Les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont ordonné la libération de l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba, qui a été acquitté des crimes de guerre vendredi dernier.
Dans une décision émise mardi après-midi, les juges ont considéré qu’il était « disproportionné » de maintenir en détention M. Bemba « simplement pour garantir sa comparution pour le prononcé de sa peine » dans une affaire distincte relative à sa condamnation pour subornation de témoin. Il sera libéré dès que le Greffe de la Cour aura finalisé les dispositions nécessaires.
L’ancien commandant de milice et chef d’opposition de 55 ans, qui a été détenu à la Cour pendant près de 10 ans, sera libéré en Belgique où il rejoindra sa femme et ses cinq enfants. Parmi les conditions de sa libération conditionnelle, M. Bemba doit immédiatement se rendre aux autorités si nécessaire, fournir son adresse et ses coordonnées à la Cour ainsi qu’aux autorités belges et ne pas changer d’adresse sans en informer la Cour.
Les juges Bertram Schmitt (juge président), Marc Perrin de Brichambaut et Raul Pangalangan ont conclu qu’il n’y avait pas de risques que M. Bemba fasse obstacle ou ne mette en péril le déroulement de l’enquête puisque sa condamnation pour infractions contre l’administration de la justice « est définitive après avoir été confirmée en appel » et qu’il ne reste plus que le réexamen de sa peine.
Les juges ont également conclu qu’il n’y avait aucun risque que M. Bemba continue à solliciter de faux témoignages ou qu’il suborne des témoins, puisque toute tentative de le faire « cessera avec la clôture irrévocable du procès principal ».
La semaine dernière, la Chambre d’appel a annulé la condamnation de M. Bemba pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il a été condamné à 18 ans de prison pour ces crimes en juin 2016. Les juges d’appel ont déclaré que qu’il n’y avait pas de raisons de maintenir en détention M. Bemba dans cette affaire mais ont décidé que la Chambre de première instance VII devait décider si sa condamnation pour subornation de témoin justifiait le maintien de sa détention.
Dans leur décision d’aujourd’hui, les juges de la Chambre de première instance VII ont également considéré que, bien que M. Bemba pouvait mobiliser des moyens et des ressources pour ne pas se présenter à l’audience de détermination de peine ou à tout autre ordonnance imposant son emprisonnement, un maintien de la détention n’était pas justifié car il avait déjà été emprisonné pendant plus de 80 pour cent de la peine maximale possible de cinq ans qu’il pourrait se voir imposer en vertu de l’article 70 du Statut de Rome.
« Le total de l’emprisonnement potentiel de M. Bemba pour ses affaires a diminué de manière importante du fait de son acquittement dans son procès principal, atténuant davantage tout risque qu’il ne prenne la fuite pour ne pas comparaître devant la Cour. La Chambre a également fait remarquer qu’aucun retard dans ces procès ne pouvaient être imputés à M. Bemba et que des conditions de libération peuvent être imposées pour réduire encore plus tout risque de fuite », ont déclaré les juges.
Selon les conditions prévues pour sa libération provisoire, M. Bemba devra fournir une notification préalable à la Cour pour tout voyage avec nuitées passées en dehors de sa résidence, y compris la destination, les coordonnées des personnes visitées et la durée du séjour. Les autres conditions qui lui sont imposés comprennent le fait qu’il n’ait aucun contact avec les témoins, qu’il ne parle pas des témoignages présentés lors du procès avec d’autres personnes que celles de son équipe de défense et qu’il ne fasse aucune déclaration publique, directement ou indirectement, sur l’affaire.
En libérant M. Bemba en Belgique, les juges ont souligné qu’il avait établi des « liens familiaux importants » dans ce pays. Ils ont déclaré, en outre, que dans des étapes précédentes de l’affaire, les autorités belges avaient déposé des observations indiquant qu’un accord existait entre la Cour et la Belgique pour recevoir des personnes qui étaient en liberté provisoire. La Belgique a également démontré ses volonté et capacité de supervisation de M. Bemba s’il était libéré.
La décision de libérer fait suite à une conférence de mise en état qui s’est tenue plus tôt aujourd’hui lors de laquelle les avocats de la défense ont demandé sa libération immédiate en Belgique. L’avocat de la défense Melinda Taylor a indiqué qu’il n’était pas nécessaire de maintenir en détention M. Bemba pour assurer sa comparution devant la Cour, puisqu’il n’y aura plus d’audiences dans l’affaire dans laquelle il a été condamné pour subornation de témoins.
Elle a ajouté que M. Bemba avait été détenu pendant plus de quatre ans et six mois puisqu’un mandat d’arrêt en vertu de l’article 70 avait été rendu à son encontre. Préalablement, il avait été détenu pendant cinq ans et demi au titre des charges pour lesquelles il a été acquitté le mois dernier.
Selon Me Taylor, M. Bemba, ayant déjà purgé quatre fois et demi la peine initiale qui lui a été imposée, ne risquait pas de fuir puisqu’il avait purgé « toute peine potentielle » qui pourrait être prononcée à son encontre pour sa condamnation en vertu de l’article 70 du Statut de Rome de la Cour.
L’avocat de la défense a soutenu que même s’il était « théoriquement possible » pour les juges d’imposer une peine de prison additionnelle de trois mois à M. Bemba pour l’amener à un maximum de cinq ans, permise par le statut de la CPI, « étant donné qu’il a été en détention pendant 10 ans, il ne prendrait pas de risques et ne chercherait pas à ne pas se présenter à la justice pour trois mois ». Elle a également déclaré que, au mois de mars dernier, les juges avaient annulé un tiers des condamnations de M. Bemba prononcées en vertu de l’article 70.
L’accusation s’est opposée à la libération de M. Bemba, arguant qu’il y avait une possibilité de fuite de sa part. De plus, l’accusation a fait valoir que, bien que M. Bemba ait purgé plus de quatre ans et demi, si une peine de cinq ans était prononcée à son encontre, comme proposé par l’accusation, il « devra toutefois rester en détention pour purger le reste de la peine qui n’a pas été purgée ».
La défense a ainsi estimé que, au lieu de prononcer une décision sur la poursuite de la détention de M. Bemba, les juges devraient accélérer leur décision sur la peine. Soulignant le droit de M. Bemba à la liberté, la Chambre a rejeté les observations de l’accusation, affirmant que la défense devrait « saisir l’opportunité de faire de nouvelles observations sur la peine » à la suite des développements du procès principal.
Les quatre complices de M. Bemba, avec lesquels il a été jugé et condamné, ont été libérés en novembre 2014, après avoir passé onze mois en détention provisoire. À l’époque, le juge de première instance Cuno Tarfusser avait considéré que leur maintien en détention était disproportionné par rapport aux sanctions prévues pour les infractions poursuivies. Les conditions de la libération de M. Bemba sont les mêmes que celles imposées à ses anciens avocats et ont été proposées par M. Bemba dans un engagement écrit. La Chambre a considéré les conditions comme des facteurs d’atténuation qui « le mettent principalement dans la même position que les autres personnes libérées dans cette affaires ».