Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Cette semaine, le procès pour crimes de guerre de l’accusé Jean-Pierre Bemba a entendu le procureur de la République de la RCA. Le témoin avait dirigé une enquête judiciaire qui avait constaté la responsabilité de M Bemba et de l’ancien président Ange-Félix Patassé pour les crimes commis dans le pays pendant les années 2002 et 2003.

Firmin Feindiro, procureur général en RCA, a déclaré à la Cour qu’il avait reçu une lettre du ministère de la justice de son pays lui demandant d’ouvrir une enquête sur le conflit de 2002-2003. La lettre était accompagnée d’un rapport établi par des agences des Nations Unies concernant le nombre de victimes des crimes commis pendant cette période.

Lors du contre-interrogatoire mené par l’avocat de l’accusation Ibrahim Yillah, M. Feindiro a déclaré qu’il avait par la suite conduit une enquête visant à déterminer la responsabilité des personnes derrière les crimes commis.

« Des personnes ont été tuées. Des personnes ont été violées. Des biens ont été volés, pillés. Les personnes ont également été blessées », a déclaré M. Feindiro. En outre, a-t-il indiqué, certains des crimes commis ont été « de nature financière ». Selon le témoin, l’enquête avait constaté que les troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de M. Bemba avaient perpétré la plupart de ces crimes.

Toutefois, d’après lui, M. Bemba n’avait pas été poursuivi en RCA pour ces crimes car il avait obtenu l’immunité de la part de l’accusation à l’époque où les autorités centrafricaines avaient conclu que ses troupes avaient commis les crimes.

M. Feindiro a expliqué qu’aucun chef de responsabilité matérielle ou physique pour le comportement des troupes du MLC n’avait été retenu par le juge d’instruction auquel il avait présenté ses conclusions, seule une ‘‘responsabilités intellectuelle’’ avait été envisagée. Il a déclaré que c’est pour une responsabilité intellectuelle des crimes présumés que M. Bemba et les autres coauteurs avaient été déclarés pénalement responsables par les procureurs centrafricains.

Cependant, une fois que le juge d’instruction avait été saisi de l’affaire, le juge n’avait pas maintenu les charges retenues à l’encontre de M. Bemba. « Il [Bemba] était devenu vice-président du Congo et jouissait par conséquent d’une immunité. La procédure pénale centrafricaine de l’époque n’avait pas accepté le principe de compétence universelle », a indiqué le témoin.

À l’époque où M. Bemba avait envoyé ses troupes en RCA pour aider le président en exercice Ange-Félix Patassé à combattre une tentative de coup d’état, le MLC était un groupe rebelle qui tentait de s’emparer de pouvoir en République démocratique du Congo. À la suite de la signature d’un accord de paix, le groupe de M. Bemba avait déposé les armes et M. Bemba était devenu un des vice-présidents du Congo.

M. Feindiro a témoigné que d’autres personnes, notamment M. Patassé et son ancien premier ministre, Martin Ziguélé, n’avaient pas été traduits en justice. Il a indiqué avoir formé un recours contre les décisions du juge mais il n’a pas précisé à la Cour quelle avait été l’issue de ce recours.

M. Bemba est jugé devant la CPI pour des crimes similaires à ceux pour lesquels les procureurs centrafricains avaient cherché à le poursuivre, non pour responsabilité pénale mais pour responsabilité de commandement. En tant que commandant en chef du MLC, il est accusé de manquement à empêcher, arrêter ou punir ses troupes alors qu’elles auraient violé, tué et pillé des civils en RCA.

La Cour basée à La Haye avait ouvert son enquête sur le conflit de la RCA en mai 2007 à la suite d’un renvoi du gouvernement centrafricain de décembre 2004. Le procès a débuté en novembre dernier.

M. Feindiro a également déclaré que les enquêtes judiciaires nationales menées dans son pays avaient entendu plus de 300 victimes dont les trois-quarts étaient des victimes de viol. Des cas de meurtre et de pillage avaient également été entendus mais ils étaient moins nombreux que les cas de viol. D’après lui, les victimes de viol avaient identifié leurs agresseurs en tant que membres du MLC.

Le procureur de Bangui a déclaré que l’enquête judiciaire conduite sous sa direction avait conclu que M. Patassé avait le commandement général des forces armées du pays à l’époque du conflit. En effet, l’enquête avait montré que M. Bemba avait une responsabilité subordonnée sur les soldats qui avaient commis des actes de violence sur les civils.

