons vos intervenants donnez la parole au deux parties en presence et non faire la tribune seulement a l’accusation.

      • Cher peter,

        Merci pour votre commentaire. Nous avons l’intention d’avoir la perspective d’avocats de la défense sur le site Web à l’avenir.


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