Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

La demande de réparation de Jean-Pierre Bemba auprès de la Cour pénale internationale (CPI) peut-elle aboutir après le rejet des deux précédentes demandes ? M. Bemba a déposé une demande d’indemnisation de 68,8 millions d’euros (77,7 millions de dollars US), ce qui est bien plus élevé que les demandes déposées précédemment auprès de la Cour mais qui soulève également plus de motifs d’indemnisation.

Avant M. Bemba, deux autres personnes ont déposé des demandes d’indemnisation devant la CPI. Comme M. Bemba, l’ancien chef de milice congolais Mathieu Ngudjolo a déposé une demande d’indemnisation après que les juges d’appel aient confirmé son acquittement. Il a déposé une demande en août 2015, invoquant une arrestation et une détention illégales ainsi qu’une grave erreur judiciaire. La demande a été rejetée [PDF] par la Chambre de première instance II quatre mois plus tard.

Ngudjolo, qui a été détenu au quartier pénitentiaire de la Cour depuis février 2008, a été acquitté en décembre 2012, après que les juges aient décidé que l’accusation n’avait pas fourni de preuves suffisantes. Il a été accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans le village de Bogoro situé dans l’est de la République démocratique du Congo, une décennie plus tôt, alors qu’il dirigeait prétendument une milice.

L’autre demande a été déposée en avril 2015 par Jean-Jacques Mangenda Kabongo, l’ancien chargé de la gestion des dossiers de la défense de M. Bemba lors de son procès devant la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. M. Mangenda était détenu à la CPI depuis près d’un an lorsque, le 21 octobre 2014, un juge a ordonné sa libération alors qu’il était en attente de son procès pour subornation de témoins. Il est toutefois resté en détention neuf jours de plus, ce qu’il a qualifié de détention illégale.

La demande d’indemnisation de M. Mangenda pour détention illégale a été rejetée par la Chambre de première instance VI, qui n’a pas autorisé la défense à répondre aux observations de l’accusation et, contrairement à la Chambre de première instance II qui a traité la demande de M. Ngudjolo, n’a pas tenu d’audience sur la demande d’indemnisation.

La règle 174 du Règlement de procédure et de preuve de la Cour prévoit que les juges examinant une demande d’indemnisation tiennent une audience ou se prononcent sur la base de la demande et des observations écrites du Procureur et du requérant. Une audience en rapport avec la demande de M. Bemba a été prévue pour le 9 mai 2019.

La législation de la Cour sur les indemnisations

Les trois demandes d’indemnisation ont été déposées sur la base de l’article 85 de la loi fondatrice de la CPI, le Statut de Rome, qui régit les indemnisations d’une personne arrêtée ou condamnée. Les requérants ont toutefois utilisé des clauses différentes de cet article. M. Mangenda a déposé sa demande en vertu de l’article 85(1), qui prévoit que quiconque a été victime d’une arrestation ou mise en détention illégales a droit à réparation.

Ngudjolo a invoqué l’article 85(1) et l’article 85(3). L’article 85(3) prévoit que « dans des circonstances exceptionnelles, si la Cour constate, au vu de faits probants, qu’une erreur judiciaire grave et manifeste a été commise, elle peut, à sa discrétion, accorder une indemnité conforme aux critères énoncés dans le Règlement de procédure et de preuve à une personne qui avait été placée en détention et qui a été libérée à la suite d’un acquittement définitif ou parce qu’il a été mis fin aux poursuites pour ce motif. »

Bemba a basé sa demande principalement sur l’article 85(3) mais soutient que l’article 85(2) est également applicable et que, en vertu de ces deux articles, un requérant a le droit d’être indemnisé pour des dommages résultant d’une incarcération, une indemnisation fondée sur des circonstances aggravantes et sur les pertes financières qui en résultent.

La règle 173(2), que tous les requérants ont cité, exige que la demande d’indemnisation soit présentée six mois au plus tard à compter de la date à laquelle le requérant a été avisé de la décision de la Cour concernant une arrestation ou une mise en détention illégales ; l’annulation d’une condamnation ou l’existence d’une erreur judiciaire grave et manifeste.

