Olivia Bueno est une consultante indépendante qui publie des articles sur l’impact de la Cour pénale internationale en RDC depuis plusieurs années. Les vues et opinions exprimées dans ce commentaire ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’Open Society Justice Initiative.
Le retour de Jean-Pierre Bemba en République démocratique du Congo (RDC) mercredi a, une fois encore, suscité un vif intérêt pour le chef de milice devenu homme politique. Son retour intervient moins de deux mois après que les juges de la Cour pénale internationale (CPI) l’aient acquitté pour les viols, meurtres et pillages commis par les troupes de son Mouvement pour la libération du Congo (MLC) en République centrafricaine (CAR). Les aspects juridiques de son acquittement ont fait l’objet de débats animés, avec des commentateurs soulignant les retombées de sa future responsabilité pour une violence sexuelle et sexiste, le rôle de la Chambre d’appel de la CPI et les incidences pour les victimes.
La réaction en RDC, toutefois, a retenu moins d’attention, malgré le fait que son acquittement a d’importantes conséquences tant pour la crédibilité générale de la CPI en RDC que pour le processus électoral à venir. Ce blog témoigne de certains des sujets clés débattus par les militants congolais et par d’autres personnes en réaction à la Cour afin de mieux comprendre les répercutions de la décision prise sur le terrain et pour informer des stratégies d’engagement mais il ne prétend pas rendre un avis définitif ou scientifique sur la question.
Toujours les mêmes questions de crédibilité
Bien que la CPI ait bénéficié d’un large soutien en RDC, elle a également fait l’objet de critiques régulières et constantes au sujet de sa crédibilité. Dans un contexte d’impunité générale, la CPI a été perçue comme une lueur d’espoir par certains. En effet, les sondages indiquent qu’une forte majorité (68 %) soutient la Cour. Par contre, elle a été l’objet d’importantes critiques, notamment par ceux qui continuent de soutenir l’institution en général, concernant ce qui a été jugé comme une lenteur et un manque d’indépendance et d’impartialité.
Ces critiques ont été particulièrement fortes lors des poursuites engagées à l’encontre de M. Bemba, dont le procès a été ressenti comme une ingérence politique. Comme les organisations Initiative Internationale en faveur des Droits des Réfugiés et APRODIVI l’ont noté en 2012, la décision de la CPI de cibler M. Bemba « donnait l’impression que le processus judiciaire de la Cour était politisé… et qu’un grand nombre de congolais percevait l’arrestation [de M. Bemba] comme une preuve que la Cour était utilisée comme un instrument par le gouvernement congolais pour neutraliser ses rivaux ». Une autre critique systématique concerne le manquement de la Cour à juger Ange-Félix Patassé, le président centrafricain qui avait invité M. Bemba et ses troupes pour combattre une tentative de coup d’état et dont les troupes ont combattu aux côtés du MLC de M. Bemba. Poursuivre l’un sans poursuivre l’autre semblait, pour certains congolais, être la preuve que les accusations étaient motivées politiquement. Ces critiques de la procédure ont résonné dans les réactions à l’acquittement.
Indépendamment de la manière dont le verdict a été déterminé, de nombreuses personnes ont été surprises. Un avocat congolais anonyme a déclaré : « J’ai été très surpris, étant donné le fossé existant entre un verdict de culpabilité avec une peine de 18 ans de prison et un acquittement en appel ».
La surprise, cependant, ne signifie pas nécessairement de la désapprobation. Le même avocat a indiqué, « Comme beaucoup d’autres personnes, j’ai conclu que la décision devait être bien réfléchie ». Il s’attendait à une réduction de la peine plutôt qu’à un acquittement pur et simple. À son avis, les « 18 ans de prison pour une responsabilité passive constituaient une peine très sévère ».
Un autre activiste congolais a déclaré, sur un ton plus vif, « La justice a finalement été rendue. J’ai suivi cette affaire depuis le début et je n’ai jamais pensé que M. Bemba devait être traduit en justice pour les crimes pour lesquels il a été poursuivi, et certainement pas à ce moment-là. Ce n’était pas, à première vue, une affaire de responsabilité de commandement et il n’était pas nécessaire d’être avocat pour sentir qu’il y avait anguille sous roche dès le début ».
Le plus souvent, la décision prise s’accorde avec l’opinion courante des Congolais. Jason Stearns, un ancien membre du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC, aurait indiqué sur RFI: « Les Congolais n’ont jamais cru à la culpabilité [de M. Bemba]. Selon un sondage de 2016, seulement 33 % des Congolais pensaient que la peine était juste [après la condamnation et la peine initiales qui sont maintenant annulées] et, dans le nord du pays d’où il est originaire, ils étaient seulement 10 %.
