Cette semaine, un expert militaire a affirmé que l’accusé de crimes de guerre Jean-Pierre Bemba exerçait un contrôle direct sur ses troupes déployées en République centrafricaine (RCA) et qu’il avait la capacité de les empêcher de commettre des crimes pour lesquels il est jugé.
Le fait de savoir si M. Bemba savait que ses troupes commettaient ces crimes et s’il avait les moyens de les arrêter ou de les punir mais avait choisit de ne pas le faire constituent les questions centrales de ce procès. L’accusé, un ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC), a nié avoir commandé les troupes déployées dans le pays en conflit, soutenant que, une fois qu’elles avaient quitté le territoire congolais, elles étaient passées sous le commandement des autorités militaires centrafricaines.
Le général Opande, un expert militaire appelé par les procureurs, a déclaré que l’accusé possédait les moyens d’exercer un contrôle direct sur ses troupes du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) déployées lors du conflit centrafricain dans les années 2002-2003.
Il a ajouté que son examen des documents reçus de la part des procureurs de la Cour indiquait que M. Bemba, par le biais de transmissions par fils et par radio, avait des « moyens certains » de donner des ordres directs à ses troupes depuis son quartier général congolais. Il a ajouté que les informations recueillies sur le terrain étaient communiquées à l’accusé par le biais des mêmes moyens de communication.
« Si vous avez les moyens de surveiller, la distance importe peu. Il existe des commandants qui sont à des milliers de kilomètres de leurs troupes mais qui ont toujours le contrôle de celles-ci », a déclaré le témoin.
Le général, qui a eu des contacts avec diverses forces rebelles qui cherchaient à renverser les gouvernements des pays dans lesquels il avait commandé des opérations de maintien de la paix, a indiqué qu’il s’agissait d’une « pratique courante » pour ces forces qualifiées de « guérilleros » d’adopter la structure et la chaîne de commandement des forces armées conventionnelles.
« Jusqu’à quel point avez-vous trouvé des caractéristiques similaires dans les informations que vous avez obtenues sur le MLC ? », a demandé l’avocat de l’accusation Eric Iverson.
« J’ai constaté que le MLC avait une organisation de ses membres qui était presque équivalente à celle des organisations militaires. Elle était bien établie avec un membre de l’état-major à chaque niveau de commande et de contrôle », a répondu le général également connu sous le nom de ‘‘témoin 219’’. Il a indiqué qu’au sein de la hiérarchie du MLC figuraient un chef d’état-major, un agent du renseignement, un officier des opérations et un officier de logistique qui tenaient tous leur commandant en chef « informé » de ce qui se passait.
Á l’époque de leur intervention dans le pays voisin, le MLC était un mouvement rebelle qui cherchait à renverser le gouvernement congolais. Dans son rapport, le général a conclut que le commandement général de la milice avait investit M. Bemba comme chef suprême militaire et comme chef politique.
« Quoi qu’ait fait le MLC, cela l’a été en accord avec ses instruction », a déclaré le témoin.
Il a indiqué que toutes les forces militaires et rebelles avaient un système d’établissement de rapports, notamment des rapports de situation provenant du front. « Toutes les 24 heures, un rapport sur la situation était émis par les commandants, du moins gradé au plus gradé », a-t-il déclaré. Le rapport de situation couvrait tous les aspects tels que les opérations, le renseignement, la logistique et les victimes.
Le général kenyan a admis toutefois que son rapport comportait certaines limites. Selon lui, des entretiens avec certaines personnes en RCA et au Congo ainsi que des visites sur le terrain dans la zone des opérations du MLC « n’avaient pas été faits ».
La défense, qui a débuté mardi son contre-interrogatoire, a affirmé que certaines déclarations faites par les anciens membres du MLC qui ont témoigné à charge étaient en contradiction avec le témoignage de l’expert.
Selon les extraits des déclarations des deux témoins ayant comme pseudonyme ‘‘Léonard’’ et ‘‘Marcel’’, l’accusé a déclaré à ses troupes qu’elles avaient été placées sous le commandement des autorités de la RCA. Ils ont affirmé que ces instructions avaient été données avant que les soldats congolais ne quittent leur base mais également lorsque M. Bemba avait visité la capitale centrafricaine Bangui.
‘‘Marcel’’ aurait également déclaré que Mustafa Mukiza, qui commandait les troupes congolaises pendant leur expédition dans le pays en conflit, avait reçu des ordres du chef d’état-major centrafricain. ‘‘Léonard’’ et ‘‘Marcel’’ ont tous deux affirmé que les appareils électroniques de communication ne fonctionnaient qu’au Congo et que, par conséquent, ils communiquaient par le biais du réseau radio militaire de la RCA.
‘‘Léonard’’ et ‘‘Marcel’’ font partie des témoins dont les déclarations ont été examinées par le général Opande avant qu’il ne rédige son rapport. Le général a examiné les documents et les déclarations de 11 témoins, soit six victimes de la brutalité présumée du MLC et cinq personnes qui auraient connaissance de la structure et du commandement militaires du groupe.
L’avocat de la défense Aimé Kilolo-Musamba a soutenu que le rapport de l’expert était principalement basé sur les dépositions de témoins qui ne connaissaient pas la structure de commandement du MLC.
De plus, il est apparu mardi que les procureurs n’avaient pas transmis à l’expert de documents relatifs à l’enquête nationale sur les personnes jugées coupables des crimes commis pendant le conflit.
« Avez-vous connaissance de cette [enquête] et l’accusation a-t-elle mis à votre disposition ces documents ? », a demandé M. Kilolo-Musamba.
