Les avocats de la défense de Jean-Pierre Bemba, le chef d’opposition congolais acquitté en juin dernier, ont plaidé pour son indemnisation par la Cour pénale internationale (CPI), citant les injustices qui ont accompagné sa détention et son procès qui ont duré dix ans ainsi que celles liées à ses biens qui ont été saisis à la demande de la Cour.
L’avocat de la défense Peter Haynes a déclaré lors de l’audience du 9 mai que la question de l’indemnisation de M. Bemba ne prendrait pas fin même si les juges rejetaient sa demande en vertu du règlement de la Cour. Il a indiqué qu’il serait « scandaleux et contraire aux règles de la justice naturelle » si les juges décidaient que les États qui ont saisis les biens, et non la Cour, soient responsables de ces pertes.
Me Haynes a déclaré que, toutefois, la défense était prête à soumettre un mécanisme alternatif de résolution des litiges ordonné par la Cour, qui pourrait prendre la forme d’un mécanisme formel indépendant, ou que les juges ordonnent aux parties de tenir des tables rondes dans les locaux de la CPI afin de débattre de la demande.
M. Bemba, qui a été acquitté des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis en 2002-2003, demande 68,8 millions d’euros (77,7 millions de dollars US) d’indemnisation à la Cour. Ce montant comprend 12 millions d’euros pour la période de sa détention, 10 millions d’euros additionnels à titre de dommages-intérêts, 4,2 millions d’euros pour ses frais juridiques et 42,4 millions d’euros pour dommages à ses biens.
À l’audience, les substituts du procureur ont estimé que la demande d’indemnisation de M. Bemba ne satisfaisait pas manifestement aux normes juridiques et qu’elle devait être rejetée. Faisant écho aux arguments qu’ils avaient avancés dans leurs observations écrites, les substituts du procureur ont déclaré que, bien que M. Bemba fût libre de revendiquer des réparations lorsqu’il le souhaitait, toute demande faite en vertu de l’article 85 du statut de Rome de la Cour devait être rejetée.
L’article 85 stipule que la Cour peut accorder une indemnité lorsqu’il existe des faits probants d’une erreur judiciaire grave et manifeste. L’accusation a estimé que M. Bemba devait tout d’abord démontrer qu’il a fait l’objet d’une violation au titre de l’article 85 et alors seulement le montant des indemnités pourra être abordé.
De son côté, Me Haynes a soulevé diverses questions relatives aux droits de M. Bemba à bénéficier d’un procès équitable. Il a fait remarquer que les juges de la chambre d’appel qui ont annulé la condamnation de M. Bemba ont souligné la manipulation des éléments de preuve et le manquement de la Chambre de première instance d’appliquer des principes fondamentaux tels que la charge de la preuve et la norme de preuve. L’avocat de la défense a également affirmé que l’acquittement de M. Bemba en appel n’empêchait pas la conclusion qu’il y ait eu une erreur judiciaire.
La défense a également argué que la demande de M. Bemba concernant la destruction de ses biens ne dépendait pas de la conclusion qu’il y ait eu une erreur judiciaire. « Cette demande pourrait bien aboutir ou aurait bien pu aboutir, même si son procès a été parfaitement régulier ou dans le cas où sa condamnation a été confirmée en appel », a déclaré Me Haynes. « Parce qu’elle dépend des actions de la Cour si elle a omis de surveiller les biens qu‘elle a saisi ».
M. Bemba soutient que la Cour a agi avec négligence en saisissant et gelant ses avoirs en Belgique, en République démocratique du Congo et au Portugal sans les gérer correctement. La société d’évaluation hollandaise BFI Global a calculé que les pertes résultant des présumées négligences de la CPI s’élèvent à 42,4 millions d’euros au 31 décembre 2018. La société a indiqué que ce chiffre n’incluait pas les pertes liées aux investissements immobiliers au Congo.
Me Haynes a déclaré que M. Bemba était probablement la première personne dont les avoirs ont été gelés par l’ordonnance d’une cour ou d’un tribunal pénal international. Selon lui, les ordonnances de gel violent le droit fondamental à la propriété des accusés et les empêchent de vivre leur vies, c’est la raison pour laquelle les tribunaux internationaux s’abstiennent de les prononcer.
Soulignant que les ordonnances de gel sont considérées comme des armes nucléaires juridiques, Me Haynes a ajouté que ce n’est pas par hasard que malgré le fait qu’il y ait eu de nombreux accusés riches avant lui, ni le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda n’avaient jamais gelé les avoirs de personne ni le Tribunal spécial pour la Sierra Leone n’avait gelé les avoirs du « très fortuné Charles Taylor ».
Me Haynes a estimé que quiconque demande une ordonnance de gel doit indemniser la personne dont les avoirs sont gelés. « La CPI, en tant qu’institution possédant une personnalité juridique qui demande ces ordonnances, n’est pas dans une position différente des autres », a-t-il ajouté. Le Greffe de la Cour, dans un document rendu publique cette semaine, a nié avoir la responsabilité de gérer les avoirs de M. Bemba saisis ou gelés, affirmant qu’elle était de la responsabilité des États.
À la fin de l’audience, Antoine Kesia-Mbe Mindua, le juge président de la Chambre préliminaire II, a mentionné la demande d’indemnisation de M. Bemba comme étant une « question extrêmement complexe et difficile » mais n’a pas indiqué quelles seraient les étapes suivantes.