Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

Cette semaine, l’identité des auteurs des crimes commis lors du conflit armé de 2002-2003 en République centrafricaine (RCA) a été au centre de la procédure dans le procès de Jean-Pierre Bemba.

L’expert en linguistique, le professeur Eyamba George Bokamba, a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve que les soldats qui avaient agressé les civils appartenaient à la milice du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) dirigée par M. Bemba. Les procureurs ont cependant affirmé que seuls les soldats de la milice de l’accusé parlaient lingala, la langue que les témoins des atrocités ont indiqué être parlée par leurs agresseurs.

Cette semaine également, un expert en géopolitique a conclu son témoignage, tandis qu’un ancien porte-parole du président centrafricain décédé, Ange-Félix Patassé, a débuté sa déposition.

L’essentiel de la procédure s’est concentré sur l’identité des auteurs des crimes, qui représente une question d’importance pour les cinq chefs d’accusation retenus à l’encontre de M. Bemba, un ancien vice-président de la République démocratique du Congo (RDC). Il a nié les affirmations de l’accusation selon lesquelles ses soldats avaient commis des viols, des meurtres et des pillages et selon lesquelles, en tant que commandant en chef, il n’avait fait aucun effort pour les contenir.

La défense a argué que n’importe lequel des groupes armés en activité lors du conflit, y compris les forces loyalistes à M. Patassé et les forces rebelles menées par François Bozizé, pouvait avoir commis les crimes présumés. De plus, M. Bemba a nié avoir eu les moyens de commander ses troupes qui étaient déployées dans le conflit de la RCA alors qu’il était demeuré au Congo.

Le professeur Bokamba a déclaré qu’il était impossible de dire à quel groupe les soldats parlant lingala appartenaient, en se basant principalement sur la langue qu’ils parlaient. Il a indiqué qu’il y avait des citoyens centrafricains qui parlaient lingala, bien que cette langue soit originaire du Congo.

Selon l’expert, il existe une large population parlant lingala en RDC et en République du Congo. De plus, on estime à 86 000 les locuteurs de lingala en Angola et il existe d’autres locuteurs au Gabon, au Sud-Soudan, au Rwanda et au Burundi. L’expert ne disposait pas des chiffres pour les locuteurs de cette langue en RCA mais il a déclaré avoir vu des estimations avoisinant 10 000.

De nombreux témoins de l’accusation ont témoigné que les soldats qui avaient agressé les civils appartenaient au MLC. Ils les avaient immédiatement identifiés car ils parlaient lingala et non sango, une langue locale largement parlée.

Le professeur Bokamba, qui a enseigné à l’Université de l’Illinois aux États-Unis depuis qu’il a obtenu son doctorat en linguistique à l’Université d’Indiana, a déclaré que certains locuteurs de lingala en RCA étaient des congolais qui avaient fui la tourmente de leur pays d’origine. D’autres étaient des commerçants et des travailleurs immigrants, notamment des mineurs. Les ressortissants centrafricains qui parlaient cette langue étaient en contact avec celle-ci de différentes manières.

« La première provient du fait que les commerçants, depuis les années 1900 jusqu’à maintenant, naviguent sur la rivière Oubangui. La RCA est séparée du Congo par la rivière Oubangui et elle représente littéralement une autoroute pour les négociants fluviaux », a-t’il indiqué.

Bangui, la capitale de la RCA où, selon l’accusation, les combattants de l’accusé auraient commis la plupart des crimes, est située en face de la ville Zongo de l’autre côté du fleuve Oubangui. Un grand nombre de villes congolaises, notamment Gbadolite où était situé le quartier général du MLC, sont localisées le long de la rivière.

L’expert a affirmé que les soldats centrafricains habitant Bangui étaient exposés au lingala. Ils pouvaient avoir été également exposés à la langue par le l’écoute de la musique congolaise qui est populaire en RCA. Il a précisé que 70 pour cent environ de la musique congolaise était produite en lingala.

L’expert a déclaré de plus qu’il avait appris de différentes sources que, pendant les années 70 et 80, le gouvernement congolais avait un programme d’entraînement pour les soldats de la RCA. L’entraînement avait lieu au Congo et, puisque le lingala avait été depuis l’époque coloniale la langue officielle des forces armées congolaises, ces soldats pouvaient même apprendre la langue selon la durée de leurs programmes d’entraînement.

Lors du contre-interrogatoire, l’avocat de l’accusation Jean-Jacques Badibanga a indiqué à l’expert que divers documents de la Cour montraient que les groupes armés en activité lors du conflit provenaient de Libye, de la RCA, du Tchad et du Congo, ce qui indiquerait que seules les forces congolaises parlaient lingala au sein de ces groupes.