« Je ne suis pas au courant et personne ne m’en a parlé jusqu’à présent », a répondu le général Opande.
Dans le cadre de l’enquête, le procureur général de Bangui, Firmin Feindiro, a mené des entretiens avec les officiers militaires du pays qui commandaient les opérations durant le conflit. M. Feindiro a témoigné au procès Bemba en avril dernier et a déclaré que son enquête avait conclu que l’ancien président Ange-Félix Patassé coordonnait et commandait les opérations militaires contre les insurgés.
« Lorsqu’une offensive ou une contre-offensive était organisée, c’était le président qui l’organisait », était-il indiqué dans le rapport de M. Feindiro. En outre, le procureur général de la République centrafricaine a affirmé qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes impliquant M. Bemba dans les crimes commis.
Par ailleurs, le général a été interrogé sur les déclarations de deux colonels des forces armées de la RCA : Thierry Lengbe et Joseph Mokondoui ainsi que deux témoins ayant pour pseudonymes ‘‘Oscar’’ et ‘‘Mathew‘’.
D’après les extraits des déclarations faites par ‘‘Mathew’’ et ‘‘Oscar’’, les troupes congolaises recevaient directement leurs ordres de M. Patassé par le biais de leur ministre de la défense. Le colonel Lengbe et le colonel Mokondoui auraient déclaré que les « manœuvres et stratégie » des forces armées loyalistes centrafricaines ainsi que celles du MLC avaient été coordonnées par le Centre de commandement des opérations (CCO). À cette période, ont-ils déclaré, ce centre était situé au Camp Beyale, dans la capitale Bangui, et était sous le commandement du chef d’état-major de l’armée du pays, André Mazzi.
Interrogé par M. Kilolo-Musamba pour savoir si le fait d’avoir connaissance de cette information aurait eu une influence sur son rapport, le général Opande a répondu, « Cela aurait eu une influence sur mon rapport à condition que l’information était la réalité ».
Les déclarations faites par ‘‘Oscar’’ et ‘‘Mathew’’ ainsi que par les deux colonels ne faisaient pas partie de celles sur lesquelles le rapport de l’expert s’est basé. Le colonel Mokondoui et le colonel Lengbe ont témoigné au procès ces deux derniers mois.
Les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) affirment que M. Bemba était le président et le commandant en chef du MLC et qu’il « agissait en réalité en tant que commandant militaire et qu’il exerçait une autorité et un contrôle effectifs sur les troupes du MLC qui auraient commis des crimes sur la population civile et, en particulier, des viols, des meurtres et des pillages. Les procureurs soutiennent que M. Bemba savait que ses troupes commettaient des crimes et qu’il n’avait pas pris « toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour empêcher ou réprimer leur commission ».
Niant les charges retenues à son encontre, M. Bemba a maintenu que, une fois que ses troupes avaient quitté le Congo, elles étaient passées sous le commandement de M. Patassé et que, par conséquent, c’était ce dernier qui devrait être tenu responsable des crimes présumés.
Mercredi, les juges ont empêché les procureurs d’interroger l’expert militaire au sujet de la déposition du ‘‘témoin 213’’, un ancien membre du groupe que l’accusé dirigeait qui a témoigné le mois dernier sur la structure et les opérations militaires.
L’interrogatoire a été rejeté afin de garantir que « la défense ne soit pas compromise par le fait que le général donne pour la première fois de nouvelles opinions sur des sujets qui ne sont pas abordés par son rapport destiné à la Cour ». La défense s’est opposée à l’interrogatoire de l’expert sur ce témoignage, arguant que les procureurs ne lui avaient pas divulgué dans les meilleurs délais le fait qu’ils avaient l’intention d’interroger l’expert sur des éléments concernant le témoignage de l’ancien membre du MLC.
Les avocats de la défense ont protesté contre la tardive divulgation par l’accusation du rapport « supplémentaire » de l’expert qui, de leur point de vue, a examiné plus de témoignages que lors de son rapport initial d’octobre 2010. Á ce titre, la défense a demandé que le témoignage du général Opande soit repoussé pour lui permettre d’avoir « suffisamment de possibilités » pour examiner le rapport plus récent et de consulter leurs experts à ce sujet.
Bien que les juges aient refusé de reporter le témoignage de l’expert à janvier 2012, ils ont ordonné aux procureurs de ne pas lui demander de donner un avis « pour la première fois » sur dix documents non divulgués, absents du rapport initial.
M. Iverson a tenté de présenter des transcriptions du témoignage du ‘‘témoin 213’’ apporté devant la Cour, avec l’intention d’interroger l’expert sur celles-ci. Cependant, les juges ont répété que les procureurs ne pouvaient pas interroger l’expert sur le témoignage du ‘‘témoin 213’’ et d’autres témoins si les témoignages n’avaient été examiné que dans le dernier rapport.
« L’accusation n’est pas autorisée à interroger le général Opande sur le témoignage du ‘‘témoin 213’’ car il n’est pas cité dans le premier rapport du général », a indiqué le juge président Sylvia Steiner. Elle a répété que « l’étendue » de l’interrogatoire de l’expert par l’accusation ne pouvait n’être que « basé sur les témoignages apportés devant la Cour par les témoins analysés et cités dans ce rapport » et ne pouvait concerner aucun autre témoin. Il n’est pas apparu clairement si les autres témoins étaient également des témoins de « l’intérieur ».
La Cour observera les vacances d’hiver et la reprise des audiences est prévue le lundi 16 janvier 2012.