Jean-Pierre Bemba, le chef d’opposition congolais acquitté par les juges de la Cour pénale internationale (CPI) en juin dernier, a blâmé le Greffe de la Cour pour ne pas avoir poursuivi le dégel de ses avoirs, qui ont été gelés il y a une dizaine d’années. Le Greffe a déclaré que la levée du gel des avoirs était « compliquée » puisque M. Bemba devait à la Cour les fonds avancés pour ses avocats et parce que, à la suite de sa condamnation pour subornation de témoins, il s’est vu infliger une amende de 300 000 € qu’il paiera « probablement en utilisant ses avoirs gelés ».
En mai 2008, les biens et les comptes bancaires de M. Bemba en Belgique, au Congo et au Portugal ont été gelés sur ordre des juges de la CPI. Les biens comprennent des téléphones, des ordinateurs, des fax, des documents, des maisons, une voiture, des comptes bancaires et, selon certaines sources, un avion et un yacht.
En juillet dernier, les juges de la Chambre de première instance III ont ordonné à M. Bemba de rembourser les 1,88 millions d’euros que la Cour lui a avancé. En octobre 2009, lorsque les juges ont ordonné au Greffe de fournir un financement pour la défense de M. Bemba d’un montant de 30 150 € par mois, ils ont affirmé que bien que M. Bemba ait un patrimoine considérable, à cette époque il ne pouvait disposer librement de ses avoirs, par conséquent il n’avait pas les moyens de payer ses avocats.
L’avocat de la défense Peter Haynes soutient qu’il est illégal de maintenir le gel quatre mois après l’acquittement de M. Bemba et a demandé aux juges de lever les ordonnances de gel. Me Haynes a déclaré que certains des biens gelés appartenaient à la femme et au frère de M. Bemba.
Dans les documents déposées à la Cour; M. Bemba déclare que ses biens de moindre valeur ont été pris en compte mais que des biens de plus grande valeur, dont les détails ont été retirés des documents publics, n’ont pas été comptabilisés. Il souhaite que les juges ordonnent aux trois États de fournir un inventaire de chaque bien gelé, sa localisation, et sa valeur tout au long de sa détention.
Selon Me Haynes, le Greffe a omis de fournir un inventaire détaillé des biens gelés, bien qu’il lui incombait de le faire. Il a indiqué que les documents de la cour nationale accessibles à M. Bemba, ainsi que ses propres informations, suggèrent qu’il y a « de nombreux autres biens gelés dont le Greffe n’a pas connaissance ».
Me Haynes a déclaré qu’au Portugal, le gel des avoirs avait été fait sans discernement et « qu’il apparaît qu’un bien appartenant à un membre de la famille Bemba et qui pouvait être localisé était gelé et le demeurait ». Il a ajouté : « Même si, avant toute chose, l’on met de côté la question de savoir si cela est légal, poursuivre le gel d’avoirs appartenant à des tierces parties en se basant sur le fait que les frais d’avocat de M. Bemba ne sont actuellement pas payés, est manifestement illégal ».
Le Greffe s’oppose à la divulgation à la défense de l’ensemble des documents en sa possession qui ont un rapport avec les avoirs gelés. Le Greffe a également indiqué qu’il cela prendra « beaucoup de temps » d’obtenir l’accord des États afin qu’ils divulguent les informations concernant M. Bemba, y compris dans le cadre de leur coopération avec la Cour.
Il a également déclaré que l’on ne pouvait pas exiger de M. Bemba qu’il localise ses propres biens et qu’il fasse de nombreuses demandes pour annuler les ordonnances de gel tant auprès des chambres de la CPI qu’auprès des juridictions nationales.
Le Greffe a affirmé qu’il a besoin des conseils de la Chambre de première instance III qui a jugé M. Bemba lors de son procès principal pour savoir si la notification aux États de la clôture de la procédure à la suite de l’acquittement de M. Bemba signifiait que les ordonnances de gel des avoirs étaient nulles et non avenues.
Mais la défense soutient que, si le Greffe pense qu’il a besoin d’une ordonnance judiciaire avant d’agir pour dégeler les avoirs de M. Bemba, il aurait dû déposé une demande en ce sens au moment où M. Bemba a été acquitté.
Les avocats de la défense ont également soutenu que la Chambre de première instance III qui avait imposé l’ordonnance de gel, n’était pas compétente pour exécuter l’amende prononcé par la Chambre de première instance VII dans un procès différent, celui instruit pour subornation de témoins. Selon Me Haynes, en suggérant que la Chambre de première instance III peut repousser ou refuser d’ordonner la levée des ordonnances de gel du fait que l’amende a été prononcée par une autre chambre, le Greffe demande aux juges d’agir de façon illégale.
La défense a déclaré que le Greffe faisait une erreur en suggérant que le recours au non paiement d’une amende pour subornation de témoins pouvait être le gel d’avoirs réservés pour les réparations dans le procès principal, dans lequel M. Bemba a été acquitté des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pour lesquels il était poursuivi.
Me Haynes a estimé que, en vertu de la règle 146(5) du Règlement de procédure et de preuve, si M. Bemba avait délibérément omis de payer une amende, la conséquence aurait été une peine d’emprisonnement. Il a ajouté que, puisque le Greffe est destiné à jouer un rôle neutre au sein de la CPI, « s’intéresser de cette manière à l’exécution des sanctions pénales est à peine conforme à ce rôle ».
Les avocats de la défense ont également rejeté les suggestions du Greffe selon lesquelles la valeur des biens gelés pouvaient être inférieure au montant que M. Bemba devait à la Cour. Aucun des documents rendus publics n’indique combien M. Bemba doit à la Cour à compter du mois d’octobre 2018. Les avocats de la défense ont également remis en cause la valeur que le Greffe avait attribué à un des avoirs de M. Bemba, dont les détails ont été retirés des documents publics.
Me Haynes a cité les antécédents de M. Bemba en matière de coopération avec le Greffe sur la localisation de ses avoirs et le paiement de ses dettes, comme preuve qu’il ne se déroberait pas à ses dettes. Il a indiqué qu’en mai 2014, 2 millions d’euros avaient été transférés au Greffe depuis le compte bancaire de M. Bemba situé au Cap vert qui n’a pas été gelé car le Cap Vert n’est pas un État partie du Statut de Rome. Il a ajouté que ce transfert avait demandé la coopération de M. Bemba et le montant payé à l’époque était plus important que celui que la Cour a avancé à ses avocats.
Entretemps, les avocats de la défense ont également déclaré que M. Bemba n’était pas en mesure d’obtenir un abonnement téléphonique, une connexion Internet, acheter un billet d’avion ou louer une voiture car il n’avait pas de compte bancaire. Ils ont précisé que cela empêchait sa réinsertion dans la société après 10 ans d’incarcération.