Pieter W.I. de Baan est le directeur général du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale (CPI). Le mois dernier, il a accepté de s’entretenir avec Open Society Justice Initiative et de répondre à des questions sur son travail au sein du Fonds ainsi que sur son rôle dans l’assistance aux victimes d’atrocités de masse. Cet article est également publié sur les sites Web qui suivent les procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui et de Thomas Lubanga, ainsi que les procédures d’ICC Kenya.
Jennifer Easterday : Que fait le Fonds au profit des victimes ?
Pieter W.I. de Baan : Le Fonds au profit des victimes (FPV ou Fonds) est le premier en son genre à s’inscrire dans le mouvement global de lutte contre l’impunité et de promotion de la justice. Il soutient des activités qui prennent en charge les dommages causés par les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI ou Cour) pour : les victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocides commis après le 1er juillet 2002 ainsi que pour leurs familles. Le FPV conçoit ses activités en faisant des victimes elles-mêmes ses partenaires, les aidant à reconstruire leurs familles et communautés pour qu’elles retournent à une existence digne et féconde dans leur collectivité.
JE : Quel est le mandat du FPV ?
PdB : Le Fonds au profit des victimes a une mission double auprès des victimes de crimes relevant de la compétence de la CPI et auprès de leurs familles.
1. Réparations : mise en œuvre des décisions rendues par la Cour ordonnant à un condamné de verser des réparations, lorsque la Cour l’en charge. Bien que plusieurs affaires soient actuellement jugées devant la Cour pénale internationale, aucune n’est à présent parvenue au stade des réparations.
Le mandat du FPV pour accorder des réparations est lié à des poursuites pénales engagées contre un accusé devant la Cour pénale internationale. Ses ressources sont le produit d’amendes, de biens confisqués ou d’ordonnances de réparation qui sont complétées avec « d’autres ressources du Fonds » si le Conseil de direction en décide ainsi.
Les réparations aux victimes, ou à leurs ayants droit, peuvent prendre différentes formes, notamment celles de restitution, d’indemnisation ou de réhabilitation. Ce large mandat permet à la CPI d’identifier la forme de réparation la plus adaptée tout en tenant compte de la situation et des souhaits des victimes et de leurs collectivités. Les réparations ne sont d’aucune manière limitées à une compensation monétaire individuelle ; elles peuvent être remplacées par des formes collectives de réparations et de mesures qui peuvent promouvoir la réconciliation au sein de communautés divisées.
2. Assistance de caractère général : utilisation des contributions volontaires des donateurs afin de fournir les services de réadaptation physique, d’appui matériel et/ou de soutien psychologique aux victimes de situations dont la Cour est saisie et à leurs familles. Ce mandat n’est pas lié à un procès et n’exige pas qu’une condamnation soit prononcée. L’assistance de caractère général est plutôt fournie aux victimes qui s’inscrivent dans le cadre plus large de situations où des crimes présumés auraient été commis.
Des informations plus détaillées sur les types de soutien et d’activités sont présentées ci-dessous.
JE : Comment le FPV détermine-t-il qu’une personne est une victime ?
PdB : La définition des victimes est énoncée à la règle 85 du Règlement de procédure et de preuve. Cette règle s’applique à la fois à la Cour et au Fonds au profit des victimes. La règle 85 stipule :
« Au sens du Statut et du Règlement de procédure et de preuve :
(a) Le terme « victime » s’entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la compétence de la Cour ;
(b) Le terme « victime » peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct ».
JE : Qui décide qui est admissible pour des réparations ?
PdB : S’agissant des réparations, c’est la Cour / Chambre qui décide qui peut prétendre à des réparations en tant que victime. En vertu des règlements du Fonds au profit des victimes, la Chambre peut également charger le Fonds d’identifier les victimes ayant droit aux réparations selon des paramètres clairs définis par la Chambre. Pour les réparations, seules peuvent en bénéficier les victimes qui ont été directement ou indirectement affectées par les crimes commis par une personne inculpée.
