L’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba demande 68,8 millions d’euros (77,7 millions de dollars US) à la Cour pénale internationale (CPI) en compensation de ses 10 ans de détention et de la mauvaise gestion présumée de ses actifs par le Greffe de la Cour.
Dans un document déposé le 8 mars 2019, M. Bemba a demandé aux juges de la Chambre préliminaire II d’ordonner que lui soient accordé 12 millions d’euros pour la période de sa détention, 10 millions d’euros additionnels à titre de dommages-intérêts, 4,2 millions d’euros pour ses frais juridiques et 42,4 millions d’euros pour dommages à ses biens.
Bemba a déclaré que la compensation pour la longue durée de sa détention serait utilisée pour fournir des réparations à des personnes en République centrafricaine (CAR) où les crimes pour lesquels il a été poursuivis ont été commis.Elle pourrait atteindre 22 millions d’euros (24,8 millions de dollars US), composés d’une première réparation de 12 millions d’euros et de dommages-intérêts d’un montant de 10 millions d’euros. Le reste de cette réparation, principalement lié à la destruction de ses biens, devrait lui revenir ainsi qu’à sa famille.
L’avocat de la défense Peter Haynes a déclaré que M. Bemba était prêt à collaborer avec les représentants légaux des victimes et le Fonds au profit des victimes « pour fournir une aide significative à ceux qui ont été affectés par le conflit qui s’est déroulé dans cette région [RCA] financée par toute compensation qu’il recevra pour son incarcération injustifiée ».
Le 8 juin 2018, la Chambre d’appel de la CPI a annulé sa condamnation de 2016 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il est resté en détention jusqu’au mois de mars 2008. Me Haynes a cité la longue période de détention et l’abus présumé du droit de M. Bemba à bénéficier d’un procès équitable en recherchant des dommages qui n’avaient pas de lien avec les biens de M. Bemba.Me Haynes a indiqué que l’objet de la revendication était « une tentative de réparer certains des dommages infligés à l’homme et à sa famille par son arrestation, sa détention et les actions auxiliaires de la Cour et de certains États parties ».
Dans le document déposé auprès de la Chambre préliminaire X, Me Haynes a cité l’article 85(3) du Statut de Rome de la Cour, qui prévoit que « dans des circonstances exceptionnelles, si la Cour constate, au vu de faits probants, qu’une erreur judiciaire grave et manifeste a été commise, elle peut, à sa discrétion, accorder une indemnité conforme aux critères énoncés dans le Règlement de procédure et de preuve à une personne qui avait été placée en détention et qui a été libérée à la suite d’un acquittement définitif ou parce qu’il a été mis fin aux poursuites pour ce motif. »
Il a également cité la règle 173(2) qui exige que la demande d’indemnisation doit être présentée six mois au plus tard à compter de la date à laquelle le requérant a été avisé de la décision de la Cour concernant « l’existence d’une erreur judiciaire grave et manifeste envisagée au paragraphe 3 de l’article 85 ».
Me Haynes a reconnu qu’il n’y avait pas de « science exacte » permettant de calculer une compensation pour privation de liberté ainsi que pour les dommages physiques, psychiatriques et de réputation. Il a cependant cité plusieurs exemples de réparations prononcées par différentes cours. Finalement, le chiffre de 12 millions d’euros communiqué par la défense en tant que compensation pour la longue durée de détention de M. Bemba provenait d’une décision émise par les juges de la Chambre de première instance VII, qui ont condamné M. Bemba pour subornation de témoins. Lors de cette condamnation à un an d’emprisonnement et à une amende de 300 000 euros, les juges ont déclaré que si M. Bemba ne payait pas l’amende, la peine pourrait être prolongée d’un trimestre ou cinq ans, ce qui est plus court. La défense a déclaré que puisque la période d’extension la plus courte pourrait être de trois mois, cela signifiait que pour les juges un montant de 100 000 euros équivalait à un mois d’emprisonnement de M. Bemba.
Hormis le montant des frais juridiques de M. Bemba, les autres chiffres cités par les avocats de M. Bemba proviennent de calculs réalisés par le cabinet d’expertise hollandais BFI Global. La société avait évalué [PDF] que les pertes de M. Bemba s’élevaient à 42,4 millions d’euros au 31 décembre 2018 mais a ajouté que ce montant n’intégrait pas les pertes sur les placements immobiliers réalisés au Congo.
