Jean-Pierre Bemba in court
qui est Jean-Pierre Bemba Gombo

Par Wakabi Wairagala

La violation des droits d’une personne jugée lors d’un procès devant la Cour pénale internationale (CPI) entre-t-elle en compte pour diminuer une peine ou pour prononcer une pause du procès dans une autre affaire ? Les juges d’appel sont confrontés à cette question alors qu’ils examinent l’appel de Jean-Pierre Bemba de la peine qui lui a été infligée pour subornation de témoin.

En septembre dernier, la Chambre de première instance VII a imposé à M. Bemba a une peine de prison d’un an et une amende de 300 000 €. La peine a été considérée comme purgée puisqu’il a passé une longue période dans le centre de détention de la CPI pendant le procès. Ses avocats ont fait appel, demandant aux juges d’annuler la condamnation et la peine et de garantir qu’aucune autre mesure punitive ne soit imposée à M. Bemba en plus du temps qu’il a déjà passé en détention. Ils soutiennent que la Cour dispose de ces pouvoirs et que les préjudices subis par M. Bemba, notamment une détention de 10 ans et une atteinte à sa réputation, justifient ce recours.

La Chambre d’appel a décidé le mois dernier que la condamnation était définitive et ne pouvait faire partie du présent litige. La Chambre est composée des juges Howard Morrison (juge président), Chile Eboe-Osuji, Piotr Hofmański, Luz del Carmen Ibáñez Carranza et Solomy Balungi Bossa.

Entretemps, la Chambre a considéré que, pour statuer sur l’appel, il était essentiel d’établir si la peine de M. Bemba, prononcée en vertu de l’article 70 (subornation de témoin), pouvait être diminuée ou annulée du fait des présumées violations de ses droits dans son procès principal pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, au terme duquel il a été acquitté. Les juges ont exposé les questions afin de guider l’audience orale du 4 septembre et les observations écrites postérieures des parties à l’appel, notamment savoir si une chambre de première instance peut diminuer la peine d’une personne pour compenser une violation des droits d’une personne dans une autre affaire. Dans le cas d’une grave violation des droits d’une personne, la Chambre de première instance peut-elle ordonner une pause du procès inconditionnelle à la phase de détermination de la peine ? Dans l’affirmative, cela signifie-t-il qu’à la fois la condamnation et la peine peuvent faire l’objet d’une annulation ?

À l’audience du 4 septembre, l’avocat de la défense Melinda Taylor a déclaré que la frontière entre les deux affaires menées à l’encontre de M. Bemba était régulièrement floue, ce qui lui causait du tort, et qu’il serait finalement juste et cohérent que ce rapport soit invoqué pour un recours effectif à la violation de ses droits. Selon elle, les deux affaires sont liées et la Chambre d’appel a déjà reconnu qu’elles pouvaient être reliées.

Elle a expliqué que la peine devait être annulée car l’appréciation par la Chambre de première instance de la gravité et du degré de participation de M. Bemba était arbitraire et basée sur des principes juridiques erronés. Elle a ensuite ajouté que la Chambre de première instance avait fait une erreur en ne proposant pas un recours dans les meilleurs délais aux nombreuses violations des droits de M. Bemba et pour avoir injustement exclu son acquittement de son évaluation de la gravité de sa conduite.

Me Taylor a déclaré que la condamnation injustifiée de M. Bemba dans son procès principal avait eu des implications importantes pour ses droits en tant qu’accusé maintenu en détention pour une affaire relative à l’article 70. Elle a soutenu que, si la Chambre de première instance III avait évalué les éléments de preuve correctement et n’avait pas attendu que presque tous les témoins de l’affaire au titre de l’article 70 soient entendus et si elle n’avait pas attendu trop longtemps pour prononcer son verdict, M. Bemba n’aurait « pas passé une durée en détention quatre fois et demi la peine qui a été jugée appropriée ».

Cependant, l’accusation a indiqué que bien que le droit international des droits de l’homme et l’article 85 du statut de Rome autorisent M. Bemba à demander une indemnisation s’il est conclu que ses droits dans son procès principal ont été violés, la procédure de détermination d’une nouvelle peine n’est pas la tribune adéquate. De même, la Chambre de première instance VII qui a condamné M. Bemba pour subornation de témoin n’est pas compétente pour examiner et se prononcer sur le dossier du procès principal puis sur les allégations de violations du droit à un procès équitable qui ont pu se produire au cours du procès pour crimes de guerre.