« Je ne sais pas », a répondu le professeur, qui a ajouté que son analyse ne couvrait pas la composition des différentes forces en présence. « Je ne peux donc pas déclarer qu’il n’y avait que le MLC qui parlait lingala parmi les groupes. On peut aisément exclure la Libye et le Tchad de ces groupes car ils n’ont pas de soldats parlant lingala ».

L’expert a également indiqué que même s’il y avait eu des locuteurs de lingala au sein des forces armées centrafricaines, la langue locale, le sango, aurait été la langue « naturelle par défaut » de communication entre ces soldats et les civils.

Concernant l’éventualité que, pour une raison quelconque, les forces centrafricaines parlant lingala aient choisi de parler aux civils en lingala et non en sango, l’expert a indiqué, « Le choix de se dissimuler est tout à fait envisageable. Mais cela ne relève pas de mon domaine d’expertise ».

Il est apparu entretemps lors du contre-interrogatoire que la défense n’avait pas donné à l’expert les informations concernant la nationalité des différents groupes armés participant au conflit. Le professeur Bokamba a également indiqué qu’il n’avait pas examiné le témoignage apporté devant la Cour par des témoins à charge qui avaient donné des précisions sur leur capacité à reconnaître les auteurs des crimes.

Ces témoins avaient affirmé que toutes les forces armées centrafricaines parlaient sango et que l’identification des soldats congolais en tant qu’auteurs des crimes, hormis le fait qu’ils parlaient lingala, était basée sur leur accent lorsqu’ils s’exprimaient en français ou prononçaient des mots en sango.

« Si ces informations vous avaient été transmises, cela vous aurait-il permis d’effectuer une analyse plus approfondie pour le rapport ? », a demandé M. Badibanga.

« Certainement, cela aurait été le cas », a répondu le professeur. Il a cependant réaffirmé que l’utilisation d’une langue spécifique n’était pas une preuve suffisante pour déterminer la nationalité d’un individu.

Cette semaine, le témoignage de l’expert en géopolitique, qui a affirmé que la responsabilité politique et stratégique pour les actes de violence perpétrés à l’encontre des civils n’incombait pas à l’accusé, a pris fin. Si les troupes que M. Bemba avaient placées à la « disposition » des dirigeants du pays voisin avaient vraiment commis les crimes, la responsabilité en incombait à ces autorités.

« M. Bemba n’était pas membre du commandement militaire suprême de la RCA. Il ne peut être tenu responsable des actes de violence. Le commandement militaire centrafricain était en grande partie responsable de l’aspect opérationnel des troupes », a déclaré l’expert en géopolitique.

Entretemps, Prosper Ndouba, l’ancien porte-parole de M. Patassé, a débuté son témoignage vendredi, relatant son enlèvement par les forces de M. Bozizé. Il a également raconté à la Cour les atrocités commises par ses ravisseurs lors des « 38 jours d’enfer » pendant lesquels ils l’ont retenu en otage.

« J’ai des gens être torturés et battus. J’ai assisté à des pillages. J’ai assisté à des massacres », a déclaré M. Ndouba.

Le procès se poursuivra lundi 17 septembre 2012 avec la suite de la déposition de M. Ndouba.

 

1 Commentaire
  1. Il me parait impossible de définir d’où venaient les combattants de part et d’autres sur seul critère de la langue parlée, à savoir le LINGALA. En effet, si le Lingala a été imposé au Congo Belge par les olonisateurs qui n’avaient pu se mettre d’accord entre le Flamand et le français, il n’en reste pas moins que le Lingala est aussi parlé au CONGO-BRAZZA, notamment dans la Likouala (Likwala), Mais aussi dans le Sud-Ouest de RCA, au sud de M’BAÏKI, et bien entendu dans la ville limitrophe de Nzongo, Bangui, Bien que Bokassa avait imposé le français dans l’enseignement, parlant lui même que très peu le Sango (ancien officier français). Tout juste pourrait-on reconnaitre certaines tribus parlant LINGALA, avec certains accents, certains mots de vocabulaire, différents si l’on est Mbochi, ou Kouyou, ou Mbaka !!!! Cet ne pourrait être retenu comme preuve accablante par un T.P.I. indépendant et agissant pour que JUSTICE soit rendue. Je suis un français ayant vécu 4 ans à Bangui de 1975 à 1979, 1 an en Likouala (Impfondo), 9 années à Kinshasa, Brazzaville, Pointe-Noire, Port-Gentil, et Libreville, en qualité d’expert financier auprès des Banques Centrales.


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