Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

L’identité des soldats ayant commis des atrocités sur les civils en République centrafricaine (RCA) en 2002 et 2003 a été examinée au cours du procès de Jean-Pierre Bemba pendant lequel le seul témoin ayant comparu cette semaine a raconté comment des soldats congolais lui avaient fait subir un viol collectif et tué son frère.

Cependant, bien que le témoin ait affirmé être sûr que les soldats qui avaient perpétré les atrocités étaient congolais, les avocats de la défense ont mis en doute la capacité du témoin à déterminer la nationalité des soldats.

Témoignant sous le nom de ‘‘témoin 87’’, attribué par la Cour, le témoin a soutenu que les soldats ayant commis des atrocités parlaient lingala, une langue congolaise. L’avocat de la défense Nick Kaufmann a demandé au témoin comment elle pouvait identifier la langue parlée par les soldats comme étant du lingala puisqu’elle avait indiqué dans sa déclaration ne parler que le sango, un dialecte centrafricain, et un peu de français. Le témoin a répondu que bien qu’elle ne comprenait pas le lingala, elle pouvait le reconnaître quand elle l’entendait.

Témoignant avec le visage et la voix déformés numériquement, le témoin a indiqué qu’à l’époque où les troupes de Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de M. Bemba étaient arrivées dans la capitale de la RCA, Bangui, les rebelles qui tentaient de renverser le président du pays, Ange-Félix Patassé, s’étaient déjà retirés.

« Après que les soldats [congolais] soient arrivés, je n’ai plus vu d’autres soldats », a-t-elle déclaré. Le témoin a ajouté que les soldats qui avaient commis les saccages portaient des uniformes similaires à ceux des gardes présidentiels de M. Patassé mais qu’ils ne parlaient que lingala et français.

Les avocats de la défense ont demandé au témoin la différence entre les uniformes portés par les gardes présidentiels et ceux des soldats des forces régulières. Elle a répondu que la garde présidentielle avait l’insigne “GP” sur leurs uniformes. Elle a toutefois précisé qu’elle ne connaissait aucune autre différence, telle que la couleur, entre les uniformes des forces régulières et ceux de la garde présidentielle.

Les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) accusent M. Bemba d’être pénalement responsable de deux crimes contre l’humanité (meurtre et viol) et de trois crimes de guerre (meurtre, viol et pillage) qu’il aurait commis en RCA entre le 26 octobre 2002 et le 15 mars 2003. Cette responsabilité pénale présumée découle de son manquement à arrêter ou à punir ses soldats lorsqu’ils ont tué, violé et pillé.

Le témoin a également déclaré à la Cour présidée par le juge Sylvia Steiner que, bien qu’elle ait été violée par trois hommes, aucun d’entre eux ne portait de préservatif et qu’elle n’avait pu consulter un médecin que sept ans plus tard car elle manquait d’argent. Sa visite chez le médecin avait été facilitée par les fonctionnaires de la CPI en 2009.

« Après avoir été sauvagement violée, pourquoi n’avez-vous pas été voir un médecin ? », a interrogé l’avocat de la défense M. Kaufman.

« Dans notre pays, vous devez avoir de l’argent pour voir un médecin. Puisque tout l’argent que j’avais avait été volé [par les soldats de M. Bemba], je ne pouvais me rendre chez le médecin », a-t-elle répondu.

Le juge a ajouté que « en raison de la vulnérabilité particulière de ce témoin, évaluée par les psychologues », elle était accompagnée à La Haye par une personne destinée à la soutenir. Par ailleurs, les juges ont approuvé les suggestions faites par les psychologues de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU) de la Cour pour qu’une personne ressource du VWU soit assise à côté du témoin dans la salle d’audience et qu’un psychologue soit présent afin de le surveiller.

Le juge Steiner a demandé aux parties de poser des questions courtes, simples et ouvertes et de ne pas poser de questions embarrassantes ou inutilement indiscrètes.

Lors du contre-interrogatoire, les avocats de la défense ont affirmé que les troupes rebelles étaient toujours à Bangui à l’époque où le témoin avait été violé. Ils ont ajouté que, à cette période, il y avait un grand nombre d’autres milices que le MLC dans le pays. M. Kaufman a demandé au témoin si elle connaissait les divers groupes qu’il avait mentionnés. Le témoin a indiqué qu’elle avait entendu parler de la plupart des groupes au sujet desquels l’avocat de la défense l’avait interrogé.

L’avocat a demandé au témoin s’il connaissait une personne dénommée Abdoulaye Miskine, précisant qu’il avait apporté son aide au président Patassé, pour combattre une tentative de coup d’état menée par François Bozizé, chef d’état-major révoqué.

Le ‘‘témoin 87’’ a répondu qu’elle avait effectivement entendu dire que M. Miskine combattait les rebelles.

« Saviez-vous que Abdoulaye Miskine et son groupe étaient très violent ? », a demandé M. Kaufmann.

Le témoin a répondu : « Je n’ai eu aucune information à ce sujet ».

Lorsque l’avocat de la défense a demandé au témoin si elle avait entendu parler du massacre perpétré dans un marché de Bangui par M. Miskine et ses troupes, le témoin a répliqué avoir entendu parler de l’incident. Le ‘‘témoin 87’’ a terminé son témoignage vendredi après-midi.

M. Miskine, qui serait un ressortissant tchadien, a aidé M. Patassé de 1993 à 2003. Il dirigeait une unité spéciale en dehors de l’armée régulière qui a combattu les tentatives de coups d’état de M. Bozizé.

Entretemps, cette semaine, M. Bemba a eu l’autorisation des juges de quitter le centre de détention de La Haye pour se rendre en Belgique afin d’assister aux obsèques de sa belle-mère. Il est revenu à La Haye dans la journée et, depuis mardi, est présent au tribunal.

M. Bemba, dont la famille vit en Belgique, paye tous les frais de son voyage et remboursera également aux gouvernements belge et hollandais tous les frais induits par la gestion de ce déplacement.

Selon une décision rendue publique le 12 janvier 2011, les juges ont décidé qu’ils autorisaient M. Bemba à se rendre aux obsèques de Mme Efika Lola Saida Josette en Belgique après que l’accusé ait suffisamment démontré le lien familial qui le liait à la défunte.

« La chambre considère que le décès de la belle-mère de M. Bemba constitue une circonstance exceptionnelle qui justifie que la chambre exerce son pouvoir pour des motifs humanitaires », ont déclaré les juges Sylvia Steiner, Joyce Aluoch et Kuniko Ozaki.

Conformément aux termes de sa courte libération du centre de détention, M. Bemba et tous les membres de son équipe de défense n’ont pas été autorisés à avoir des contacts avec le public ou à parler à la presse pour divulguer des informations relatives à sa présence sur le territoire belge, que ce soit avant ou pendant son séjour dans ce pays.

De plus, les juges ont décidé que M. Bemba ne serait autorisé à communiquer avec personne, « à l’exception des membres de sa famille proche ou des personnes affectées à sa protection ». Les juges ont ordonné que M. Bemba ne pourrait se rendre qu’au domicile de sa femme et, si la dépouille de sa belle-mère ne s’y trouvait pas, dans le lieu où cette dernière était conservée et qu’il pourrait assister aux obsèques célébrées à l’église Saint-Paul de Waterloo.

Le procès se poursuivra lundi avec la comparution du cinquième témoin de l’accusation.


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