Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

L’acquittement de Jean-Pierre Bemba a engendré une incertitude au sujet des réparations pour plusieurs victimes des crimes commis par ses troupes il y a une quinzaine d’années. Les règles de la Cour pénale internationale (CPI) prévoient qu’aucune ordonnance de réparation ne peut être émise lorsqu’il n’y a pas de condamnation.

Les avocats de M. Bemba ont soutenu que la Chambre de première instance III n’avait plus la capacité de prendre de décisions sur les réparations mais l’accusation a proposé des solutions alternatives qui pourraient apporter des réparations aux victimes. Parmi les suggestions de l’accusation figurent le procès des membres du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de M. Bemba qui auraient perpétré les crimes, des procédures pénales nationales à encontre de M. Bemba et des recours civils pour les victimes au titre de la législation nationale.

Selon les avocats représentant les victimes, l’acquittement de M. Bemba a soulevé plusieurs « questions et inquiétudes » auprès des victimes qui ont besoin de temps pour comprendre complètement les conséquences du jugement afin d’être en mesure de donner à leurs avocats des instructions conformes à leurs souhaits. Les avocats sont en train de mener des consultations avec les victimes après lesquelles ils déposeront des observations consécutives. Au total, 5 229 victimes ont été autorisées à participer au procès Bemba.

Bien qu’aucune ordonnance de réparation ne sera émise dans le procès Bemba, le Fonds au profit des victimes (FPV) est mandaté pour proposer une assistance qui n’est pas liée aux réparations, consistant en une aide physique, psychologique ou matérielle aux victimes et à leurs familles. À la suite de la décision d’acquittement, le FPV a annoncé qu’il accélérerait le lancement de ce programme en République centrafricaine (CAR).

Les activités comprises dans le mandat d’assistance du FPV sont distinctes des procédures judiciaires de la Cour et n’exigent pas la condamnation « ou même l’identification des auteurs des préjudices subis par les victimes », selon Pieter W.I. de Baan, le directeur exécutif du Fonds. Le Fonds a, par conséquent, considéré que, indépendamment de l’acquittement de M. Bemba, les victimes admises à participer à l’affaire sont victimes de la situation en RCA.

Le secrétariat du FPV mènera une évaluation urgente des préjudices et des besoins des victimes avant le lancement de son programme d’aides. L’évaluation intègrera les conclusions de l’évaluation précédente sur la violence sexuelle et sexiste et prendra en compte les préjudices subis par les victimes et leurs familles dans l’affaire Bemba.

Aucune ordonnance de réparation n’a été émise dans les autres procès de la CPI qui sont terminés ou qui ont mené à un acquittement. Lorsque la Chambre de première instance a clos l’affaire portée à l’encontre du vice-président kenyan William Samoei Ruto et de l’animateur radio Joshua arap Sang en avril 2016, les juges ont refusé d’entendre la demande en réparations des victimes. Elle a souligné qu’un tribunal pénal ne pouvait traiter que la compensation pour les préjudices subis du fait de crimes « s’il a été conclu que ces crimes ont eu lieu et que la personne jugée pour sa participation à ces crimes est déclaré coupable ».

À la suite de l’acquittement de M. Bemba, la Chambre de première instance III a invité la défense, l’accusation et les avocats des victimes à « déposer des observations consécutives sur la procédure en réparations », s’ils le souhaitaient.

L’avocat de M. Bemba, Peter Haynes, a déclaré dans les observations déposées le 7 juillet que la Chambre de première instance n’avait pas la capacité de prendre des décisions sur les réparations, « il est difficile de voir quelles observations substantielles additionnelles pourraient être présentées, surtout parce que les parties avaient été déjà informées en détail sur la question des réparations », et avaient d’ailleurs déposé « tout autre argument qu’ils souhaitaient être pris en compte » dans cette procédure.

De son côté, l’accusation a fait remarqué que malgré le fait que M. Bemba avait été acquitté, la majorité des juges d’appel ont reconnu que les troupes du MLC avaient commis des crimes en RCA. Elle a ensuite affirmé que le jugement n’excluait pas des poursuites pénales à l’encontre d’autres auteurs présumés des crimes liés au MLC. De plus, l’accusation a indiqué que, bien qu’elle respectait totalement la présomption d’innocence de M. Bemba après la conclusion du procès, la question de savoir si des procédures pénales nationales pouvaient être engagées à l’encontre de M. Bemba pour les crimes non poursuivis « restait ouverte légalement ».

L’accusation a également soutenu que, au-delà du fait d’affirmer que ces crimes étaient « non poursuivis », le jugement de la majorité et les avis dissidents associés étaient « ambigus » par rapport à la signification de l’appellation « non poursuivis ». Elle suggère qu’une personne peut être jugée malgré les dispositions de l’article 20(2) du Statut de Rome, qui prévoit que « nul ne peut être jugé par une autre juridiction pour un crime visé à l’article 5 pour lequel il a été jugé ou acquitté par la Cour ».

Par conséquent, l’accusation soutient que l’article 20(2) interdit toute procédure ultérieure pour « un crime visé à l’article 5 », à savoir des crimes relevant de la juridiction de la Cour. De ce fait, elle affirme que, même si des procédures ultérieures pour des crimes internationaux étaient rejetées, une personne condamnée ou acquittée par la CPI pouvait être également jugée pour des crimes relevant de la législation nationale pour les mêmes actes.

De plus, l’accusation a précisé que l’aboutissement du procès Bemba n’excluait pas la possibilité de recours civils adéquats pour les victimes relevant de la législation nationale.

Seules trois décisions sur les réparations ont été émises jusqu’à présent par la CPI. Dans le procès Lubanga, les juges ont défini le montant de la responsabilité financière du chef de la milice congolaise pour les réparations aux victimes à 10 millions de dollars US. Celle de Germain Katanga a été fixée à 1 million de dollars US. Le citoyen malien Ahmad al-Faqi al-Mahdi, qui a été condamné pour avoir attaqué des monuments historiques et religieux, s’est vu attribuer une responsabilité de réparation de 2,7 millions d’euros (soit 3,18 millions de dollars US).

Puisque ces personnes ont été déclarées indigentes, le FPV s’est employé à trouver d’autres sources de financement pour contribuer aux réparations. Dans le procès Lubanga, un programme de 1,06 million de dollars US sur trois ans a été défini pour les réparations collectives versées aux victimes. Dans l’affaire Katanga, les réparations comprendront une compensation individuelle symbolique de 250 dollars US par victime et quatre réparations collectives sous la forme d’une aide au logement, d’une aide à l’éducation, des activités génératrices de revenus et un appui psychologique.


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