JE : Les victimes autres que celles qui ont été affectées par des crimes commis par une personne inculpée peuvent-elles bénéficier de réparations de la part du FPV ?
PdB : Pour ce qui est de l’assistance de caractère général, les victimes ayant subi un préjudice du fait d’un crime commis par une personne inculpée ne sont pas les seules à pouvoir en bénéficier. Toutes les victimes d’une situation au cours de laquelle elles ont subi des crimes visés par le Statut peuvent également en bénéficier. Cela permet au Fonds de proposer une assistance à un éventail plus large de victimes et cela avant que la Cour n’ait condamné un auteur. Le Fonds au profit des victimes, par exemple, propose une assistance aux victimes de crimes visés par le Statut dans le Nord de l’Ouganda où, jusqu’à présent, il a été impossible d’exécuter les mandats d’arrêt émis par la Cour.
JE : Qu’en est-il si une personne n’est pas admissible en tant que victime devant la CPI, peut-elle toutefois recevoir des allocations de la part du FPV ?
PdB : La Cour et le Fonds utilisent la même définition, celle de la règle 85 du Règlement de procédure et de preuve, pour déterminer le statut de victime.
Cependant, le Fonds au profit des victimes, en particulier dans le cadre de son mandat d’assistance de caractère général peut répondre à un éventail plus large de victimes.
Si une personne a fait une demande auprès de la Cour de participation à un procès mais est jugée par la Chambre comme non admissible à prendre part à cette procédure, en particulier parce qu’elle ne peut démontrer que les préjudices qu’elle a subi sont liés à un crime jugé devant la Cour dans le cadre de ce procès, elle peut toutefois recevoir une assistance d’ordre général, à condition qu’elle relève de la définition énoncée à la règle 85 du Règlement de procédure et de preuve.
De plus, une victime qui ne peut bénéficier de réparations ordonnées par la Cour qui sont étroitement liées à des charges pour lesquelles la Cour reconnaît la culpabilité de l’auteur peut toujours être admissible à revoir une assistance de caractère général.
JE : Comment les victimes s’impliquent-elles auprès de la CPI ? À quelle étape de la procédure peuvent-elles y prendre part ?
PdB : Le Statut de Rome contient des dispositions qui permettent aux victimes de participer à tous les stades de la procédure devant la Cour.
Ainsi, les victimes peuvent déposer des observations devant la Chambre préliminaire lorsque le Procureur demande à celle-ci de l’autoriser à enquêter. Elles peuvent également déposer des observations sur toutes les questions relatives à la compétence de la Cour ou à la recevabilité des affaires.
De manière plus générale, les victimes ont le droit de déposer des observations devant les chambres de la Cour au stade préliminaire, pendant le procès ou en phase d’appel.
JE : Y-a-t-il une période spécifique pendant laquelle les victimes doivent déposer leur demande de participation à la procédure ?
PdB : Le Règlement de procédure et de preuve précise le régime de la participation des victimes à la procédure devant la Cour. Elles doivent adresser une demande écrite au Greffier de la Cour et plus précisément à la Section de la participation des victimes et des réparations. Celle-ci doit présenter la demande à la Chambre compétente qui décide des modalités de la participation des victimes à la procédure.
JE : Quels éléments doivent-ils être indiqués dans la demande ?
PdB : La Chambre peut rejeter la demande si elle considère que la personne n’est pas une victime d’un crime qui relève de la compétence de la Cour. Les personnes qui souhaitent présenter des demandes pour participer à une procédure devant la Cour doivent donc fournir des éléments permettant de démontrer qu’elles sont victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour dans la procédure ouverte devant celle-ci.
JE : Existe-t-il des formulaires pour déposer ces demandes ?
PdB : La Section de la participation des victimes et des réparations a créé des formulaires standards afin de faciliter le dépôt par les victimes de leur demande visant à participer à la procédure.
JE : La demande de participation est-elle identique à la demande de réparations ? Les victimes doivent-elles remplir des formulaires différents ?