Pour un grand nombre de Congolais, la condamnation de M. Bemba était le résultat d’une intervention étrangère. Bien que les avocats de la Cour estiment que la décision prise en appel est une preuve de l’impartialité de la Cour et du fonctionnement de la procédure officielle, certaines personnes au Congo considèrent, au mieux, la décision en appel plutôt comme une preuve que le « marionnettiste » avait changé ses plans.
Un militant a soutenu que, pour de nombreux congolais, l’acquittement « est la confirmation que les puissances occidentales, qui avaient envoyé M. Bemba à La Haye en premier lieu, avaient tourné le dos à [Joseph] Kabila [l’actuel président congolais] et qu’ils renvoient M. Bemba pour réaliser le travail que M. Kabila ne peut plus faire pour eux ».
Il ne s’agit pas d’une opinion limitée aux congolais de la rue mais elle est partagée également par les élites. Un autre militant ayant le même avis, a déclaré que l’opinion publique congolaise « pensait vraiment que l’arrestation et la condamnation de Jean-Pierre Bemba servaient certains intérêts politiques et que son acquittement était basé sur la même logique ». Sinon, interrogent-ils, pourquoi M. Bemba a-t-il été acquitté après la fin du mandat de M. Kabila ? Et pourquoi cela coïncide-t-il avec une pression occidentale accrue sur M. Kabila pour qu’il se retire ? Tandis que l’accusation soutient que le calendrier est principalement déterminé par la durée des procédures et le calendrier de la Cour, la prévalence de ces questions en RDC montre les défis à relever pour donner foi en ces procédures.
Le sentiment que cette procédure a été manipulée politiquement a été ensuite renforcée par le fait que l’ambassadeur Herman Cohen, un ancien sous-secrétaire d’état américain aux affaires africaines, a pesé quelques jours avant la date de la décision en envoyant une lettre à la CPI, appelant à la libération de M. Bemba. Bien que M. Cohen affirme dans la lettre croire que la condamnation est légitime, il demande que la peine de M. Bemba soit réduite à la durée d’emprisonnement déjà purgée afin qu’il puisse « assumer son leadership politique », qui est « grandement nécessaire en ces temps de tension politique et de violence régionale » en RDC.
Bien qu’il ait travaillé en tant que consultant à l’époque où il a écrit la lettre, il est toujours largement perçu comme reflétant la position du gouvernement américain et, selon Pascal Kakoraki, militant à Bunia, « La lettre, écrite par une figure politique, est la preuve de l’ingérence du politique dans la justice ». Le véritable impact de la lettre est discutable mais il semble clair qu’elle a eu un effet négatif.
Certains voient la CPI piégée par ses manquements antérieurs. Bien que, comme indiqué ci-dessus, les avocats perçoivent l’annulation comme une preuve d’impartialité, l’acquittement, pour certains congolais, ne fait que renforcer l’idée que la décision initiale était injuste. Selon un militant congolais, « La Cour risque de perdre sa crédibilité à la suite de cette décision pour la seule raison qu’elle reconnait ainsi ses erreurs et, par conséquent, que cela renforce l’impression ou le sentiment qu’elle a été prise pour libérer M. Bemba ».
Autrement dit, le même processus de correction des erreurs antérieures n’a pas, du moins pour certaines, reçu de louanges mais a tout simplement confirmé la faute. Selon un autre militant, « Si elle veut être perçue comme l’instrument d’une justice impartiale et indépendante, la Cour a encore beaucoup à faire pour restaurer son image ».
Dans un autre registre, ceux qui sont concernés par le sort des victimes sont intéressés par les conséquences de la décision sur ce groupe. M. Kakoraki a déclaré, « Les victimes ont été abandonnées à leur triste sort », expliquant que l’absence de condamnation signifiait qu’il n’y aurait aucune réparation, bien que le Fonds au profit des victimes ait veillé à prendre des dispositions pour les aides.
Impact politique
L’acquittement de M. Bemba peut jouer un rôle majeur dans les élections à venir qui, après plusieurs reports, sont maintenant prévues pour le mois de décembre, dans moins de cinq mois. Les élections sont déjà controversées puisque leur retard a permis au président Kabila de rester en place après l’expiration de son mandat précédent datant de décembre 2016. De plus, M. Kabila n’a pas exclu de tenter un troisième mandat malgré la limitation du nombre des mandats successifs établie par la Constitution.
Avant son emprisonnement par la CPI, M. Bemba était un acteur de premier plan de la politique congolaise. Initialement chef du mouvement rebelle MLC, il a été nommé vice-président dans le gouvernement de transition mis en place en 2003. En 2006, il a été candidat à l’élection présidentielle, arrivant deuxième après M. Kabila, et en 2007, il a été élu sénateur. Il bénéficie toujours d’un soutien important, particulièrement dans certaines régions du pays, et les récents sondages montrent qu’il est à égalité avec les deux autres principaux candidats d’opposition, Moïse Katumbi et Félix Tshisekedi (le fils d’un chef d’opposition de longue date, Étienne Tshisekedi, qui est décédé en février 2017). Selon un militant, « le retour de M. Bemba a potentiellement un immense impact, comme un tsunami, sur le processus politique mais je pense que personne ne connait encore ni le type ni la direction que prendra cet impact ».
