Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Anne Fuchs

Le procès de Jean-Pierre Bemba qui se tient devant la Cour pénale internationale (CPI) a repris cette semaine après une pause de six jours. Le témoin, un expert de la défense, Octave Dioba, s’est présenté à la barre.

M. Dioba a rédigé pour les juges un rapport de 20 pages dans lequel il conclut que l’intervention des troupes de l’accusé lors du conflit centrafricain de 2002-2003 était « légitime ». L’expert a expliqué, de plus, que même si les troupes avaient peut-être commis certaines atrocités, M. Bemba ne pouvait être tenu « stratégiquement et politiquement responsable » de leurs actions puisqu’il n’exerçait pas de contrôle sur elles.

Le rapport et le témoignage de M. Dioba étaient fondés sur des observations déduites d’interviews qu’il a réalisées avec d’anciens soldats des Forces armées centrafricaines (FACA) et sur des documents fournis par la défense. L’expert a conclu que l’intervention des troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) lors du conflit centrafricain était « légitime » et en partie destinée à protéger la sécurité nationale du Congo.

M. Bemba est jugé devant la CPI pour manquement présumé à discipliner ses soldats qui ont commis des actes de violence sur des civils centrafricains lors du conflit qui a ravagé la République centrafricaine (RCA). Il a nié les trois crimes de guerre et les deux crimes contre l’humanité pour lesquels il est poursuivi.

L’avocat de la défense Aimé Kilolo-Musamba a présenté des extraits de l’accord de Lusaka à la Cour. L’expert a expliqué que cet accord avait été progressivement signé à partir de juillet 1999 par les chefs d’État, les dirigeant de mouvements militaires et d’organisations internationales pour garantir la stabilité et la sécurité de la République démocratique du Congo (RDC).

M. Dioba a affirmé que cet accord établissait la légitimité du MLC en RCA. En vertu de cet accord, le MLC était habilité à opérer sur son propre territoire afin de sécuriser la frontière nord congolaise. En outre, l’accord reconnaissait le MLC comme partie intégrante des forces militaires du Congo.

M. Dioba a déclaré qu’en 2002 le gouvernement de Kinshasa n’exerçait pas son autorité sur l’ensemble du pays. Le MLC et le Rassemblement pour la démocratie congolaise (RDC) opéraient de manière autonome, le RDC occupant l’est du territoire et le MLC occupant le nord du Congo. Le MLC et le RDC étaient tous les deux habilités à mener et à exécuter des activités quotidiennes dans leurs zones respectives du Congo.

L’expert a rappelé à la Cour qu’il était important de se souvenir du contexte du conflit et que les coups d’état avaient souvent ponctué l’histoire du pouvoir politique en RCA.

M. Dioba a indiqué que lorsque les troupes du MLC étaient en RCA, elles étaient sous le commandement et le contrôle du chef d’état-major de la RCA et qu’elles n’avaient maintenu qu’un lien administratif avec le Congo. Ce lien administratif n’était ni un rapport de commandement ni un lien opérationnel.

Le témoin a déclaré qu’en 2002, Ange-Félix Patassé, en tant que président, était le chef suprême de l’armée. Par conséquent, M. Patassé avait l’autorité de demander à des forces étrangères, telles que le MLC, de faire obstacle aux agressions du général François Bozizé.

Le témoin a expliqué que le pacte d’assistance mutuelle de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) considérait une agression contre un État membre comme une agression contre tous les États membres. Dix états, y compris la RCA et le Congo, avaient signé le pacte. Ainsi, les actes de violence des forces rebelles contre la RCA constituaient des agressions contre tous les membres du pacte. La RDC se devait d’intervenir en RCA et par conséquent, l’intervention en RCA était légitime et légale.

De même, le témoin a expliqué que la Communauté des États Sahélo-Sahariens (CEN-SAD) et l’Union africaine avaient condamné les tentatives de coup d’état en RCA. La CEN-SAD a approuvé l’envoi de troupes étrangères pour assurer la stabilité et restaurer la paix dans le pays.

M. Dioba a affirmé que, contrairement aux allégations de l’accusation, M. Bemba n’avait aucun intérêt personnel ou stratégique à envoyer des forces en RCA car il était un homme politique et que les questions hors RDC pouvaient ne pas être un avantage pour sa carrière politique.

Lors du contre-interrogatoire mené par l’avocat de l’accusation Eric Iverson, les sources utilisées par l’expert pour établir son rapport ont été remises en cause. L’essentiel du contre-interrogatoire de l’expert s’est déroulé à huis clos. En séance publique, M. Dioba a déclaré toutefois que, hormis les sources mentionnées dans son rapport, il avait mené des interviews et examiné des documents transmis par la défense.

M. Iverson a fait remarquer que l’expert avait conclu que l’intervention du MLC était légitime bien qu’on ne lui en avait pas fait la demande. M. Dioba a expliqué que, « La mission était d’analyser, d’une manière globale, l’intervention du MLC en RCA. En tant qu’expert, vous n’êtes pas limité dans votre méthodologie, dans vos outils analytiques ou dans votre approche ».

L’accusation a conclu le contre-interrogatoire du témoin en suggérant que l’expert était partial étant donné les différentes déclarations présentes dans son rapport, telle que celle selon laquelle il croyait que M. Bemba représentait un facteur « important » de stabilisation pour son pays ainsi que la recommandation de l’expert selon laquelle l’accusé devrait être libéré. M. Dioba a répondu qu’il était objectif et impartial et qu’il n’y avait aucune « règle concernant l’avis d’un expert qui interdise que des suggestions soient faites ».

Le jeudi après-midi, Marie-Edith Douzima-Lawson, un représentant légal des victime, a débuté son interrogatoire de M. Dioba. L’expert a reconnu qu’il ne s’était pas rendu en RCA pour établir son rapport car les évènements remontaient à 10 ans et que les sources importantes pour son rapport ne nécessitaient pas qu’il visite le pays. M. Dioba s’était rendu en RDC et au Cameroun en mai et juin 2012 pour rassembler des informations pour son rapport.

Le procès reprendra lundi 10 septembre avec la conclusion du témoignage de M. Dioba.

Anne Fuchs enseignant-chercheur en droits de l’homme au Centre des droits de l’homme de l’Université du Minnesota. Le mois dernier, elle a suivi de manière indépendante le procès de Jean-Pierre Bemba à La Haye.

 


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