Pour son quatrième jour de témoignage, le procureur général de la République centrafricaine (RCA) a déclaré qu’une enquête judiciaire menée sous sa direction avait conclu que l’ancien président Ange-Félix Patassé avait le commandement général des forces armées du pays à l’époque du conflit de 2002-2003. En effet, l’enquête avait montré que l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba avait une responsabilité subordonnée pour les soldats qui avaient commis des actes de violence sur les civils.
Firmin Feindiro a déclaré au tribunal se déroulant à la Cour pénale internationale (CPI) que son enquête, qui avait commencé en août 2003 et qui avait duré ‘’plusieurs mois’’, avait entendu plus de 300 victimes et à peu près le même nombre de témoins des atrocités commises majoritairement dans la capitale du pays, Bangui.
Parmi les témoins figuraient des personnes appartenant aux autorités militaires centrafricaines qui avaient expliqué comment des ordres furent donnés pendant la campagne entreprise par les forces de M. Patassé et ses groupes alliés, y compris le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de M. Bemba, contre une rébellion armée visant à renverser M. Patassé.
En se basant sur les interviews des victimes et des témoins, M. Feindiro était parvenu à des conclusions quant aux personnes qu’il jugeait coupables des crimes. Le dossier renfermant ses conclusions, qui fait maintenant partie des éléments de preuve du procès de la CPI, était aujourd’hui au cœur de l’interrogatoire de la défense.
Dans le dossier, le procureur général affirmait que M. Patassé, en tant que président centrafricain en exercice, chef des forces armées nationales et président du Haut conseil de la défense nationale, était le chef hiérarchique des forces armées et des mercenaires étrangers qui combattaient à leurs côtés. Le procureur a classé le MLC comme étant une de ces forces de mercenaires étrangers.
Le dossier de M. Feindiro faisait également remarquer que lors d’un discours prononcé devant des centrafricains le 29 novembre 2002, M. Patassé avait déclaré qu’il avait effectivement appelé les troupes du MLC de M. Bemba pour apporter leur aide aux forces loyalistes dans leur lutte contre une tentative de coup d’état. D’après des extraits lus à l’audience par la défense et confirmés par le témoin, M. Patassé a affirmé dans ce discours qu’il savait que des crimes avaient été commis et que, par conséquent, il allait mettre sur pied une commission pour « évaluer tout cela ».
Á ce titre, d’après ce dossier, l’enquête judiciaire menée par M. Feindiro avait conclu que « bien qu’il [Bemba] ait envoyé ses troupes à la demande de M. Patassé, ce fait ne peut être remis en cause [mais] il n’a pas été démontré qu’il ait été impliqué dans leur utilisation sur le terrain et il convient donc de l’écarter ».
Hier, M. Feindiro a affirmé qu’aucun chef de responsabilité matérielle ou physique pour le comportement des troupes du MLC n’avait été retenu par le juge d’instruction de son pays, seule une ‘‘responsabilité intellectuelle’’ avait été envisagée. Il a déclaré que c’est pour une responsabilité intellectuelle des crimes présumés que M. Bemba et les autres coauteurs avaient été déclarés pénalement responsables par les procureurs centrafricains. Cependant, même la tentative de son bureau de poursuivre M. Bemba avec ces charges avait échoué.
Les procureurs de la CPI affirment que M. Bemba, en tant que commandant militaire, exerçait un commandement effectif sur les forces du MLC lorsqu‘elles auraient commis des meurtres, viols et pillages sur des civils en RCA. Les procureurs soutiennent qu’il savait que les forces du MLC commettaient ou étaient sur le point de commettre des crimes mais qu’il n’a pas pris « toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou réprimer les crimes » commis par les forces du MLC.
M. Bemba a nié toutes les charges retenues à son encontre, affirmant que, une fois que les combattants du MLC avaient traversé la frontière de la République démocratique du Congo pour se rendre en RCA, ils étaient sous le commandement de M. Patassé et que c’est lui qui devrait être sur le banc des accusés à la CPI.
L’enquête de M. Feindiro avait conclu que, une fois que les troupes du MLC étaient à Bangui, elles étaient sous les ordres de M. Patassé par le commandement direct de Ferdinand Bombayake. L’Unité de sécurité présidentielle (USP) dirigée par le général Bombayake a été la seule des forces armées centrafricaines dont la collaboration avec le MLC a été constatée par l’enquête judiciaire nationale. Cela est dû au fait que M. Patassé faisait totalement confiance à M. Bombayake mais qu’il n’avait aucune confiance dans les Forces Armées Centrafricaines (FACA), l’armée régulière du pays, qu’il soupçonnait de participer à la tentative de coup d’état menée contre lui.
Le rapport du procureur général de la RCA affirmait que M. Patassé avait coordonné les opérations militaires contre les insurgés. « Lorsqu’une offensive ou une contre-offensive était organisée, c’était le président qui la supervisait … Cela a été confirmé par le général Bombayake qui a assuré que c’était M. Patassé qui décidait de tout et qu’il [Bombayake] ne faisait qu’appliquer les instructions reçues », a-t-il dit.
Aujourd’hui, la défense a également lu des extraits de la déclaration que M. Feindiro avait faite aux enquêteurs de la CPI dans laquelle il affirmait que le MLC avait reçu un paiement du trésor centrafricain. Il aurait indiqué que le paiement était autorisé par M. Patassé et par son premier ministre Martin Ziguélé.
La défense poursuivra le contre-interrogatoire de M. Feindiro lors de la reprise du procès, lundi prochain.