Comme l’on peut s’y attendre, les supporters de M. Bemba ont été très heureux de cet acquittement. Selon Desk Eco, les membres de son parti ont répondu à cette nouvelle par des chansons et des danses improvisées. Un homme apportant des commentaires sur un site Web congolais a déclaré : « Aujourd’hui, c’est un miracle que la majorité des juges d’appel (3 sur 5) ait suffisamment gardé la tête froide pour éviter l’intoxication de la Cour comme cela s’est produit dans le jugement de première instance ». Un membre du parti a déclaré : « Je pleure de joie. Jean-Pierre Bemba était un homme mort et il est maintenant ressuscité ». D’après Jason Stearns, « Pour beaucoup de congolais la justice a enfin été rendue et Jean-Pierre Bemba peut revenir, d’une certaine façon, comme un héros ».
Bien que certains se réjouissent, tous ne s’en félicitent pas. Selon un autre militant, « Si dans l’Ouest et le centre du pays la décision a été bien accueillie, dans l’Est du pays, nombreux sont ceux qui gardent de mauvais souvenirs de l’opération ‘Effacer le tableau à Mambasa’, ce qui a sérieusement terni l’image des troupes rebelles du MLC ». Lors de l’opération ‘Effacer le tableau’, selon Human Rights Watch, « les forces du MLC ont été accusées de commettre de nombreux crimes à l’encontre des civils, notamment des viols, ses exécutions sommaires et des vols ».
Le parti au pouvoir a également critiqué M. Bemba. Un conseiller de M. Kabila a indiqué au Monde que M. Bemba pourra contester mais « cette fois-ci, il n’aura ni armes ni milice. Les congolais ne choisiront pas le nouveau Mobutu, parce c’est ce qu’il est, en pire ».
Pour les autres, cependant, il s’agit moins de soutenir M. Bemba que de s’opposer à M. Kabila. Dans un contexte dans lequel M. Kabila est extrêmement impopulaire avec une opposition faible, certains voient M. Bemba comme la seule alternative viable. D’après un militant, « Sa libération est bien accueillie par les Congolais pour la bonne raison qu’il n’y a pas d’autre homme politique qui puisse mobiliser la population, surtout en cette période d’élection, et ils en ont assez de ce gouvernement, qui est incapable d’accomplir de bonnes choses pour sa population ».
Selon un autre militant, « Avec la disparition du [père] Tshisekedi, M. Bemba est le seul opposant politique qui ait de l’expérience et qui n’ait pas collaboré avec le régime ». Enfin, selon un troisième militant, « Ceux qui sont religieux, non actifs politiquement mais fortement anti-Kabila (à savoir la grande majorité) exprimeront une variante de : Il s’agit de la volonté de Dieu, la preuve que Dieu n’a pas oublié les siens qu’il veut libérer de la tyrannie de Kabila ».
D’autres ayant ce même point de vue soulignent explicitement les défauts de M. Bemba. Un commentateur d’un blog congolais a écrit : « M. Bemba n’est pas un ange qui mérite d’être totalement absous / acquitté pour les méfaits de ses troupes en République centrafricaine, il y a eu au minimum de la négligence criminelle. Il n’est pas le chef idéal pour mener le pays demain, comme c’était le cas, par exemple, de Mandela … mais en l’état actuel d’une opposition divisée en RDC … ne devrait-il pas être considéré comme un atout contre cet adversaire très coriace ? ».
Ce que l’on ne sait pas exactement,c’est si une condamnation permanente de M. Bemba pour des accusations de subornation de témoin sera suffisante pour exclure M. Bemba du vote. La CPI aurait déclaré ne pas pouvoir exprimer un avis sur ce point et qu’il s’agissait d’une question relevant de la législation congolaise. La coalition au pouvoir, cependant, a exprimé l’opinion selon laquelle il devrait être empêché par une disposition de la loi électorale qui exclut les personnes condamnées pour corruption et a soutenu que la subornation de témoin est une forme de corruption. Cet avis a également été exprimé par le professeur émérite de droit pénal Raphaël Nyabirungu mwene Songa.
Même s’il n’est pas autorisé à se porter candidat, M. Bemba pourrait toutefois avoir un impact important en soutenant un autre candidat. Il a indiqué qu’il collaborera avec les partis d’opposition existants pour promouvoir le candidat d’une opposition unifiée. Une autre personnalité de premier plan de l’opposition, Moïse Katumbi, a exprimé son ouverture à une coopération. Il semble probable que M. Bemba jouera un rôle important mais il reste à déterminer exactement quelle en sera la forme.