Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Cette semaine, la défense de Jean-Pierre Bemba s’est concentrée sur les différentes divergences existant entre le témoignage oral donné par un témoin de l’accusation et la déclaration écrite qu’il avait faite auparavant aux fonctionnaires de la Cour.

Alors que le ‘‘témoin 73’’ a admis une ‘‘erreur’’ faite par inadvertance, il a attribué la responsabilité des autres divergences aux fonctionnaires de la Cour pénale internationale (CPI) qui l’avaient interviewé. Ces fonctionnaires, d’après le témoin, étaient d’une part un enquêteur du Bureau du Procureur (BdP) et d’autre part une personne qui s’était présentée comme appartenant au personnel du département de la Cour en charge des indemnisations aux victimes.

Le témoin, qui a témoigné de lundi à vendredi, n’a pas donné son nom en séance publique et a bénéficié d’une déformation numérique de la voix et du visage pour ne pas divulguer son identité. Il a indiqué aux juges que les combattants de M. Bemba avaient attaqué sa maison située à Bangui, la capitale de la République centrafricaine (RCA), en novembre 2002. Il a déclaré qu’un des soldats avait défloré sa fille de dix ans.

Le ‘‘témoin 73’’ a ensuite raconté que des soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) avaient violé la fille mineure de son voisin et qu’ils avaient battu le fils de son voisin jusqu’à ce qu’il perde connaissance lorsqu’il avait tenté d’empêcher les miliciens de voler les marchandises dans l’échoppe de la famille.

Lorsque les représentants légaux des victimes et la défense de M. Bemba ont débuté le contre-interrogatoire du témoin, il a toutefois reconnu la présence d’erreurs dans les déclarations écrites qu’il avait faites à la Cour.

Dans sa demande de participation en tant que victime au procès Bemba, le ‘‘témoin 73’’ avait déclaré que sa fille, qui avait été déflorée par un soldat du MLC, avait 17 ans à l’époque des faits. Devant la Cour, il a déclaré qu’elle avait dix ans lorsque le soldat du MLC l’avait déflorée en décembre 2002.

Mercredi, Marie-Edith Douzima-Lawson, un représentant légal de certaines des victimes participant au procès, a demandé au ‘‘témoin 73’’ d’expliquer les divergences existant entre sa déclaration de 2009 et sa déposition orale. Le témoin a expliqué que lorsqu’il avait rencontré les enquêteurs du Bureau du Procureur (BdP), il avait dit à tort que sa fille avait 17 ans à l’époque où elle avait été déflorée.

« En ce qui concerne son âge, dire qu’elle avait 17 ans était une erreur. J’ai répondu à la question sans hésiter et sans réfléchir. Elle est née en 1992 », a indiqué le témoin.

D’après le témoin, le soldat qui déflora sa fille était devenu un habitué de sa maison et il envoyait souvent sa fille lui acheter des marchandises dans des magasins du quartier. Il a indiqué devant la Cour qu’il semblait que sa fille et le soldat du MLC avait eu des relations sexuelles consenties.

M. Bemba, un ancien vice-président de la République démocratique du Congo, est jugé devant la CPI pour des crimes commis par ses troupes en République centrafricaine dans les années 2002 et 2003. Les procureurs ont indiqué que ces crimes comprenaient le meurtre, le viol et le pillage. Il a nié les accusations.

Jeudi, le ‘‘témoin 73’’ a admis d’autres incohérences. Il a affirmé, toutefois, que les divergences présentes dans sa demande à participer au procès étaient imputables aux enquêteurs du BdP.

Le juge président Sylvia Steiner a fait remarquer qu’un récit manuscrit joint au formulaire de demande du témoin indiquait que les soldats du MLC avaient pénétré dans sa maison, avaient jeté sa fille mineure au sol et l’avaient violée. Le juge a ensuite souligné que, dans son témoignage oral, le témoin avait déclaré que les soldats congolais n’avaient ni agressé ni violé sa fille.

Le témoin a répondu que la version dans sa demande était erronée. « Lorsqu’ils sont entrés [dans la maison], ils n’ont pas croisé ma fille dans la maison … ma femme et moi-même étions dans la maison, ma fille n’était pas présente ».

Il a ajouté, « Ce qui est certain, c’est qu’ils ont couché avec elle. Mais je ne peux accepter que l’on dise qu’elle a été jetée à terre et violée. Ma fille n’était pas dans la maison à ce moment-là. Ils ne l’ont pas violée ou brutalisée dans ma maison ».

Le juge Steiner a demandé au ‘‘témoin 73’’ de préciser qui l’avait aidé à remplir le formulaire.

Le témoin a répondu, « La personne qui a rempli ce formulaire était un des enquêteurs du BdP [Bureau du procureur à la CPI], celui qui a eu un entretien avec moi ».

De plus, le témoin a déclaré qu’il était faux que le formulaire, qu’il avait reconnu porter sa signature, avait été rempli en mars 2010 tel qu’indiqué. « Ce formulaire de demande, je [l’] ai rempli en 2008 », a-t-il indiqué.