Le substitut du procureur Priya Narayanan a fait remarquer que M. Bemba avait déjà demandé cette indemnisation, au cours d’un processus qui avait soulevé plusieurs des mêmes questions que celles soulevées lors de l’appel de la décision sur la nouvelle peine. Tout en mettant en cause M. Bemba pour avoir déposé des requêtes auprès de plusieurs chambres avec des demandes multiples qui ses chevauchaient, Me Narayanan a déclaré que, étant donné les aspects semblables des demandes dans l’appel et l’indemnisation, il y avait un risque de confusion procédurale avec la possibilité que les différentes chambres parviennent à des conclusions contradictoires.

Me Narayanan a affirmé que, comme le montre l’expérience du Tribunal pénal international pour le Rwanda et du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, si les droits d’une personne sont violés dans une affaire où elle est ensuite acquittée, une indemnisation peut constituer un recours approprié. Cependant, si les droits d’une personne sont violés dans une affaire où elle est ensuite condamnée, le recours approprié peut consister en une réduction de peine. Toutefois, même si une personne est condamnée, la réduction ou l’annulation de la peine comme recours aux violations établies n’est pas une conclusion donnée d’avance.

« D’autres recours dans le droit international des droits de l’homme peuvent être par ailleurs disponibles et une peine peut ne pas être réduite si d’autres recours sont considérés comme suffisants », a soutenu Me Narayanan. « De surcroît, même lorsque les peines sont réduites pour prendre en compte les violations des droits, la mesure dans laquelle cette peine est diminuée dépend de la manière dont la personne a subi des préjudices ». L’accusation a soutenu que M. Bemba n’avait subi de préjudice dans aucune des affaires.

Impact du procès principal (crimes de guerre) sur le procès au titre de l’article 70

La défense a déclaré que, une fois que l’accusation a lancé l’instruction en vertu de l’article 70, elle aurait dû porter l’affaire devant la Cour dans les meilleurs délais, prendre des mesures pour s’assurer que le dossier n’entraîne pas des retards dans le procès principal et que les retards du procès principal n’aient pas de répercussions négatives pour le statut de détention de M. Bemba dans la seconde affaire.

Ensuite, la défense a estimé que, tout en menant son instruction au titre de l’article 70, l’accusation avait eu accès à des éléments de preuve très sensibles qu’elle avait présentées à la Chambre de première instance du procès principal sur une base ex parte. Elle a ajouté que, en annulant la condamnation de M. Bemba de son procès principal, la Chambre d’appel a délivré un jugement qui ignorait des preuves à décharge clés et avait omis de se conformer aux exigences de base relatives à la charge de la preuve et à la présomption d’innocence.

Selon la défense, l’article 78(1) autorise la chambre à prendre en considération les préjudices causés par une autre affaire lorsqu’elle évalue les circonstances personnelles d’une personne condamnée. Cet article prévoit que lorsqu’elle fixe la peine, la Cour tient compte, conformément au Règlement de procédure et de preuve, de considérations telles que la gravité du crime et la situation personnelle du condamné.

De plus, la défense a souligné que la règle 145(2)(b) du Règlement de procédure et de preuve [pdf] permet à la Chambre de prendre en considération les condamnations prononcées dans d’autres affaires et que les allégations sans inculpation peuvent également donner des informations à la Chambre pour évaluer la gravité et la nature de la conduite de l’accusé tant qu’il existe des liens avec l’affaire. Les avocats de la défense ont affirmé que, dans cette logique, la Chambre devait avoir également la possibilité de prendre en compte la détention ou l’acquittement prononcés par la Cour pour des crimes relevant de sa juridiction, en particulier pour des affaires qui sont reliées ou qui ont une influence l’une sur l’autre.

Ordonnance d’une pause du procès inconditionnelle à la phase de détermination de la peine

La défense a soutenu que le droit à un procès équitable concernait la totalité du processus judiciaire, y compris la phase de détermination de la peine. Elle a ajouté que, par conséquent, les violations au droit à bénéficier d’un procès rapide doivent être corrigées rapidement même si l’accusé a été condamné de manière équitable et impartiale Les avocats de M. Bemba ont déclaré qu’un autre motif possible pour une pause du procès après la condamnation était à la fois l’existence et l’impossibilité de remédier aux violations au droit à bénéficier d’un procès équitable qui ne deviennent apparentes qu’à la fin de la procédure.

Me Narayanan a affirmé que, en principe, les condamnations définitives ne pouvaient demeurer à la phase de détermination de la peine. Elle a indiqué qu’une pause du procès était un recours radical qui devait être utilisé avec circonspection et prudence. « Autoriser ce recours dans une phase de détermination d’une nouvelle peine après que la Chambre d’appel ait confirmé les condamnations nierait la mission fondamentale de cette cour d’éviter l’impunité », a-t-elle précisé.

Après l’audience, les parties déposeront des observations écrites additionnelles et les juges notifieront une date pour le prononcé de la décision.

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