Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Le mardi 14 août 2012, le chef d’opposition congolais Jean-Pierre Bemba a débuté sa plaidoirie de la défense dans son procès qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI). M. Bemba est détenu dans le quartier pénitentiaire de la CPI depuis son arrestation par les autorités belges en mai 2008 et sa remise au tribunal basé à La Haye. Les procureurs soutiennent que M. Bemba est pénalement responsable, en tant que commandant militaire, de deux chefs de crimes contre l’humanité (meurtre et viol) et de trois chefs de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage) découlant du comportement répréhensible des troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) déployées dans la République centrafricaine (RCA) voisine lors d’un conflit qui a eu lieu en 2002 et 2003. Il a nié les accusations. Les troupes congolaises venaient aider le président Ange-Félix Patassé qui était confronté à une rébellion menée par François Bozizé. Á la veille de la plaidoirie de la défense, l’avocat principal de la défense de M. Bemba, Aimé Kilolo-Musamba, a accordé un entretien au site Web http://french.bembatrial.org.

Wairagala Wakabi : Les témoins de l’accusation ont déclaré que les soldats qui commettaient les crimes appartenaient aux troupes du MLC. Un grand nombre des témoins les ont identifiés par la langue qu’ils parlaient, par la manière dont ils étaient vêtus et par différents autres éléments. Vous avez déclaré que, parfois, les troupes du MLC n’étaient pas présentes dans la zone où les crimes ont été commis. Comment réagissez-vous à l’allégation que c’est le MLC et non un autre groupe qui a commis les crimes ?

Aimé Kilolo-Musamba : Nous aurons des témoins et des victimes provenant des zones situées près de Bangui dans lesquelles l’accusation affirme que les soldats du MLC ont commis des crimes à certaines dates. Ils déclareront qu’un grand nombre de troupes de M. Bozizé occupaient ces zones et qu’elles ont commis beaucoup de crimes. Les témoins expliqueront comment les troupes de M. Bozizé, particulièrement celles provenant du Tchad, ont commis des viols, des pillages et des meurtres. Ils expliqueront également que de nombreuses personnes appartenant au groupe de M. Bozizé ne portaient pas d’uniformes car ce dernier recrutait de nombreux civils pour rejoindre ses forces et ces civils de Bangui n’avaient pas d’uniformes.

La question du lingala [la langue congolaise que, selon les témoins, les soldats du MLC parlaient] n’est pas une question d’importance puisque, comme vous le savez, il s’agit d’une zone frontière et un grand nombre de personnes à Bangui peuvent s’exprimer en lingala. Vous devez également savoir qu’il existait par le passé une coopération militaire entre la RCA et la RDC et que beaucoup de soldats entraînés au Congo parlaient lingala. Nous avons certains témoins venant de Bangui qui parlent lingala.

WW : Ils parlent lingala bien qu’il s’agisse de citoyens centrafricains ?

AKM : Exactement.

WW : Nous avons également entendu que, dans certains cas, les milices du gouvernement, telles que celle dirigée par Abdoulaye Miskine, commettaient des crimes.

AKM : M. Patassé a engagé deux catégories de forces loyalistes. La première comprenait le MLC, les libyens, les soudanais du CEN-SAD (Communauté des États Sahélo-Sahariens). Cela constituait un premier groupe. Mais il y avait également des combattants qui formaient une sorte de milice privée pour M. Patassé, tels que les combattants menés par Miskine et Paul Barrel de la SCPS [la Société centrafricaine de protection et de surveillance]. Beaucoup de personnes appartenant à ces milices privées ont également commis des crimes mais le MLC ne faisait pas partie de ces personnes. C’est aussi ça la vérité et l’expert militaire l’établira précisément : il n’y a jamais de risque zéro lorsque vous envoyez des soldats sur le terrain. Il peut arriver que certains individus commettent des crimes mais dire que les soldats du MLC commettaient des crimes comme un moyen de semer la terreur dans la population civile, c’est inexact.

WW : Cela nous amène à la question de savoir si M. Bemba avait connaissance de ce qui se passait sur le terrain ? Savait-il que certains de ses soldats commettaient des crimes ? Et a-t-il pris les mesures qui s’imposaient lorsqu’il a appris que ses soldats commettaient des crimes ?