En termes de procédure, le règlement de la Cour prévoit que toute personne demandant une indemnisation sur la base de l’un de ces motifs doit déposer une demande écrite auprès de la Présidence de la Cour qui désigne ensuite une chambre composée de trois juges pour examiner la demande. Ces juges ne doivent pas avoir participé au prononcé d’une décision antérieure de la Cour concernant la personne déposant la demande. La demande doit comprendre les motifs et le montant de l’indemnisation.

Les indemnisations demandées

Ngudjolo demande 906 346 euros pour les préjudices qu’il a subi. Ce montant comprend 80 euros pour chacun des 1 781 jours passés en détention ; 360 000 euros pour des préjudices moraux ; les dépenses pour ses enfants pendant ses cinq ans de détention avec un coût annuel de 24 973 euros, ce qui donne un total de 124 866 euros ; 9 000 euros pour acheter un véhicule et 270 000 euros pour acheter une maison. M. Ngudjolo a également demandé à la Cour d’ordonner la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation, particulièrement dans la zone de Bedu Ezekere, à l’Est du Congo, pour expliquer les motifs de son acquittement.

Les juges ont toutefois décidé que, puisque les avocats de la défense n’avaient pas réussi à établir que M. Ngudjolo avait fait l’objet d’une erreur judiciaire grave et manifeste, il n’était pas nécessaire d’examiner les autres critères énoncés à l’article 85(3). Les juges ont, par conséquent, statué qu’il n’existait pas de motifs pour qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire afin d’accorder une indemnisation à M. Ngudjolo.

Pour sa part, M. Mangenda a demandé une indemnisation de 3 000 euros par jour pour détention illégale, ce qui donne un montant de 27 000 euros. Mais la Chambre de première instance VI a décidé, le 26 février 2016, qu’il n’existait pas de motif pour conclure que la détention de M. Mangenda du 22 au 31 octobre 2014 était illégale. Après avoir prononcé cette décision, la chambre n’a pas jugé utile d’examiner les demandes de M. Mangenda concernant des indemnisations. M. Mangenda avait demandé que l’indemnisation soit déposée dans un fonds au profit de l’éducation de ses enfants.

À l’époque, l’avocat de la défense Christopher Gosnell a soutenu que la somme de 3 000 euros par jour pour détention illégale était relativement modique étant donné les « circonstances exceptionnelles » de la détention de M. Mangenda.

Dans les 68,8 millions d’euros demandés par M. Bemba, 42,4 millions le sont au titre des dommages causés à ses biens. Les requérants précédents n’avaient pas cité ce type de motifs pour demander des indemnisations. Peter Haynes, qui représente M. Bemba, a déclaré qu’il s’agissait de la première demande basée essentiellement sur des pertes consécutives à l’arrestation et à la détention du requérant ou causées par des erreurs de la Cour lors de la gestion des biens gelés. Les avocats de la défense ont également affirmé qu’il s’agissait du premier cas dans lequel une tentative ait été faite pour examiner le type d’indemnités qui soient appropriées au cas d’une détention prolongée.

La détermination du montant des indemnités

La Cour ne dispose pas de précédents sur l’octroi d’indemnités pour préjudice mais la règle 175 apporte quelques lumières sur la question. Elle prévoit que, lors de la fixation du montant d’une indemnisation, les juges doivent « prendre en considération les conséquences d’une erreur judiciaire grave et manifeste sur la situation personnelle, familiale, sociale et professionnelle » du requérant.

En suggérant une somme de 3 000 euros par jour de détention, les avocats de M. Mangenda ont cité « les principes généraux repris dans les pratiques régionales et nationales » et ont estimé que l’indemnisation envisagée par l’article 85(1) comprend les préjudices pécuniaires et moraux. À l’époque, l’accusation avait répondu que le montant demandé était arbitraire et que le recours à des situations intérieures ne se justifiait pas pour le droit international pénal.

