Deux mois après avoir été acquitté par la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI), Jean-Pierre Bemba est rentré dans son pays, la République démocratique du Congo, d’où il a fait part de son intention d’être candidat à la présidence lors des élections prévues pour le mois de décembre prochain. Il reste toutefois à voir si le gouvernement du président Joseph Kabila ne mettra pas des obstacles sur sa route ou si son jugement imminent devant la CPI pour subornation de témoin ne compromettra pas ses plans.
L’ancien vice-président du Congo, âgé de 55 ans, est arrivé dans la capitale Kinshasa le mercredi 1er août, où il a été accueilli par une foule nombreuse et un important déploiement de forces de police. M. Bemba n’a pas séjourné au Congo depuis qu’il a fui le pays en avril 2007 à la suite d’affrontements entre les forces gouvernementales et les troupes qui lui étaient restées loyales, issues principalement de son groupe rebelle, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC), qui avait été intégré à l’armée nationale. À l’époque, M. Bemba était sénateur et chef d’opposition. L’année suivante, il a été arrêté en Belgique à la suite d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre qui auraient été commis par le MLC en République centrafricaine et a été transféré au centre de détention de La Haye.
En juin dernier, les juges d’appel ont acquitté M. Bemba des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité après que la Chambre de première instance l’ait condamné en 2016 et ait prononcé une peine de prison de 18 ans à son encontre. L’acquittement a ouvert la voie pour sa libération provisoire en Belgique. Néanmoins, les juges de la Cour sont sur le point de prononcer une peine à son encontre pour une condamnation distincte relative à une subornation de témoins ayant témoigné en sa faveur.
Le MLC, que M Bemba a créé en 1998 et qui reste un parti d’opposition majeur, a désigné M. Bemba comme candidat aux présidentielles avant qu’il ne soit revenu dans son pays. Selon les médias, M. Bemba aurait, la semaine dernière, déclaré lors d’une conférence de presse, qui se tenait à Bruxelles, qu’il favoriserait la formation d’une coalition composée de groupes d’opposition afin de nommer un candidat commun pour la présidentielle. Il aurait ensuite déclaré qu’il croyait être le meilleur candidat pour représenter l’opposition lors des élections présidentielles de décembre.
La semaine dernière, un porte-parole de la coalition au pouvoir a indiqué que M. Bemba devrait se voir interdire d’être candidat à la présidence étant donné sa condamnation pour subornation de témoin. Il a cité l’article 10 de la loi électorale congolaise, qui stipule qu’une personne reconnue coupable de corruption n’a pas le droit de se présenter en tant que candidat dans des processus électoraux. Cependant, la commission électorale n’a pas pris position sur cette question et ne l’a pas porté devant la Cour constitutionnelle qui, en cas de litige, pourra prendre une décision concernant l’admissibilité de M. Bemba.
À l’époque où M. Bemba a quitté le Congo, le procureur général du pays avait demandé au Sénat de lever son immunité afin qu’il puisse être accusé de trahison. Il n’a pas été clairement indiqué si des charges liées à ce point pouvaient être de nouveau poursuivies.
Le président Joseph Kabila, au pouvoir depuis qu’il a succédé à son père assassiné en janvier 2001, n’est pas admissible au renouvellement de son mandat car il a accompli tous les mandats autorisés par la constitution. Il n’a cependant pas indiqué catégoriquement qu’il ne sera pas de nouveau candidat. Son mandat le plus récent a expiré en 2016, mais il est resté en fonction en attendant l’élection, qui a été auparavant reportée, en raison de difficultés logistiques aux dires des responsables électoraux.
Entre 1998 et 2003, le MLC, avec l’assistance du gouvernement ougandais, a mené une guerre contre le gouvernement du Congo. À la suite d’un accord de paix, M. Bemba est devenu un des quatre vice-présidents du pays, exerçant ses fonctions de juillet 2003 à décembre 2006. Lors de l’élection présidentielle d’août 2006, il est arrivé second avec 20 % des votes après le président en place, M. Kabila, qui avait obtenu 44 % des votes. Entre les deux tours de scrutin, M. Kabila a été déclaré président avec 58 % des votes. Début 2007, M. Bemba a remporté un siège au Sénat, situé à la capitale.
Bien que M. Bemba dispose d’une base loyale dans le pays, une chute importante du pourcentage de la représentation de son parti au parlement s’est produite, du fait du départ d’un grand nombre de cadres du parti pendant toute la décennie qu’a duré son absence.
Selon les résultats d’un sondage publiés cette semaine par le Groupe d’étude sur le Congo basé au Centre de coopération internationale de l’université de New York, la cote de M. Bemba a augmenté de 16 % depuis novembre dernier, puisque 83 % des répondants « pensent que son acquittement [devant la CPI] est une bonne chose ». Néanmoins, le sondage montre que M. Bemba est derrière les candidats de l’opposition rivaux Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi comme candidat d’opposition commun favori. M. Katumbi a fui en exil en 2016 à la suite d’accusations selon lesquelles il projetait de renverser le président Kabila mais il compte revenir au Congo cette semaine.
En 2011, à peine un an après que son premier procès devant la CPI ait commencé, M. Bemba a écrit aux responsables de son parti pour les exhorter à le nommer porte-drapeau. Bien qu’ils aient donné une réponse positive à sa demande, M. Bemba n’a pas obtenu sa libération du centre de détention de la CPI afin d’être candidat à la présidence. À l’époque, son avocat avait déclaré que le Statut de Rome, en vertu duquel il a été jugé, ne l’empêchait pas de se présenter à des élections.
Hormis l’affaire Bemba, la CPI a traité les procès d’autres hommes politiques importants, en particulier le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, et son vice-président, William Ruto. Ces deux personnes ont été accusées de plusieurs crimes contre l’humanité découlant des violences post-électorales de 2007-2008 qui ont eu lieu dans ce pays. Le procès de M. Ruto a débuté en septembre 2013 mais l’affaire n’a été clôturée qu’en avril 2016. Le procès de M. Kenyatta ne s’est jamais ouvert et les charges ont été abandonnées en décembre 2014.
Kenyatta et M. Ruto, qui sont d’anciens rivaux politiques, ont été réunis par les procédures les concernant devant la CPI et ont surfé sur une vague populiste à l’encontre de la Cour afin d’être élus à deux postes de haut niveau dans le gouvernement kényan.
De la même manière, le sort de M. Bemba risque de dépendre à la fois des autorités congolaises qui pourraient s’opposer à son admissibilité à être candidat aux élections présidentielles et des juges de la CPI qui statueront sur une demande du Procureur de le renvoyer en prison afin de purger la peine prononcée pour subornation de témoin.