Les avocats de la défense de M. Bemba ont montré au témoin un autre document manuscrit mentionnant une somme d’argent. Le témoin a précisé que bien que ce document portait sa signature, il n’avait ni personnellement rempli le formulaire ni écrit ce chiffre. Interrogé par l’avocat de la défense Peter Haynes qui en a pris note, le ‘‘témoin 73’’ a déclaré qu’il s’agissait d’une personne qui s’était identifiée dans le quartier où le témoin vivait comme étant un envoyé du département de la CPI en charge des réparations aux victimes.

Cette personne, qui aurait transporté avec elle des documents, réalisait un inventaire des biens des victimes qui auraient été pillés par les soldats du MLC ou que les victimes auraient perdu à l’époque où le MLC était présent en RCA. Le témoin avait rencontré cette personne dans la maison de son voisin alors qu’il aidait son voisin et son fils à remplir des formulaires. Le ‘‘témoin 73’’ a indiqué que c’était son voisin qui l’avait présenté au fonctionnaire de la CPI en question en tant que victime des atrocités commises par les soldats du MLC.

Le témoin a également relaté qu’une personne, qui prétendait être du bureau des réparations de la CPI, lui a demandé de gonfler les marchandises que lui avaient pris les soldats du MLC.

« Je lui ai dit que ma femme vendait des boissons et de la bière et que ces personnes [les soldats du MLC] avaient bu à crédit sans payer, qu’ils avaient demandé que l’on leur serve de la nourriture sans la payer, qu’ils avaient pris 30 000 francs à ma femme », a déclaré le témoin. Il a ajouté qu’il avait dit au présumé fonctionnaire de la CPI que les soldats du MLC lui avaient vendu un poste de radio qu’ils avaient ensuite repris sans rendre l’argent qu’il avait donné.

Selon le ‘‘témoin 73’’, cette personne lui avait conseillé de déclarer un montant de 300 000 francs au lieu des 30 000 francs que sa femme avait perdu. Cette personne lui aurait également conseillé de déclarer qu’il avait perdu un poste de télévision à la place d’un poste de radio.

« Il m’a dit : Mais écoutez, les gens mentionnent de grosses sommes d’argent et vous ne citez que de petites sommes. Vous ne voulez pas une part du gâteau ? La personne a fait d’elle-même des propositions et a rempli le document », a indiqué le témoin.

Il n’a pas été possible de déterminer le montant que le témoin avait finalement déclaré sur ce formulaire car le reste de son témoignage sur cette question s’est déroulé à huis clos.

Les victimes participant aux procès de la CPI peuvent demander des compensations et des indemnisations pour les pertes et les dommages subis si l’accusé est déclaré coupable. Si le coupable n’a pas de ressources financières, le Fonds de compensation des victimes de la Cour peut être utilisé pour payer les indemnisations. Plus d’un millier de personnes participent en tant que victimes au procès Bemba.

Entretemps, le témoin a également déclaré que les troupes libyennes, qui avaient participé aux combats dans Bangui en 2002 et 2003, n’avaient jamais commis d’atrocités sur les civils. « Personne n’a jamais entendu dire que les Libyens étaient venus dans les quartiers et avaient commis des actes de violence ou qu’ils avaient battu ou attaqué quelqu’un. Les Libyens ne l’ont jamais fait ».

Lors de l’interrogatoire de l’avocat de l’accusation Hesham Mourad, le témoin a expliqué aujourd’hui que les ‘‘troupes libyennes’’ ne s’étaient pas rendues dans la banlieue PK 12 de Bangui. « Elles n’avaient effectué aucune patrouille jusqu’au PK 12. Elles étaient dans leurs bases et ne réalisaient aucune patrouille », a-t-il déclaré.

À l’époque où les troupes de M. Bemba auraient commis des crimes contre les civils centrafricains, elles étaient présentes dans ce pays pour aider le président en exercice Ange-Félix Patassé à combattre une tentative de coup d’état menée par M. Bozizé.

Le témoin a indiqué que lorsque les troupes du MLC avaient pénétré dans le PK 12, elles avaient occupé par la force les maisons des civils, obligeant leurs habitants à leur préparer des repas puis elles avaient pillé les biens des citoyens centrafricains.

Le ‘‘témoin 73’’ a également affirmé que les commandants de la milice du MLC étaient les spectateurs des actes de violence commis par les soldats sur les civils. Il a déclaré qu’une personne qui avait été identifiée comme étant le commandant des soldats dans le quartier où le témoin résidait n’avait pas réprimandé ses troupes qui avaient pillé des civils et qui avaient commis de nombreux sévices.

« Savez-vous si les auteurs ont été punis? », a demandé M. Mourad.

« Non », a répondu le témoin. Il a ajouté, « C’était leur commandant qui ordonnait les attaques et il participait à ces attaques. Ils n’avaient peur de rien ni de commettre des atrocités, car après avoir commis ces atrocités, ils étaient très heureux ». Le témoin a indiqué que ce commandant était connu sous le nom de ‘‘Saddam’’.

Le témoin a également indiqué qu’un colonel avait participé à la torture qu’un garçon qui avait tenté de résister aux troupes du MLC qui avaient pillé son échoppe. Le témoin a également raconté que les soldats de M. Bemba l’avaient battu alors qu’ils pillaient le magasin de sa femme. « Le commandant leur parlait, et il m’a également adressé la parole tout en pointant son arme sur moi et en menaçant de me tuer », a déclaré le ‘‘témoin 73’’.


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