AKM : La seule information qui est parvenue à M. Bemba n’a pas été celle que ses soldats commettaient des crimes à l’encontre des civils. L’information reçue a été que, lorsque les troupes de M. Bozizé ont battu en retraite, elles ont laissé derrière elles des biens volés aux civils et que certains soldats du MLC les ont pris. Idéalement, ils auraient dû donner les biens aux autorités de la RCA. Il y en a eu peu, sept environ [des soldats du MLC qui ont pris les biens] qui ont été immédiatement punis. Lorsque M. Bemba en a entendu parler, il a immédiatement rendu visite au président Patassé pour en discuter. Il a également visité les soldats du MLC au PK 12 et leur a rappelé de maintenir la discipline et qu’ils étaient sous l’autorité de la RCA.

De plus, il a envoyé Romain Mondonga et d’autres personnes de Gbadolite [le quartier général du MLC au Congo] pour faire partie d’une commission de la RCA qui a participé aux enquêtes sur ce qui s’était passé lors du conflit. La seule conclusion de la commission a été que certains des soldats du MLC ont tenté de volé des biens qui avaient déjà été volés à la population civile par les troupes de M. Bozizé. Il a également écrit au secrétaire général des Nations Unies pour leur demander une enquête. Il a, de plus, écrit au premier ministre de la RCA Martin Ziguele pour lui demander ce qui s’était passé. Et la réponse qui était parvenue officiellement du gouvernement de la RCA a été que cela n’était pas la vérité [que les soldats du MLC commettaient des crimes], que même ce que l’on entendait à la radio était inventé par les troupes de M. Bozizé.

WW : Nous avons entendus les témoins de l’accusation déclarer que les procès des sept soldats du MLC accusés de commettre des crimes avaient été orchestrés pour montrer à la communauté internationale que le MLC faisait quelque chose pour arrêter les crimes mais qu’en réalité peu de mesures avaient été prises. Que les soldats déclarés coupables avaient été libérés avant d’avoir purgé la totalité de leurs peines, ce qui, d’après les procureurs, montre que M. Bemba n’avait pas envisagé sérieusement de punir les soldats qui avaient commis des crimes.

AKM : Tout d’abord, aucun soldat n’a été libéré avant la fin de sa peine et il y aura à la fois des personnes qui viendront expliquer combien de temps ils sont restés en prison et des documents officiels indiquant la date de leur sortie de prison. Ensuite, ce sont les autorités de la RCA qui étaient au départ responsables pour traduire en justice des soldats après avoir mené des enquêtes et pour condamner ceux qui auraient été déclarés coupables. Mais puisque la RCA ne l’a pas fait, seul le MLC a condamné ceux pour lesquels des preuves avaient été trouvées.

WW : Ainsi, tout le monde a purgé sa peine, personne n’a été libéré de manière anticipée ?

AKM : Personne.

WW : L’autre question est de savoir qui exerçait le commandement des troupes du MLC en RCA. Le fait que M. Bemba ait entretenu des communications régulières avec ses combattants en RCA, que ces derniers le tenaient au courant en permanence et qu’il était le seul à donner des ordres, et personne d’autre, est la question centrale de la plaidoirie de l’accusation.

AKM : C’est inexact et je pense que vous apprendrez beaucoup de choses en écoutant l’expert militaire [le premier témoin appelé par la défense], un général de l’armée française. La question du commandement et du contrôle des troupes, vous pouvez [la comprendre] lorsque vous examinez tout d’abord la logistique. Vous entendrez que toutes les munitions, les armes et les véhicules à utiliser sur le terrain étaient fournis par les autorités centrafricaines. Vous examinez ensuite le renseignement, à savoir découvrir les intentions de l’ennemi, le type d’armes qu’il possède et leur localisation. Tout cela était géré par les autorités de la RCA.

L’équipement de communication a été fourni à Mustafa [Mukiza, le commandant général du contingent du MLC déployé dans le pays en conflit] par les autorités de la RCA. Lorsque le MLC a quitté le Congo, il n’avait pas l’ordre des opérations. Toutes les troupes, lorsque vous faites la guerre, possèdent ce document. Il explique votre mission, ce que vous avez à faire exactement, comment vous allez combattre, quelles armes vous allez avoir. Les troupes du MLC n’avaient pas ce document lorsqu’elles ont quitté le Congo, elles l’ont reçu des autorités centrafricaines lorsqu’elles sont arrivées dans le pays. Tout ceci montre que M. Bemba n’avait pas grand-chose à voir avec [le commandement].

