Les troupes appartenant au Mouvement pour la libération du Congo (MLC) de l’accusé de crimes de guerre Jean-Pierre Bemba ont été décrites aujourd’hui comme des ‘‘libérateurs’’ dans une vidéo projetée par la défense devant la Cour. Les images vidéo concernaient des interviews d’habitants de la ville de Sibut réalisées par le journaliste Gabriel Kahn de Radio France Internationale (RFI).
Sibut est une des villes où les procureurs de la Cour pénale internationale (CPI) soutiennent que les troupes de M. Bemba ont commis des viols, des meurtres et des pillages généralisés sur la population civile de la République centrafricaine (RCA) entre octobre 2002 et mars 2003. Les troupes congolaises étaient présentes dans le pays pour aider les forces loyales au président de l’époque, Ange-Félix Patassé, à combattre une insurrection rebelle menée par François Bozizé. C’est pour ces crimes présumés que M. Bemba, en tant que commandant en chef du MLC, est jugé devant un tribunal basé à La Haye. Ce dernier a nié les cinq chefs d’accusation retenus contre lui.
Plusieurs témoins de l’accusation ont témoigné de la brutalité des crimes commis à Sibut, qui auraient été perpétrés par le MLC. Cependant, dans la première interview montrée à la Cour aujourd’hui, une personne se décrivant comme un réfugié de Sibut a déclaré que les habitants de la ville détestaient les troupes de M. Bozizé car « les habitants souffraient » lorsque la ville était sous le contrôle des rebelles de Bozizé mais avaient été heureux après avoir été « libérés » par le MLC. La date des interviews n’a pas été indiquée.
Dans la deuxième vidéo, le maire de Sibut est interrogé sur les allégations selon lesquelles des musulmans auraient été tués. Il a répondu ne pas avoir reçu de telles plaintes. Il a mentionné toutefois que certains commerçants tchadiens en RCA, dont beaucoup étaient musulmans, avaient été assassinés par les rebelles de M. Bozizé. Interrogé par M. Kahn pour savoir si les meurtres pouvaient avoir été commis par les forces loyales à M. Patassé, le maire a répondu, « Je n’ai connaissance d’aucun élément de cette nature ».
Le maire a ensuite remercié les forces loyalistes de M. Patassé de la libération de Sibut et a suggéré que le MLC reste dans la ville jusqu’à ce que ses habitants soient totalement en sécurité. Il a indiqué que le départ précoce des troupes de M. Bemba pouvait être annonciateur d’un grand danger pour la ville.
« Ils [les rebelles de Bozizé] nous jetaient hors de nos maisons. Nous avons passé nos nuits dans la brousse. Nous avons bu de l’eau souillée, nous avions des vers. Ils ont vidé notre hôpital, ils ont tout emmené », a indiqué le maire de Sibut dans une vidéo projetée devant la Cour.
Le maire a également relaté un certain nombre de plaintes concernant des pillages et des viols perpétrés par les rebelles de M. Bozizé, qu’il a indiqué avoir reçu de la part de civils. Il a déclaré, toutefois, qu’aucune des plaintes n’avaient eu de suites car son bureau avait été démoli pendant le conflit.
L’avocat de la défense Aimé Kilolo-Musamba a demandé au témoin s’il n’avait eu connaissance d’éléments qui contredisent les avis du maire et du réfugié. Le ‘‘témoin 173’’ a déclaré qu’il ne pouvait pas s’attarder sur les détails des images vidéo. Il a soutenu qu’il s’agissait de l’opinion des personnes interviewées.
« Je ne suis jamais allé à Sibut. Je ne connais pas du tout Sibut », a affirmé le témoin.
Le ‘‘témoin 173’’, qui a débuté sa déposition mardi dernier, a conclu son témoignage cet après-midi après avoir relaté les nombreuses atrocités qui auraient été commises par les troupes de M. Bemba. Il a bénéficié d’une déformation numérique de la voix et du visage, et a apporté la majeure partie de son témoignage à huis clos afin de protéger son identité.
Dans une autre vidéo projetée devant la Cour aujourd’hui, un vicaire d’un séminaire de Sibut est interviewé par le journaliste de RFI. Comme les autres habitants de Sibut filmés auparavant, le vicaire parle des pillages perpétrés par les rebelles de M. Bozizé lors de leur arrivée dans la ville en octobre 2002.
« Nous les appelions [les rebelles de M. Bozizé] nos frères mais ils étaient là pour nous faire du mal. Lorsque les troupes de M. Bemba sont arrivées, nous avons été libérés », a déclaré le vicaire.
Le président d’une organisation locale de femmes centrafricaines qui résidait à Sibut, a été présenté dans une autre vidéo. Elle a décrit le manque de médicaments et de nourriture pendant les quatre mois de l’occupation de Sibut par les rebelles de M. Bozizé. Elle a également indiqué que la ville était devenue ‘‘heureuse’’ après avoir été reprise par les troupes de M. Bemba.
Un autre habitant de Sibut, fonctionnaire du Ministère de la jeunesse et des sports, a été également interviewé et il a rejeté le récit de la situation à Sibut telle que présentée par la radio locale. « C’était le 14 février 2003 que le MLC est arrivé à Sibut. Lors de leur arrivée, aucune maison n’a été démolie, aucun membre de la population n’a hésité à se rassembler. Aucun pillage n’a été signalé », a déclaré l’habitant.
« Était-ce les mêmes troupes que celles présentes dans la ville de Damara ? Était-ce les mêmes troupes qui ont libéré Sibut ? », a demandé M. Kilolo-Musamba.
« Oui, les mêmes troupes », a répondu le témoin, qui a ensuite donné le reste de son témoignage à huis clos.
Le procès se poursuivra demain matin avec le témoignage d‘un nouveau témoin se présentant sous le pseudonyme de ‘‘témoin 178’’.