PdB : Lorsqu’elles soumettent une demande en utilisant ce formulaire standard, les victimes peuvent demander à participer ou à obtenir réparations, ou bien les deux à la fois. Ces formulaires ainsi qu’un livret expliquant la procédure de demande peuvent être consultés sur le site Web de la Cour. Cliquez ici.
JE : La victime doit-elle déposer la demande ou quelqu’un peut-il faire la demande en son nom ?
PdB : Il convient de préciser qu’une demande peut être introduite par une personne agissant avec le consentement de la victime, ou au nom de celle-ci lorsque la victime est un enfant ou que son invalidité rend ce moyen nécessaire.
JE : Les victimes doivent-elles déposer leurs revendications devant la Cour afin de bénéficier de réparations ou d’assistance de caractère général ?
PdB : S’agissant de victimes bénéficiant de réparations, c’est aux juges de décider s’ils exigent des victimes qu’elles aient déposé un formulaire de demande de réparation auprès de la Cour (Section de la participation des victimes et des réparations). Il est possible, en vertu du droit applicable, et en particulier en vertu des règlements du Fonds, que la Cour puisse également accorder des réparations à des victimes qui n’aient pas déposé de demande de réparation auprès de la Cour.
S’agissant des victimes bénéficiant de l’assistance générale du Fonds au profit des victimes, il n’est pas nécessaire de s’inscrire auprès du Fonds. Les activités au profit des victimes relevant de l’assistance de caractère général sont menées par des organismes partenaires sur le terrain. Le Fonds travaille avec des organisations non gouvernementales, des organisations communautaires locales, des groupes de victimes, des associations de femmes et des groupes confessionnels, tous implantés à l’échelle de leurs communautés locales. Le FPV possède actuellement un vaste réseau de partenaires internationaux et locaux de mise en œuvre (à la fois des bénéficiaires de subventions directes et des sous-bénéficiaires) : 34 au total (20 en RDC et 14 dans le Nord de l’Ouganda), dont 8 internationaux et 26 locaux. Il aura bientôt des partenaires également en République centrafricaine.
JE : Le FPV doit-il attendre la fin d’un procès afin apporter son soutien aux victimes ?
PdB : Dans le cadre de son mandat de réhabilitation, le Fonds au profit des victimes est guidé par ses règlements afin d’apporter assistance aux victimes relevant de la compétence de la Cour. Cela signifie que le FPV peut intervenir auprès de victimes qui ne relèvent pas de la compétence d’un procès spécifique et avant la clôture de la procédure.
JE : Quel type de soutien le FPV apporte-t-il ?
PdB : Le Fonds au profit des victimes propose trois catégories, définies juridiquement, de soutien aux victimes :
- Réadaptation physique, y compris chirurgie reconstructive, chirurgie générale, extraction de balles et de fragments d’obus, prothèses et appareils orthopédiques, orientation vers des services comme réparation de fistules, dépistage du VIH et du sida et traitement, soins et soutien des personnes ;
- Réadaptation psychologique, y compris conseils individuels et en groupe aux victimes de traumatismes; organisation de chorales et de troupes de danse et de théâtre afin de promouvoir la cohésion sociale et la réconciliation; ateliers de sensibilisation des communautés et diffusion de programmes de radio consacrés aux droits des victimes; organisation de réunions d’information et de réunions communautaires à grande échelle. Les actions de sensibilisation de la collectivité peuvent comprendre des projets pédagogiques communautaires à large échelle sur la violence sexuelle et sexiste ainsi que sur les rapports entre paix, justice, réconciliation et réadaptation ; et
- Soutien matériel, sous forme d’activités génératrices de revenus, de formation professionnelle ou d’accès à des programmes de réinsertion sociale qui génèrent des revenus et offrent des opportunités de formation visant une autonomisation économique à plus long terme. Le soutien matériel peut également inclure des bourses d’étude aux victimes et à leurs enfants.
JE : Y a-t-il des considérations spéciales à l’égard des victimes de violence sexuelle et sexiste ?
PdB : Oui. Un autre soutien transectoriel important concernant les victimes de violence sexuelle et sexiste est mis en place en offrant une sécurité économique intégrée, en favorisant la réconciliation (aux niveaux personnel, familial ou communautaire) et en permettant l’accès à une réadaptation physique et psychologique.