L’accusation a également déclaré que M. Bemba utilisait un téléphone Thuraya [un téléphone par satellite] pour parler à Mustafa mais le Thuraya a été donné à Mustafa par le gouvernement centrafricain. De plus, au début, lorsque Mustafa a commencé ses opérations dans la ville de Bangui, il n’avait pas de Thuraya. Ce n’est que lorsqu’il a quitté le PK 12 pour se rendre très loin de Bangui qu’ils lui ont donné un Thuraya. La plupart des crimes dont on parle auraient été commis dans la ville lorsque Mustafa n’avait même pas de Thuraya.

WW : Mais M. Bemba possédait des moyens de communication et entretenait des contacts réguliers avec ses soldats ?

AKM : Nous avons entendu un témoin de l’accusation, je pense qu’il s’agit du témoin 65, qui a expliqué qu’il était difficile d’entrer en contact avec l’opérateur de Mustafa à Bangui car la liaison était très difficile à obtenir et que, parfois, après une semaine, cinq jours, ils n’avaient toujours pas de nouvelles. Et lorsqu’ils s’entretenaient ensemble, c’était pour donner des informations d’ordre général [telles que], les quelques personnes blessées, ou tuées, et l’opérateur expliquait qu’ils ne pouvaient communiquer avec eux car ils se déplaçaient sur le terrain sous les ordres des autorités de la RCA.

WW : Hormis ces éléments, quels points la défense prévoit-elle d’aborder ? Quel autre témoignage pourrons-nous entendre pour la défense ?

AKM : La question du commandement et du contrôle est la plus importante. Qui exerçait le commandement et le contrôle ? Répondre à cette question revient à répondre à de nombreuses questions. Avant que les troupes ne quittent Zongo (au Congo), ont-elles rencontré M. Bemba ? Oui ou non ? Lorsqu’elles ont traversé la rivière, qui a fourni les moyens de transport pour se rendre en RCA ? Qui s’est chargé de la sécurité lors de la traversée ? Lorsqu’elles sont arrivées de l’autre côté, qui les a accueillies ? Où ont-ils été installés ? Qui leur a donné des armes ? Quel type d’armes ont-elles reçu ? Lorsqu’elles ont traversé la rivière, avaient-elles assez d’armes pour faire la guerre ? Qui leur a donné les gros camions destinés à transporter les troupes sur le terrain ? Lorsqu’elles sont arrivées, qui leur a donné les cartes de la ville pour leur expliquer où se rendre ? Qui leur a indiqué leur mission ? Toutes ces questions sont très importantes.

Ont-elles été mélangées ou non avec les FACA (forces armées nationales centrafricaines) ? Qui a pris cette décision ? Que faisait Mustafa lorsqu’il a été amené à la résidence de M. Patassé avec le général [Ferdinand] Bombayake pour des discussions en l’absence de M. Bemba ? Qui leur transmettait des informations sur l’ennemi ? Qui leur indiquait que le lendemain à 3 heures du matin un lieu devait être attaqué et le type d’arme à utiliser ? Qui a décidé que les libyens allaient combattre avec eux, les aider depuis l’arrière avec les avions, avec les bombes ? Qui leur a donné les radios qu’elles utilisaient ? Qui leur a donné des fréquences ? Une fois que nous auront répondu à ces questions, nous saurons qui exerçait le commandement et le contrôle.

WW : Concernant les fréquences, M. Kilolo, je me rappelle avoir entendu un témoin déclarer que les radios que le MLC utilisait ne pouvaient être captées par l’armée centrafricaine. Et il s’agit d’un des témoins qui a indiqué que cela démontrait que le MLC opérait de manière indépendante par rapport aux FACA.

AKM : Nous aurons un opérateur qui était là-bas et qui nous expliquera qui a donné les radios au MLC. Et notre réponse est claire : les radios provenaient de l’armée centrafricaine qui leur fournissait tous les moyens de communication. Ils n’utilisaient pas leurs propres radios pour les opérations en RCA.

