Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Kelly Askin

La Cour pénale internationale (CPI) est opérationnelle depuis 2002 mais des victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide sont toujours en attente du premier jugement de la Cour. Très récemment, le tribunal dans son ensemble a été attaqué pour sa lenteur, pour les faiblesses de son premier procès, à savoir l’affaire Lubanga, et pour ne pas avoir toujours pris en compte l’égalité des sexes et, sans doute, les compétences en matière d’égalité des sexes dans certains cas.

Alors que le procès de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba s’ouvre à La Haye pour des crimes commis en République centrafricaine, une possibilité s’offre à la CPI de démontrer sa capacité à mener un procès rapide et de premier plan qui réponde aux normes minimales d’équité et qui prouve que la CPI attache une grande importance aux crimes sexuels.

Le procès Bemba est novateur à bien des égards, notamment pour son traitement des crimes sexuels et pour la présence de femmes à des postes de responsabilité au sein de la Cour.

  • Il s’agit de la première affaire à être jugée devant la CPI qui traite presque exclusivement de crimes sexuels. Bien que les chefs d’accusation concernent également le meurtre et le pillage, il s’agit avant tout d’un procès pour crimes de viol : le viol comme crime de guerre et le viol comme crime contre l’humanité.
  • C’est le seul chef d’accusation (du moins indiqué publiquement) à jamais avoir été retenu par la Cour à l’encontre d’un individu pour les atrocités commises en République centrafricaine en rapport avec le coup d’état de 2002-2003.
  • Ces charges sont les plus importantes pour lesquelles une personne peut être jugée devant la CPI. Bemba était le vice-président de la RCA et le chef d’une milice, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC).
  • Il ne s’est tenu aucun autre procès international pour crimes de guerre devant un tribunal chargé de juger des crimes de guerre dans lequel trois femmes juges sont présentes sur le banc des juges. En revanche, il aurait été tout à fait insignifiant, voire totalement habituel, de voir trois juges hommes présider le procès, comme c’est tout simplement la norme. Le juge président, Sylvia Steiner, originaire du Brésil, possède une expertise et une formation en droits des femmes. Ses collègues sont le juge Kuniko Ozaki et le juge Joyce Aluoch, originaires respectivement du Japon et du Kenya. Ainsi, des femmes juges issues de l’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique statueront au cours de ce procès historique de la CPI centré sur les crimes sexistes.
  • Il s’agit de la première affaire jugée devant la CPI dans laquelle une femme substitut du Procureur (Petra Kneuer) prend les rênes en tant que premier substitut du Procureur chargé des poursuites judiciaires. Le procureur adjoint Fatou Bensouda sera également en charge de l’accusation dans cette affaire (Bensouda est également le conseil principal de l’accusation dans les deux autres procès actuellement jugé devant la Cour).
  • C’est une affaire où la Cour a une responsabilité de premier ordre. M. Bemba est accusé de porter la responsabilité, en tant que supérieur hiérarchique, des crimes commis par ses subordonnés sur lesquels il exerçait une autorité et un contrôle effectifs. Il est accusé d’avoir failli à son devoir de prévention, d’arrêt ou de sanction des crimes commis par ses subordonnés.
  • Les crimes sexuels contre les femmes, les hommes et les enfants auraient été utilisés comme un outil pour terroriser, démoraliser et dominer la population civile en RCA. Un grand nombre de viols ont été collectifs et/ou commis devant des membres de la famille. Plusieurs survivants de viols et de viols collectifs auraient contracté le VIH/sida, un grand nombre de femmes et de filles se sont retrouvées enceintes à la suite de ces violences sexuelles.

Tous les regards seront tournés vers la CPI pendant le procès Bemba. L’affaire renferme le potentiel de concurrencer et même, par certains aspects, de dépasser la portée juridique du jugement phare du procès Kunarac (Foca) devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Kuranac a été le premier procès de plusieurs accusés jugés devant le TPIY qui ait été uniquement centré sur les crimes sexuels, entraînant des condamnations pour viol, torture et esclavage en tant que crimes contre l’humanité à la suite du traitement brutal infligé aux femmes et aux filles dans la ville de Foca. L’affaire Katanga et Ngudjolo, jugée actuellement devant la chambre de première instance II de la CPI, ne comporte pas les chefs d’accusation importants que sont le viol ou l’esclavage sexuel, les crimes sexuels de ce procès étant intégrés dans un ensemble de crimes, dont la conscription d’enfants soldats, le meurtre et les attaques de populations civiles et les crimes contre les biens, et ne sont pas aussi centraux que dans le procès Bemba. (Il faut également préciser que dans l’affaire Katanga et Ngudjolo deux femmes juges président au procès).

Ces dernières années, un certain nombre de résolutions du Conseil de sécurité a condamné la violence sexuelle liée à un conflit et a incité à mettre fin à l’impunité de ces crimes. Elles ont également appelé à l’intégration de femmes dans les postes de responsabilité dans le cadre d’efforts de responsabilisation et de paix. (Voir p. ex., les résolutions 1325 de 2000, 1674 de 2006, 1820 de 2008, 1888 de 2009, 1889 de 2009 et 1894 de 2009.) La violence sexuelle utilisée comme outil de guerre est maintenant largement reconnue comme étant un des crimes les plus odieux et méprisables. La société reconnaît de plus en plus que la honte et la stigmatisation pesant injustement sur les survivants devraient être du côté des auteurs de ces crimes sexuels qui sont des êtres faibles, lâches et indignes.

Les crimes sexuels commis en RCA ont été d’abord porté à l’attention de la CPI par un rapport d’enquête publié en février 2003 par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Après avoir engagé de longues procédures, la CPI a finalement ouvert une enquête complète en mai 2007 et un mandat d’arrêt fut émis pour M. Bemba l’année suivante alors qu’il se trouvait en Belgique.

Les victimes dans cette affaire attendent depuis près de neuf ans que justice leur soit rendue. La Cour pénale internationale a la possibilité et la responsabilité de rétablir, dans une certaine mesure, la justice pour le massacre qui aurait été commis par les seigneurs de guerre congolais en République centrafricaine. Les tribunaux nationaux doivent également conduire des procès équitables et impartiaux contre des suspects de moindre envergure. Fort heureusement, la CPI sera un modèle pour les processus de justice, tant internationaux que nationaux, destinés à obtenir réparation pour ces crimes atroces.


Contact