Les avocats de M. Bemba ont reconnu que le calcul des indemnisations n’était pas « une science exacte ». Le montant de 12 millions d’euros réclamé en tant que compensation pour 10 ans de détention résultait de la peine prononcée par les juges de la Chambre de première instance VII à l’encontre de M. Bemba pour subornation de témoins. Selon la défense, ces juges ont attribué une valeur de 100 000 euros à chaque mois d’emprisonnement de M. Bemba.

Dans l’affaire Ngudjolo, le Bureau du Procureur (BdP) a considéré le montant demandé par le requérant comme étant une somme exorbitante basée principalement sur sa parole. Il a indiqué que sa demande reposait sur « un malentendu, à savoir que sa détention pendant le procès lui permettait d’obtenir une indemnisation », et non sur le dossier d’affaire.

Cependant, l’avocat de M. Mangenda, Christopher Gosnell, a déclaré que l’absence, à la CPI, de jurisprudence appliquant l’article 85(1), y compris dans le contexte d’une détention, à première vue illégale, justifiait le recours à des principes généraux de pratiques régionales et nationales pour la fondement et le montant approprié d’une indemnisation pour ce type de violation.

Selon Me Gosnell, le recours principal disponible à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est l’octroi d’une indemnisation pour les droits qui ont été violés. L’indemnisation relève de deux catégories, les dommages pécuniaires pour des pertes financières provoquées par une violation et les préjudices moraux, correspondant à des préjudices émotionnels et psychologiques ainsi qu’à une indemnisation pour la privation du droit en lui-même.

Les avocats de M. Bemba ont soutenu de même que les juges devaient prendre en compte les principes établis pour l’évaluation des dommages dans les cas d’agression que constitue une détention ou une séquestration. Ils ont ajouté que les « conséquences » appropriées en vertu de la règle 175 seraient toutes les conséquences subordonnées à une erreur judiciaire, qu’elles soient physiques, pécuniaires ou immatérielles.

Les motifs d’échec des demandes précédentes

Les juges ont déclaré que la demande de M. Mangenda avait été rejetée parce que la défense n’avait identifié aucune décision antérieure concluant que sa détention était illégale ou qu’il y avait eu une grave erreur judiciaire. Cependant, les juge sont décidé que, même sans cette décision, une Chambre pouvait évaluer si une détention était illégale. Ils ont statué qu’un maintien en détention était légal puisqu’il n’y avait aucun pays dans lequel M. Mangenda pouvait être immédiatement libéré.

Dans l’affaire Ngudjolo, les juges ont affirmé que la défense avait échoué à établir qu’il y avait eu une arrestation et une détention illégales ou une erreur judiciaire qui aurait entraîné une violation manifeste des droits fondamentaux du requérant et qui lui aurait causé un préjudice grave. Ils ont rejeté ses arguments selon lesquels le fait de joindre son affaire à celle de Germain Katanga, la confirmation des charges portées à son encontre et la décision d’acquittement démontraient une erreur judiciaire.

Bemba souhaite présenter des arguments convaincants démontrant pourquoi il y a eu une erreur judiciaire dans cette affaire. Ses avocats ont accusé la Chambre de première instance d’avoir fait des erreurs à chaque étape puisqu’elle était « déterminée à convaincre à tout prix ». Ils ont cité la majorité de juges ayant acquitté M. Bemba, dont les juges de la Chambre d’appel qui ont indiqué que la condamnation de M. Bemba était truffée de« problèmes de preuve évidents », notamment « l’utilisation sélective et partiale par la Chambre de première instance des éléments de preuve disponibles » et des conclusions basées « sur aucune preuve » retenue à l’encontre de M. Bemba.

Les avocats de M. Bemba ont cité « l’indifférence de l’accusation pour ses propres enquêtes », le désaveu public du Procureur de l’acquittement ainsi que sa présumée campagne délibérée pour la remettre en cause comme étant d’autres preuves démontrant l’erreur judiciaire.


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