WW : Sur un sujet totalement différent, quels sont les défis liés à la gestion de plus de 4 000 victimes autorisées à participer au procès ?

Ces victimes ne sont pas impliquées dans les procédures à cette étape du procès. Ce n’est que si M. Bemba est condamné, ce qui, d’après moi, ne se produira pas, qu’elles pourront venir débattre de leurs préoccupations.

WW : Concernant les dix victimes qui témoigneront pour la défense, participent-elles déjà à la procédure ?

AKM : Non. Il y a certaines victimes qui ont été appelées par l’accusation, qui vont expliquer ce qu’elles ont vécu et donner le nom des auteurs des crimes. Pour l’accusation, les témoins ne donnent pas les noms en précisant que l’auteur de ce crime est la personne X.

WW : Quelle est votre opinion générale sur le rôle que les victimes ont joué dans le procès ?

AKM : Rappelez-vous, une des victimes qui a témoigné a expliqué qu’il n’était même pas une victime. Il a déclaré, « lorsque je me suis inscrit [pour le statut de participant] en RCA, ils m’ont demandé de dire que ma jeune femme avait été violée par les troupes du MLC, ils m’ont même demandé d’ajouter certaines choses qui avaient été volés dans ma maison mais que je ne possédais pas en réalité. Comme je suis chrétien, je veux dire la vérité. Et même l’homme qui m’a aidé à remplir le formulaire m’a indiqué que je n’étais pas futé, [que] tout le monde expliquait être une victime pour obtenir un peu d’argent. Mais ce n’est pas vrai, ma femme a eu une relation normale avec un soldat du MLC, ce n’était pas un cas de viol. Aussi, ce que les victimes déclarent n’est pas toujours la vérité et, tout d’abord le fait qu’elles soient des victimes, mais parmi elles, il y a aussi des victimes qui disent la vérité sur ce qu’elles ont subi. Concernant l’identité des auteurs, certaines de ces personnes ne savent même pas qui était l’auteur du crime.

N’oubliez pas qu’il y a eu Madame [Bernadette] Sayo de l’OCODEFAD [organisation non gouvernementale Organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse] qui est membre du gouvernement de M. Bozizé qui a inscrit beaucoup de victimes au procès. Il n’y a pas qu’une seule victime des soldats de M. Bozizé puisque tout le monde a appris avec les rapports des ONG internationales que de nombreux viols et pillages ont été commis par les troupes de M. Bozizé, même après la guerre.

WW : Est-ce quelque chose dont vous parlerez, du fait que certains témoignages de victimes ne sont pas factuels, qu’elles ont été aidées par quelqu’un qui a donné un récit mensonger de ce qui s’est produit ?

AKM : Nous n’avons même pas besoin de l’approfondir car cela a déjà été indiqué par un témoin de l’accusation. Mais ce que nous devons prouver c’est l’identité des auteurs, que ce ne sont pas des crimes. Ils doivent examiner les troupes de M. Bozizé et la milice privée de M. Patassé.

WW : Quel type de témoins allez-vous appeler ?

AKM : Un expert militaire, un expert en géopolitique, un expert en linguistique, des soldats des FACA, des soldats d’un groupe spécial des FACA dénommé la garde présidentielle (USP), des membres du MLC à la fois civils et soldats, des soldats de M. Bozizé, ceux qui combattaient le MLC et qui expliqueront le type de crimes qu’ils ont commis.

 

 

3 Commentaires
  1. y a t il vraiment une change de voir M.Bemba sortir de la Haye completement blanchi?

  2. La Cour Politique Internationale est partiale,car elle est utilisee par les pouvoirs africains et europeens,les premiers pour se debarasser des opposants,les seconds pour imposer leur point de vue aux pays africains dont les dirigeants mettent en avant les interets des etrangers a qui ils paient un tribut pour qu’ils les laissent meurtrir leur concitoyers.La CPI ne poursuit que les executant mais jamais les commanditaires qui sont souvent les Occidentaux.

  3. A qui profite l’arrestation de J.P. Bemba? la reponse est le noeud de l’affaire. Africains,reveillons_nous. la CPI est au service de l’imperialisme!


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