Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Le procès pour crimes de guerre de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba débute enfin aujourd’hui, deux ans et demi après qu’il ait été incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale à La Haye.

Il s’agit du premier procès à se tenir devant la CPI dans lequel un chef militaire est tenu pénalement responsable des crimes commis par ses troupes. Ce procès revêt également une grande importance puisqu’il implique la plus haute personnalité politique jamais jugée par la Cour depuis qu’elle a débuté ses activités, il y a huit ans. De plus, le procès entendra un grand nombre de dépositions sur l’utilisation du viol comme arme de guerre.

Aujourd’hui, la défense de M. Bemba a égrené une litanie de plaintes, faisant valoir que l’arrestation et la détention de son client était fondée sur de fausses informations que l’accusation avait fournies aux juges. La défense a également déclaré qu’étant donné que les avoirs de M. Bemba avaient été gelés à la demande de la Cour, il avait été difficile pour la défense de mener ses enquêtes avant le commencement du procès.

« Immédiatement après l’arrestation de M. Bemba, l’accusation a rapidement saisi tous les avoirs de ce dernier, y compris ses biens immobiliers et ses autres types d’actifs, mais en ne se basant sur aucune règle du Statut de Rome », a indiqué l’avocat de la défense Nkwebe Liriss. « Le Statut de Rome reconnaît effectivement la possibilité de saisir les propriétés et les avoirs qui seraient le fruit du crime commis mais aucunement les biens immobiliers que M. Bemba a acquis par le biais d’un certain nombre de sociétés dix ans avant qu’il n’ait commencé ses activités militaires ».

M. Nkwebe a exposé que, alors que les juges avaient refusé d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Bemba étant donné l’insuffisance d’éléments de preuve, « pour contourner cette difficulté, le procureur avait soutenu que M. Bemba était sur le point de fuir vers une destination inconnue, obligeant ainsi la Chambre à émettre le mandat d’arrêt ». L’avocat de la défense a ajouté : « Jusqu’à présent, la défense a demandé à plusieurs reprises d’obtenir les éléments qui avaient apparemment donné à l’accusation les motifs de soutenir que M. Bemba allait fuir mais nos demandes sont restées vaines ».

L’accusation soutient que M. Bemba, 48 ans, est pénalement responsable, en tant que commandant, des meurtres, viols et pillages qui auraient été commis en République centrafricaine (RCA) par ses troupes en 2002 et 2003. M. Bemba, un ressortissant congolais, a reconnu que les troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), qu’il avait dirigées, avaient pénétré dans la République centrafricaine voisine pendant cette période pour aider le président de l’époque, Ange-Félix Patassé, à écarter une tentative de coup d’état.

Luis Moreno-Ocampo, procureur de la CPI, a déclaré aujourd’hui que M. Bemba savait que les troupes du MLC commettaient des crimes et qu’il n’avait pas utilisé ses pouvoirs pour empêcher ou réprimer leur commission. M. Ocampo a ensuite souligné l’importance du procès : « Jean-Pierre Bemba a utilisé l’ensemble de son armée comme une arme pour violer, piller et tuer des civils en RCA. Aujourd’hui, il est amené à rendre des comptes pour avoir délibérément omis d’empêcher, réprimer ou punir ces atrocités de masse commises par ses hommes en RCA ».

M. Ocampo a poursuivi en indiquant que « les troupes de M. Bemba ont volé les biens des gens les plus pauvres dans un des pays les plus pauvres du monde. Les troupes de M. Bemba ont violé en masse des femmes, des filles, des femmes âgées, quel que soit leur âge. Il s’agit donc fondamentalement de viols et de crimes sexistes, de crimes de domination et d’humiliation pour détruire les victimes de Bemba ».

Marie-Edith Douzima-Lawson, un représentant légal des victimes, a précisé que le viol constituait une grande partie des charges retenues contre M. Bemba. « Très souvent, les viols collectifs sont effectués à l’encontre de femmes ou d’enfants, même celles qui sont en période de règles », a-t-elle déclaré, ajoutant que les combattants du MLC violaient également des hommes et des femmes âgées. Selon elle, l’intention des rebelles du MLC était d’intimider, d’humilier et de terrifier les membres de la population civile qui étaient soupçonnés d‘être contre le président Patassé.

Le procureur a affirmé que M. Bemba exerçait une autorité et un contrôle effectifs sur le MLC en 2002 et 2003. « Il a donné l’ordre du déploiement de ses troupes et de leur retrait. Il avait le pouvoir de nommer et de démettre … M. Bemba avait le pouvoir d’empêcher et de réprimer la commission de ces crimes », a-t-il déclaré.

Toutefois, l’avocat de la défense a soutenu que M. Bemba était détenu sans motifs valables ou suffisants pouvant justifier une telle détention. « Dans les jours à venir, nous attendons une nouvelle décision de la Chambre de première instance qui doit déterminer s’il existe ou non des motifs véritables justifiant cette détention », a déclaré M. Nkwebe.

Le procès Bemba sera entendu par le juge président Sylvia Steiner et les juges Joyce Aluoch et Kuniko Ozaki. Cet après-midi, lors du commencement du procès, l’accusation, les représentants légaux des victimes et la défense ont présenté leurs exposés introductifs après que les avocats de Bemba aient affirmé que l’accusé comprenait les cinq charges retenues à son encontre. Les avocats ont indiqué que M. Bemba plaidait non coupable pour tous les chefs d’accusation.

Le juge Steiner a déclaré devant la Cour que, jusqu’à présent, les juges avaient accordé à 775 victimes le droit de participer au procès. Et que 653 autres demandes étaient en cours d’examen.

L’affaire de M. Bemba est le troisième procès à se dérouler devant la CPI. Trois autres ressortissants congolais, Thomas Lubanga, Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga, sont jugés pour des crimes de guerre qu’ils auraient commis alors qu’ils dirigeaient des milices dans leur pays d’origine.

Le procureur principal Petra Kneur a indiqué à la Cour que les témoins de l’accusation comprendraient huit victimes ou les témoins des crimes qu’ils ont subis, treize témoins ayant appartenus au MLC, un expert des structures et responsabilités du commandement militaire, cinq témoins généraux qui apporteront des dépositions sur le contexte des crimes pour lesquels M. Bemba est poursuivi ainsi que trois autres experts dont un spécialiste de l’utilisation du viol comme arme de guerre.

M. Ocampo a indiqué que la décision de la Chambre pourrait avoir un effet préventif au-delà des 114 pays qui sont États Parties au Statut de Rome de la CPI. « Par conséquent, la définition de la responsabilité du commandant donnée par les juges sera un avertissement pour tous les commandants militaires du monde », a-t-il précisé.

Le premier témoin de l’accusation portant le pseudonyme de ‘témoin 38’ devrait se présenter à la barre demain après-midi. Avant de lever la séance pour la journée, le juge Steiner a accédé à la demande de l’accusation d’obtenir des mesures de protection pour ce témoin. Le témoin apportera son témoignage avec le visage et la voix déformés numériquement.


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