JE : Comment les besoins des victimes sont-ils pris en compte dans les projets du FPV ?
PdB : Dans la mesure du possible, le FPV soutient des projets qui intègrent différents types de soutien dans des programmes d’assistance répondant aux besoins spécifiques des victimes. Le FPV travaille avec des organisations intermédiaires, des partenaires de mise en œuvre locaux et internationaux, pour garantir une fourniture efficace et adéquate de services.
JE : Quelles sont les zones où le FPV intervient ?
PdB : Le Fonds peut être appelée à intervenir dans des situations portées devant la Cour pénale internationale (CPI). Actuellement il s’agit du Nord de l’Ouganda, de la République démocratique du Congo, du Darfour, du Soudan, de la République centrafricaine, de la République du Kenya, de la Libye et de la Côte d’ivoire. Avant de lancer toute opération dans un pays, le Fonds entreprend une évaluation des besoins par le biais de consultations avec les victimes, les organisations et avec les autres acteurs.
JE : Dans quel type de projets le FPV s’engage-t-il ?
PdB : Actuellement, le Fonds met en œuvre 31 projets pour le bénéfice d’environ 42 000 victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le Nord de l’Ouganda et en République démocratique du Congo. Il procède en ce moment à l’évaluation des propositions de projets en vue de démarrer des activités en République centrafricaine qui répondront aux besoins des victimes de crimes relatifs à la violence sexuelle et sexiste dans un avenir proche.
Plus d’informations sur les activités du FPV sont disponibles sur notre site Web, notamment nos rapports d’activité les plus récents.
JE : Comment le FPV obtient-il le financement des réparations ?
PdB : Il existe différentes sources qui peuvent générer des ressources afin de payer les réparations qui sont décrites dans le règlement pour le Fonds au profit des victimes, adopté par le Statut de Rome lors de l’Assemblée des États parties.
La première source est la personne condamnée par la Cour : l’argent et les autres biens collectés par le biais d’amendes ou de biens confisqués ainsi que le produit de l’exécution des ordonnances de réparation.
Si ces ressources sont insuffisantes ou que la personne condamnée s’est avérée être indigente, il est possible que le Conseil de direction du Fonds au profit des victimes décide d’allouer des ressources provenant de contributions volontaires au Fonds (qui ne font donc pas partie du budget ordinaire de la Cour) comme complément aux ordonnances de réparation. À cette fin, le Fonds maintient habituellement une réserve de 1 million d’euros, ce qui représente environ un tiers de l’ensemble des ressources disponibles.
Enfin, l’Assemblée des États parties peut décider d’allouer au Fonds d’autres ressources que les contributions fixées. Ces dernières peuvent être également utilisées pour financer les réparations.
JE : Quel est votre rôle au sein du FPV ?
PdB : Mon rôle en tant que directeur exécutif est de soutenir le Conseil de direction dans leurs responsabilités décisionnelles stratégiques et dans la sauvegarde des ressources du Fonds. Je supervise, pour le compte du Conseil, la gestion quotidienne su Secrétariat du FPV, notamment l’utilisation des ressources du Fonds. Mes autres missions comprennent la gestion des relations avec les principaux actionnaires du Statut de Rome, dont les États parties, les organes de la Cour, la société civile et, bien évidemment, les représentants des groupes de victimes. Le recueil des fonds est une importante responsabilité. Ils peuvent provenir des États parties, d’autres pays ainsi que d’organisations privées et de particuliers.
JE : Qu’espérez-vous dans le futur pour le FPV ?
PdB : Mon souhait et mon ambition pour le FPV est de le voir se développer en un modèle d’inspiration crédible et efficace de justice réparatrice internationale, relié à la Cour et qui tienne compte des droits et des besoins des victimes qui relèvent de la compétence de la CPI.
Le proces Bemba n’a plus des raisons d’etre. Car les choses sont maintenant claire, ce proces n’est qu’une machination.