La défense soutient que la Cour a agi avec négligence en saisissant et gelant les biens sans les gérer correctement. Elle a affirmé que la demande de M. Bemba était valide même s’il a été condamné dans son procès pénal.
À la suite d’une demande de la CPI, les comptes bancaires de M. Bemba au Congo, au Portugal, en Belgique et dans un autre pays ont été gelés. Les comptes bancaires au nom de sa femme en Belgique et au Portugal ont été également gelés. Une maison familiale à Bruxelles, diverses propriétés et parcelles de terrain au Congo ainsi qu’une villa et un bateau situés au Portugal ont été également saisis.
La défense a déclaré que d’autres biens avaient été saisis, apparemment sans ordonnance judiciaire. Ils comprenaient deux villas, trois motos et un avion Boeing 727-100 stationné à l’aéroport de Fairo au Portugal ainsi qu’un bateau fluvial, six avions et plusieurs véhicules au Congo.
Selon la défense, à l’époque de l’arrestation de M. Bemba, sa banque portugaise facturait pour le parking mensuel et la maintenance de son Boeing un montant de 1527 euros. Une fois le compte bancaire gelé, la banque n’a plus été en mesure de payer et lorsque M. Bemba a demandé en décembre 2010 de lui rendre les clefs et les documents de son avion afin de le louer, le Greffe de la CPI a répondu en mai 2011 que le Bureau du Procureur (BdP) « n’a pas été en mesure de trouver les clef de l’avion et que, par conséquent, il ne pouvait pas les lui remettre ».
Me Haynes a déclaré que le BdP avait rendu les clefs en septembre 2018 à la suite de l’acquittement de M. Bemba. Entretemps, l’avion a engendré une dette de 981 954 euros et il est « maintenant bon pour la casse ». Me Haynes a indiqué que si l’accusation avait remis les clefs plus tôt, l’avion aurait pu être déplacé vers un lieu moins cher ou gratuit ou aurait pu être vendu à un acheteur qui proposait 1 millions d’euros.
La défense a estimé que cela n’était pas normal qu’une affaire ayant un accusé unique, avec une seule forme de responsabilité et des événements qui se sont déroulés sur une période de cinq mois ait pu prendre dix ans avant de se conclure. Depuis la première comparution de M. Bemba devant un juge de la CPI, 192 jours se sont écoulés jusqu’à l’audience de confirmation des charges. La défense a souligné que, après que les charges aient été confirmées, 525 jours s’étaient écoulés avant que son procès ne commence.Le procès a duré quatre ans et il a été condamné 16 mois plus tard. Puis 659 jours s’étaient encore écoulés avant l’audience de son appel dont le jugement avait été rendu 213 jours plus tard.
Les avocats de M. Bemba ont affirmé qu’il n’y avait aucune justification possible pour qu’un procès dure si longtemps. Alors qu’il est souvent avancé que certaines affaires jugées par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ont également duré une décennie, les avocats de la défense ont soutenu que « la longueur des procès du TPIY et du TPIR ternit leur légitimité qu’ils ne retrouveront peut-être pas et que la CPI doit faire mieux. »
Les avocats de M. Bemba ont encore cité le procès du TPIY contre Vujadin Popović et six autres personnes qui, selon eux, a eu sept fois plus de preuves documentaires et au moins quatre fois plus de témoignages, et qui, malgré tout, a été conclu en tout juste trois ans, avec des verdicts rendus neuf mois plus tard.
La défense a soutenu que la CPI ne jouissait d’aucune immunité contre les réclamations de droit privé et qu’elle pouvait être poursuivie pour ces dommages auprès des juridictions nationales au Portugal, en Belgique ou au Congo. Les avocats de la défense ont déclaré qu’une alternative serait de proposer à M. Bemba une compensation de 68,8 millions d’euros, M. Bemba devant recevoir une somme d’au moins 42,4 millions d’euros pour les biens perdus en vertu du pouvoir inhérent de la CPI d’attribuer une compensation financière. Sinon, ont-ils affirmé, sa demande pour perte financière découlant de destructions et de dommages à ses biens sera soumise à un arbitrage exécutoire en vertu du règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).