Il a ajouté que son enquête, qui avait débuté en août 2003 et qui avait duré ‘’plusieurs mois’’, avait entendu plus de 300 victimes au sujet des atrocités commises majoritairement dans la capitale du pays, Bangui. Parmi les témoins figuraient des personnes appartenant aux autorités militaires centrafricaines qui avaient expliqué comment des ordres furent donnés pendant la campagne entreprise par les forces de M. Patassé et ses groupes alliés, y compris le MLC, contre une rébellion armée visant à renverser M. Patassé.

En se basant sur les interviews des victimes et des témoins, M. Feindiro était parvenu à des conclusions quant aux personnes qu’il jugeait coupables des crimes. Le dossier renfermant ses conclusions, qui fait maintenant partie des éléments de preuve du procès de la CPI, était cette semaine au cœur de l’interrogatoire de la défense.

Dans le dossier, le procureur général affirmait que M. Patassé, en tant que président centrafricain en exercice, chef des forces armées nationales et président du Haut conseil de la défense nationale, était le chef hiérarchique des forces armées et des mercenaires étrangers qui combattaient à leurs côtés. Le procureur a classé le MLC comme étant une de ces forces de mercenaires étrangers.

Le dossier de M. Feindiro faisait également remarquer que lors d’un discours prononcé devant des centrafricains le 29 novembre 2002, M. Patassé avait déclaré qu’il avait effectivement appelé les troupes du MLC de M. Bemba pour apporter leur aide aux forces loyalistes dans leur lutte contre une tentative de coup d’état. D’après des extraits lus à l’audience par la défense et confirmés par le témoin, M. Patassé a affirmé dans ce discours qu’il savait que des crimes avaient été commis et que, par conséquent, il allait mettre sur pied une commission pour « évaluer tout cela ».

Á ce titre, d’après ce dossier, l’enquête judiciaire menée par M. Feindiro avait conclu que « bien qu’il [Bemba] ait envoyé ses troupes à la demande de M. Patassé, ce fait ne peut être remis en cause [mais] il n’a pas été démontré qu’il ait été impliqué dans leur utilisation sur le terrain et il convient donc de l’écarter ».

L’enquête de M. Feindiro avait conclu que, une fois que les troupes du MLC étaient à Bangui, elles étaient sous les ordres de M. Patassé par le commandement direct de Ferdinand Bombayake. L’Unité de sécurité présidentielle (USP) dirigée par le général Bombayake a été la seule des forces armées centrafricaines dont la collaboration avec le MLC a été constatée par l’enquête judiciaire nationale. Cela est dû au fait que M. Patassé faisait totalement confiance à M. Bombayake mais qu’il n’avait aucune confiance dans les Forces Armées Centrafricaines (FACA), l’armée régulière du pays, qu’il soupçonnait de participer à la tentative de coup d’état menée contre lui.

Le rapport du procureur général de la RCA affirmait que M. Patassé avait coordonné les opérations militaires contre les insurgés. « Lorsqu’une offensive ou une contre-offensive était organisée, c’était le président qui la supervisait … Cela a été confirmé par le général Bombayake qui a assuré que c’était M. Patassé qui décidait de tout et qu’il [Bombayake] ne faisait qu’appliquer les instructions reçues », a-t-il dit.

Lors du contre-interrogatoire, l’avocat de la défense a également lu des extraits de la déclaration que M. Feindiro avait faite aux enquêteurs de la CPI dans laquelle il affirmait que le MLC avait reçu un paiement du trésor centrafricain. Il aurait indiqué que le paiement était autorisé par M. Patassé et par son premier ministre Martin Ziguélé.

M. Feindiro a également déclaré que lors des enquêtes, audiences et interrogations de victimes à l’échelle nationale, il était apparu qu’il y avait de nombreux groupes armés en RCA à l’époque des évènements. Ces groupes comprenaient les forces dirigées par le colonel Abdoulaye Miskine qui dépendait du président en exercice Ange-Félix Patassé ainsi que la SCPS (Société centrafricaine de protection et de surveillance), un groupe de sécurité privée qui aurait été, d’après le témoin, dirigé par le chauffeur de M. Patassé.

Il y avait, de plus, l’USP, des forces libyennes ainsi que des troupes issues du regroupement régional de 21 pays, la Communauté des États sahélo-sahariens, à savoir le CEN-SAD. Selon le témoin, des ‘‘groupes militaires ethniques’’ ainsi que des rebelles menés par François Bozizé étaient également en activité en RCA à l’époque où les troupes de M. Bemba étaient présentes dans ce pays.

M. Feindiro a toutefois indiqué que les victimes qui avaient été entendues lors de l’enquête judiciaire avaient signalé que les troupes des différents groupes armés centrafricains n’avaient commis aucun viol. La mission d’enquête avait entendu que le groupe dirigé par M. Miskine avait procédé à des exécutions dans le marché au bétail au PK 13 (Point Kilomètre 13), une banlieue près de la capitale Bangui.


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